Benoît XVI: histoire et actualité d'un pontificat


Dans Vatican Insider, une autre (belle) recension du livre "Oltre la crisi della Chiesa. Il pontificato di Benedetto XVI", qui sera présenté aujourd'hui au Vatican par Mgr Gänswein (20/5/2016)

>>> Cf.
Le Pontificat de Benoît "au-delà de la crise"


Benoît XVI: histoire et actualité d'un pontificat


19 mai 2016
Paolo Valvo
Vatican Insider
Traduction d’Anna

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Le livre de Regoli réfléchit sur la saison ecclésiale du Pape Ratzinger et en donne une "grille d'interprétation". Il sera présenté le 20 mai à l'Université Pontificale Grégorienne par Gänswein et Riccardi



La disparition de la mémoire du passé même récent est un fait qui n'est paradoxal qu'en apparence, dans un monde où le flux constant des nouvelles et des informations risque d'offusquer la perception de la marque que les événements et les personnes laissent dans l'histoire.
C'est un risque dont n'est pas exempt le pontificat de Benoît XVI (2005-2013), dont on se souvient aujourd'hui presque uniquement pour la façon inattendue par laquelle il s'est conclu, c'est à dire par la renonciation à l'exercice actif du ministère pétrinien de la part du pontife. Et pourtant, comme le souligne Roberto Regoli dans le volume "Oltre la crisi della Chiesa. Il pontificato di Benedetto XVI" (Au-delà de la crise de l'Église, Le pontificat de Benoît XVI) - qui sort le 26 mai chez l'éditeur Lindau - il est significatif "non seulement à cause de sa conclusion imprévisible, mais pour les questions qu'il laisse ouvertes et pas toujours closes".
C'est aussi pourquoi le livre de Regoli - qui sera présenté le 20 mai à 18 heures à l'Université Pontificale Grégorienne par Mgr Gänswein, préfet de la Maison Pontificale et secrétaire particulier du pape émérite, et par l'historien Andrea Riccardi, fondateur de la Communauté de Sant'Egidio - semble utile pour réfléchir sur une saison ecclésiale fréquemment (parfois coupablement) oubliée, mais d'importance essentielle pour la compréhension des nœuds fondamentaux du catholicisme contemporain.

Au regard de la littérature existante sur Benoît XVI, le livre représente un unicum. Son objectif est en effet non pas de retracer une biographie de Joseph Ratzinger, ni de proposer une clé de lecture d'un ou plusieurs aspects particuliers de son magistère, mais de donner au lecteur une première systématisation de l'histoire de son pontificat, ou plus exactement "une grille interprétative", pour utiliser les mots de Regoli. Un objectif ambitieux, surtout compte tenu de la quantité et de la qualité des sources bibliographiques et documentaires actuellement disponibles. En plus du large éventail des discours, des encycliques et des documents composant dans leur ensemble le discours public de la papauté, l'auteur doit en effet recourir aux analyses des auteurs contemporains, aux indiscrétions de la presse italienne et internationale et aux véritables "fuites d'informations" qui ont jalonné les huit années du pontificat, aussi bien à l'intérieur de la Curie (voir le cas Vatileaks, qui aboutit en 2012 à la publication de documents confidentiels du pontife et à l'arrestation du majordome Paolo Gabriele) qu'à l'extérieur, (comme cela se produisit avec la publication de la part de Wikileaks de la correspondance diplomatique américaine, et où des jugements sur le fonctionnement de la machine curiale de Benoît ne sont pas rares).

Le caractère aléatoire de nombreuses reconstructions est évident lors du conclave de 2005, auquel est dédié le premier chapitre. Regoli affronte ici les versions multiples et contradictoires de ce qui s'est passé dans la Chapelle Sixtine, diffusées au lendemain de l'élection de Ratzinger par des sources cardinalices anonymes, "qui peuvent se cacher derrière l'amour pour le vrai ou la malice des ressentiments". À ce propos, l'auteur ne peut pas s'empêcher de constater que "les cardinaux les plus bavards dans les détails sont ceux qui dans leurs récits montrent le plus une attitude antiratzingérienne", ce qui ne parvient pas à s'expliquer la rapidité surprenante avec laquelle Ratzinger est élu pape après juste quatre scrutins.

Malgré les limites des sources auxquelles le livre doit nécessairement recourir, le cadre général présenté par Regoli est très détaillé. Après l'analyse de la période pré-conclave et du conclave, où se dessinent déjà nombre des priorités du successeur de Jean-Paul II (au point que, estime Regoli, "celui qui voulait voter Ratzinger n'aurait pas pu dire qu’il ne savait pas à qui il était en train de donner sa préférence"), le livre s'articule en sept autres chapitres, correspondant à autant de dossiers-clés du pontificat bénédictin, du gouvernement de la Curie au développement du dialogue œcuménique, du rapport avec le monde de la culture aux relations diplomatiques du Saint Siège, jusqu'à l'institution de la "papauté émérite", destinée à animer pour un bon moment encore le débat théologique et canoniste. De toutes les principales questions abordées par Benoît XVI - surtout les plus épineuses - l'auteur donne un examen lucide et apte à évaluer de façon critique aussi bien les choix du pape que la manière dont ils ont été repris au fur et à mesure par les commentateurs.

La "révolution douce" par laquelle Ratzinger a progressivement pris le contrôle de la Curie est présentée dans les premiers chapitres, depuis la nomination des "numéros deux" de certains dicastères jusqu'aux sommets des différentes Congrégations. Un changement qui se produit "selon une logique non pas personnaliste, mais de vision théologique", et dans laquelle émerge d'ailleurs à de nombreuses reprises la difficulté d' "identifier des hommes de confiance, libres et aptes au gouvernement (di governo)". Cette difficulté se manifeste dans les différentes crises que le pontificat traverse, montrant au monde l'image d'un Palais Apostolique où il n'y a "ni réserve, ni obéissance" et laissant entendre que certains, de l'intérieur, tentent de saboter l'action de Benoît XVI. À ce propos, s'il est vrai, comme le souligne Regoli, que "le fait de tomber dans l'ancienne dichotomie historiographique et journalistique d'un pape aux commandes isolé et solitaire serait un raccourci facile", il est toutefois vrai que pendant les années Ratzinger "le rôle du chef est surexposé publiquement", puisque c'est le pontife lui-même qui à de nombreuses occasions protège ses principaux collaborateurs prenant sur lui la responsabilité de leurs manquements, ce qui dénote une "inversion évidente des rôles".

Aux difficultés dans la gestion de la Curie s'ajoutent celles du dialogue avec une base ecclésiale qui en de nombreux cas semble de plus en plus éloignée des acquisitions magistérielles (papales et collégiales) concernant la foi, la morale, la doctrine et le rapport avec la société contemporaine, configurant dans la substance "autant de schismes anonymes".
D'après la lecture de Regoli, la réponse de Ratzinger à la crise de l'Église passe par la reproposition constante d'"un christianisme beau (bello)" de sorte que la foi, comme l'affirme le pape lui-même au clergé de Bressanone [6 août 2008] se fonde justement sur les vertus naturelles: l'honnêteté, la joie, la disponibilité à écouter son prochain, la capacité de pardonner, la générosité, la bonté, la cordialité entre les personnes". En effet, selon le pontife, les croyants ont en quelque sorte besoin d'îles, dans lesquelles puissent vivre et d'où se propagent la foi en Dieu et la profonde simplicité du Christianisme; des havres, des Arches de Noé où l'homme puisse toujours se réfugier". Dans la vision de Benoît XVI, tout cela passe aussi par une sensibilité liturgique renouvelée, qui lui suscite l'opposition de nombreuses Églises locales, face auxquelles le Pape suit sa propre ligne avec la même détermination montrée aussi en affrontant d'autres urgences du gouvernement universel de l'Église (une au-dessus de toutes, le problème dramatique des abus sexuels sur les mineurs).

Parmi les nombreux aspects du pontificat examinés par Regoli, méritent finalement d'être signalés l'engagement pour l'unité des chrétiens, qui concerne en particulier les rapports avec les anglicans - voir l'institution des ordinariats personnels pour ceux qui veulent rentrent dans la communion avec Rome -, le dialogue avec les orthodoxes (de nature plus politique que théologique) et la volonté de régulariser la fracture avec les lefebvristes, qui traverse tout le pontificat et constitue l’un des nombreux dossiers laissés en héritage par Ratzinger à son successeur.
Les nouvelles voies poursuivies par Benoît XVI dans le domaine œcuménique ne rencontrent pas non plus l'unanimité dans l'ensemble ecclésial, ce qui amène l'auteur à terminer, avec une note d'ironie, que "le vieux Benoît XVI semble plus jeune que d'autres évêques et théologiens" et "plus accueillant que certains secteurs de l'épiscopat envers les groupes qui recherchent l'unité de la foi et des sacrements".

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Roberto Regoli, «Oltre la crisi della Chiesa. Il pontificato di Benedetto XVI», Lindau, Torino 2016, pp. 512, € 29,50.