Benoît XVI et François: quelques points sur les "i


Le très beau commentaire de Marco Tosatti au chapitre du livre "Dernières conversations" consacré aux relations entre le Pape émérite et le régnant (15/9/2016)

 


Dans son dernier billet sur www. chiesa, Sandro Magister relit les réponses (qui occupent moins de 10 pages, sur les quelque 300 que compte l'ouvrage) de Benoît XVI aux questions de son interlocuteur qui le sollicite de porter un jugement sur son successeur.


Pour dire les choses familièrement, il n'y a pas de quoi fouetter un chat: si on lit bien, l'Emérite reste très prudent, il "garde ses distances" et s'en tient à des généralités. Il souligne en particulier que, contrairement aux rumeurs qui ont couru, François le consulte assez rarement (dit en langage diplomatique; il faut donc lire: pratiquement jamais, et François ne tient aucun compte de ses conseils...!) et, ajoute-t-il: "D’une manière générale, je suis très heureux de ne pas être prié d’intervenir".
Sandro Magister voit ("peut-être", dit-il prudemment) une allusion ironique aux ambiguïtés de langage de François, dans un passage où il évoque un texte élaboré par Karl Rahner (en fait une pétition en faveur de l'abolition du célibat des prêtres que lui-même avait signée en 1970, voir ici: benoit-et-moi.fr/2011-I):

"Il était tellement tortueux, comme le sont effectivement les textes de Rahner, que d’une part il constituait une défense du célibat et de l’autre il tendait à laisser le problème ouvert à une discussion future… C’était typiquement un texte à la Rahner, formulé selon un enchevêtrement de phrases affirmatives et négatives qui pouvait être interprété aussi bien dans un sens que dans l’autre".

Cela nous rappelle évidemment quelque chose...

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Sur le même sujet, voici l'excellente analyse de Marco Tosatti.
A noter, aucun des deux n'a pour le moment réagi aux propos sur l'éviction de Gotti Tedeschi de l'IOR.


Les points sur les "i" de Benoît.
Et peut-être quelque "white lie".


Marco Tosatti
14 septembre 2016
Ma traduction

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C'est un grand geste d'humilité d'un grand pape, le livre-entretien "Dernières conversations" de Benoît XVI avec son interlocuteur favori, Peter Seewald. Il en émerge une figure douce, mais décidée; et il en émerge en particulier une fois encore, de tout le livre, sur de nombreux points, ce que j'ai toujours pensé de son règne. c'est-à-dire qu'avec des collaborateurs différents, son chemin aurait été bien moins cahotique. Et peut-être ne se serait-il pas terminé de manière si dramatique.

Doux, humble et fier en même temps. Au point de défendre encore aujourd'hui, comme il l'a toujours fait, avec une loyauté à toute épreuve, son secrétaire d'Etat, le cardinal Tarcisio Bertone; un homme dont le travail, disons les choses ainsi, ne lui a certainement pas rendu la vie plus facile.

Mais avec son style de seigneur, Joseph Ratzinger tient à mettre quelques points sur les "i" . Sur trois points très importants: l'IOR, avec des lois de lutte contre le blanchiment d'argent, le renforcement des commissions internationales de contrôle. «Sans bruit, j'ai travaillé à la fois sur les aspects organisationnels et sur les aspects législatifs. Je pense que maintenant on peut repartir de ces efforts¨, et de là, continuer».

Ensuite, les abus. Ici, il revendique non seulement les quatre cents prêtres (et quatre-vingt dix évêques) mis en position de ne plus nuire, par faute directe ou complicité et omissions, mais aussi d'avoir créé, comme préfet, les règles permettant de frapper les coupables.

Et sur l'affaire Williamson, l'évêque lefebvriste auquel, en même temps qu'à d'autres, il a levé l'excommunication, et qui dans l'intervalle, avait exprimé des opinions folles sur l'Holocauste? «Les gens ont vite compris que je n'avais simplement pas été informé»

En somme, il en a fait des choses, Benoît, vieux, fragile et fatigué comme il l'était. Une revendication qui, s'il était pas le seigneur qu'il est, peut sembler une réponse aux super-bergogliens, ceux pour qui l'Église est née dans le Conclave de 2013.

Que pense Ratzinger ce qui se passe dans l'Église, et du Pontife régnant? Je crois que la phrase clé, pour comprendre tout ce qu'il dit, est celle-là: «Le pape est le pape, peu importe qui il est».
Et alors, on peut peut-être comprendre que même si - comme certains le disent sottovoce - il y a des choses qui lui causent des souffrances, il ne les expose pas dans un livre-interview. Même si ce travail devient plus ardu lorsque Sewald lui demande s'il voit une rupture avec son pontificat:
«Non. Bien sûr, on peut mal interpréter certains points et ensuite dire que maintenant les choses sont complètement différentes. Si on prend des épisodes individuels et qu'on les isole, on peut construire des oppositions, mais cela ne se produit pas si l'on considère l'ensemble. Peut-être met-on l'accent sur d'autres aspects, mais il n'y a pas d'opposition».
Hum! Nous nous permettons d'avoir quelque petite perplexité. Même si nous comprenons que Benoît avait le souci de ne pas verser de l'huile sur le feu de la discontinuité.
Et alors on peut lui pardonner quelque «white lie» , comme les appellent les Japonais, des mensonges blancs (ndt: pieux mensonges, mensonges diplomatiques), petites libertés avec l'exactitude des faits pour servir une bonne cause.