Ettore Gotti-Tedeschi: Benoît XVI et moi


Le magnifique hommage de l'ex-président de l'IOR au Pape émérite (16/2/2016)



Benoît XVI, Gotti Tedeschi:
«Mes souvenirs personnels et ce qui reste»



Marta Moriconi
13 février 2016
www.intelligonews.it
Ma traduction

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Depuis la démission de Benoît XVI, trois ans ont passé. Nous avons contacté l'économiste et ex-président de l'IOR Ettore Gotti Tedeschi, qui raconte l'encouragement reçu du Pape pour son travail à la banque du Vatican. Puis d'autres souvenirs réaffleurent: «Il voulait expliquer à l'Occident que s'il ne se rechristianisait pas, il disparaîtrait»

Le Pape Benoît, quels souvenirs avez-vous de son pontificat? Que reste-t-il de lui?


«Quelle grande responsabilité, présumer connaître la réponse à cette question! Je ne le ferai que dans l'intention d'honorer Benoît et je serai donc prudent, même si mon désir de remercier la Providence de nous avoir donné un Pape aussi grand est énorme.
Benoît transmettait son rôle de Successeur de Pierre en chaque occasion, chaque évènement.
Que veut dire cette considération faite par un pauvre homme comme moi?
Elle veut dire que la dignité du Successeur de Pierre se manifestait constamment chez Benoît, et qu'il inspirait à chaque interlocuteur de bonne volonté d'aimer l'Eglise et de lutter pour vivre la foi.
Les souvenirs que j'ai de son pontificat sont "mes souvenirs" dans le sens qu'ils sont ce que je crois et j'espère avoir compris. Benoît était en train de restaurer "toutes choses dans le Christ", de refondre -, il convertissait à nouveau une Europe afin qu'elle divulgue la culture catholique dans le monde entier. Il voulait expliquer à l'Occident que s'il ne se rechristianisait pas, il disparaîtrait. Il a refocalisé anthropologiquement la centralité de l'homme et sa dignité d'enfant de Dieu, non pas résultat d'évolution d'un bacille. Il a combattu le relativisme, portant Dieu au centre du débat culturel et rationnel, annulant la distance entre foi et raison, dans tous les domaines socio-économiques. Mais il l'a fait avec l'autorité de la raison.
Il a réaffirmé l'autorité du pape et la nécessité de l'Autorité Morale de l'Eglise, catholique, apostolique, romaine. Il a réaffirmé la primauté de la vérité sur la liberté, y compris en affirmant que Dieu est réalité. Il s'est opposé à la "pensée faible" évolutioniste, malthusienne, où le réel cesse d'être rationnel. Il a invité à une réflexion sur les risques d'une science-technique sans finalité, qui peut aller jusqu'à ignorer le caractère sacré de l'homme.
Je m'arrête là parce que la pensée et les projets de Benoît étaient si nombreux et si grands que je n'ose même pas penser que j'ai compris, et je ne veux donc pas chercher à interpréter.
Ce qui reste de lui? Benoît XVI restera dans l'histoire comme "le Grand" ou "Magne". C'est une question de temps. Le temps semble toujours trop, ou trop peu, si nous ne comprenons pas qu'il sert à rendre gloire à Dieu»

Et quels souvenirs personnels portez-vous dans le coeur?


«Je me limiterai naturellement à ceux qui ne sont pas d'ordre privé entre le Pape Émérite et ma personne.
Benoît XVI est le premier et le dernier pape que j'ai jamais rencontré personnellement.
Chaque moment où j'eus le privilège de le voir, de l'écouter et de lui parler a contribué à changer ma vie.
Je l'ai rencontré quand il était cardinal Ratzinger, en Octobre 2004, pour un déjeuner dans la maison d'un grand ami commun, l'ingénieur Gaetano Rebecchini, je me rappelle qu'était également présent le Président émérite Francesco Cossiga. Nous avons parlé longuement de la mondialisation, de ses effets, ses opportunités et ses risques. A cette occasion spécifique, je fus frappé par sa capacité à comprendre les points clés de faits complexes, à vouloir approfondir les «règles du jeu» des mécanismes de la mondialisation. L'attention et l'intérêt du cardinal Ratzinger étaient concentrés sur les aspects moraux résultant du processus d'homogénéisation dû à la mondialisation. Je dois admettre que dans cet entretien, où, apparemment, je cherchais à donner des explications, c'est moi qui reçus, par ses questions, les leçons indispensables pour comprendre où l'humanité allait. Ce fut à ce moment que j'eus une synthèse essentielle pour mes réflexions ultérieures sur la question.
Le second souvenir est lié à ma contribution marginale à des réflexions sur des aspects économiques de la première ébauche de Caritas in Veritate (2007), puis de la version finale presque un an plus tard, avant la publication. J'ai étudié si attentivement ladite Encyclique que je peux la qualifier de "manuel" de ma maturation culturelle et spirituelle. Dans la pensée de Benoît, il y avait la Vérité qui risquait de succomber à la gnose nihiliste. Dans cette Encyclique, il y a la prévision-prophétie de ce qu'aujourd'hui nous vivons et souffrons.
Le troisième souvenir se réfère à l'encouragement qu'il m'a donné dans mon travail en tant que président de l'IOR (mais de cela, je ne veux pas parler).
Le quatrième souvenir se réfère à la consolation qu'il me transmit après l'histoire (encore mystérieuse aujourd'hui, car on veut qu'elle reste telle) de mon limogeage. Et cela aussi grâce au rôle de SE Mgr Georg Gänswein, personne tout aussi extraordinaire, vrai fils spirituel de Benoît, mais de cela aussi je préfère ne pas parler».

Quel chemin nous a-t-il indiqué? Et de ses analyses prophétiques, laquelle reste la plus imprimée?


«Pour le comprendre de manière à ce que cela serve à tous, il faut relire Caritas in Veritate. Et même, pour ceux qui n'ont malheureusement que peu de temps (ne sachant pas ce qu'ils perdent), je suggère de lire au moins l'introduction, qui représente un essai sur la gnose.
Dans l'introduction, il explique que l'homme, imprégné de culture nihiliste, perdant toute valeur de référence, ne saura pas faire la distinction entre la fin et les moyens, les moyens prendront une autonomie morale, ils deviendront leurs propres fins, l' homme au milieu. Et ce sera la fin de l'homme.
Dans l'encyclique, il développe cette pensée superbement, concluant que dans une crise mondiale et totale comme celle que nous vivons, ce ne sont pas les instruments qui doivent être changés, mais l'homme.
Comment ensuite changer l'homme, il l'explique dans l'encyclique Lumen Fidei (signée par le pape François en 2013).
Telle est la tâche de l'Eglise, qui doit la réaliser avec trois instruments: le magistère, la prière, les sacrements. Là est la vraie espérance, voilà comment trouver la vraie consolation dans les misères humaines qui nous affligent chaque jour dans chaque partie de notre vie, en matière économique, en matière éthique, en matière spirituelle. Si l'Église n'aide pas les gens de ce siècle à affronter la vraie misère, qui est morale, et ne le fait pas en enseignant, en faisant prier et en revalorisant les sacrements, les tentatives suggérées par la gnose moderne, donneront les résultats que Benoît XVI a prévus».