La clé musicale du pontificat de Benoît XVI (III)



Dernière partie de la traduction de l'exposé du cardinal Koch, le 26 avril, lors la présentation des Actes du Symposium pour le dixième anniversaire de Deus Caritas Est. (3/5/2016)

>>> La clé musicale du pontificat de Benoît XVI (I)
>>> La clé musicale du pontificat de Benoît XVI (II)
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Source de l'image: www.fmrarte.it/opere-uniche/deus-caritas-est/

Deus Caritas Est
Clé musicale de la pensée théologique
et du Pontificat de Benoît XVI
(III)


Cardinal Kurt Koch
26 avril 2016.
www.fondazioneratzinger.va
Ma traduction

3. Le ministère pétrinien comme une "présidence dans la charité"


L'amour, dans son unité inséparable d'amour de Dieu et d'amour du prochain, est la clé musicale la pensée théologique du pape Benoît XVI, qui, au fond, est une ample exégèse du quatrième chapitre de la première lettre de Jean. Il n'est donc pas étonnant que l'amour ait été aussi la clé musicale du ministère pétrinien du pape Benoît XVI. En effet, il a compris son pontificat comme primauté du service à l'amour, s'inspirant des paroles de saint Ignace d'Antioche dans sa lettre aux Romains, qui définissent l'Église de l'Évêque de Rome comme cette Eglise qui «préside dans la charité», dans la conviction que la présidence du successeur de Pierre dans l'enseignement de la foi et sa présidence dans la charité sont indissociables.

D'un côté, la présidence dans la charité se fonde sur la présidence (le ‘présider’) dans la foi. De fait, la présidence dans la charité que l'évêque de Rome doit assumer consiste principalement dans le devoir qu'a l'Eglise d'obéir à la volonté de Dieu, et est donc un service d'obéissance à la foi, comme le pape Benoît XVI l'a exprimé avec des paroles profondes durant la célébration inaugurale sur la chaire de l'évêque de Rome dans la Basilique de Saint-Jean de Latran, le 7 mai 2005: «Le Pape n'est pas un souverain absolu, dont la pensée et la volonté font loi. Au contraire: le ministère du Pape est la garantie de l'obéissance envers le Christ et envers Sa Parole. Il ne doit pas proclamer ses propres idées, mais se soumettre constamment, ainsi que l'Eglise, à l'obéissance envers la Parole de Dieu, face à toutes les tentatives d'adaptation et d'appauvrissement, ainsi que face à tout opportunisme». La charité, au service de laquelle se met de manière particulière l'Évêque de Rome, est donc fondée sur la foi et sur sa primauté.

De l'autre côté, la présidence dans la foi et dans l'obéissance à la foi est inséparablement liée à la présidence dans la charité. La présidence de l'Évêque de Rome dans la foi doit être une présidence dans la charité. L'enseignement de l'Eglise ne peut atteindre les personnes que s'il les conduit à la charité. En effet, «une foi sans amour ne serait plus une authentique foi chrétienne» (Messe avec les nouveaux cardinaux, 19 février 2012).

Pour le pape Benoît XVI il y a quelque chose d'encore plus profond et plus concret. En effet, dans l'église primitive, le mot «caritas» désignait également le mystère de l'Eucharistie, dans lequel on fait l'expérience toujours renouvelée, et avec une intensité particulière, de l'amour de Jésus-Christ pour son Église. Par conséquent, l'Évêque de Rome assume sa responsabilité surtout dans le fait qu'il vit sa présidence dans la charité et, dans l'Eucharistie, réunit toutes les églises locales du monde entier en l'unique Eglise universelle. Présider dans la charité signifie donc «attirer les hommes dans une étreinte eucharistique - l'étreinte du Christ - qui dépasse chaque barrière et chaque extranéité, et crée la communion de toutes les différences» (ibid).

Pour le pape Benoît XVI, il est d'une importance fondamentale que le ministère pétrinien ne puisse être compris qu'à la lumière de l'Eucharistie et, par conséquent, que la primauté de l'évêque de Rome ne soit pas un simple élément juridique, et encore moins un ajout extérieur à l'ecclésiologie eucharistique, mais soit fondée précisément en elle, dans la mesure où ce primat n'a de sens qu'en référence à ce réseau eucharistique mondial qu'est l'Eglise. Par conséquent, le ministère pétrinien est un primat dans la charité dans le sens eucharistique, puisqu'il garantit dans l'Eglise une unité qui permet et protège la communion eucharistique et empêche, de manière crédible et efficace, qu'un autel soit élevé contre un autre autel. Le ministère pétrinien est un service à l'unité eucharistique de l'Eglise et fait en sorte que l'Église prenne toujours l'Eucharistie comme critère et comme mesure.

A la lumière de ce lien entre l'Eucharistie et le ministère pétrinien comme présidence dans la charité affleure à nouveau l'unité indissoluble entre l'amour pour Dieu et l'amour du prochain, ainsi que l'unité indivisible entre la liturgie et l'action sociale dans la vie de l'Eglise. Là est l'essence de la première encyclique du pape Benoît XVI, dans son unité inséparable entre la première et la deuxième partie. Et cette quintessence a continué à marquer aussi le pontificat du pape François, comme le montre le titre du livre qui est présenté aujourd'hui: "Deus Caritas Est, porte de la Miséricorde". Ce titre est un signe éloquent de la continuité fondamentale qui existe dans le Magistère entre le Pape Benoît XVI et le Pape François.

D'un côté, cette continuité a été soulignée par François, quand, dans sa conversation avec Andrea Tornielli, il se réfère au pape Benoît XVI, pour qui la miséricorde est «le cœur du message évangélique», «le nom même de Dieu, le visage avec lequel il s'est révélé dans l'Ancienne Alliance, et pleinement en Jésus-Christ, incarnation de l'amour créateur et rédempteur». A l'occasion du dixième anniversaire de la publication de l'encyclique «Deus Caritas Est», le Pape François a attiré l'attention sur son actualité permanente, puisqu'elle traite d'un thème «qui permet de parcourir à nouveau toute l’histoire de l’Eglise, qui est aussi une histoire de la charité. C’est l’histoire d’un amour reçu de Dieu et qui doit être transmis au monde : cette charité reçue et partagée constitue le pivot de l’histoire de l’Eglise comme celui de notre histoire à chacun de nous» (Discours aux participants au Congrès sur l'encyclique DCE, 26 février 2016 ).

De l'autre côté, le pape Benoît XVI, dans sa conversation avec le théologien jésuite Jacques Servais, publiée récemment, a dit que pour lui, c'est un «signe des temps» que l'idée de la miséricorde de Dieu «devienne de plus en plus centrale et dominante» et que le Pape François se place dans le sillage d'une tradition qui met l'accent sur la centralité de la miséricorde divine: «Sa pratique pastorale s'exprime justement dans le fait qu'il nous parle sans cesse de la miséricorde de Dieu».

4. La centralité de la charité dans une perspective œcuménique


La centralité du message de la miséricorde de Dieu met en évidence, pour le pape Benoît XVI, qu'au fond, les hommes d'aujourd'hui aussi «attendent le Samaritain qui se penche sur eux, verse de l'huile sur leurs plaies, prend soin d'eux et les porte à l'abri. Ils savent, à la fin, qu'ils ont besoin de la miséricorde de Dieu, de sa tendresse» (cf. interview de Benoît XVI par le P. Servais). Le pape Benoît a ajouté que, dans le thème de la miséricorde, le sens la justification par la foi a été exprimé d'une manière nouvelle, et que, partant de la miséricorde de Dieu, «le point essentiel de la doctrine sur la justification se laisse interpréter encore aujourd'hui d'une façon nouvelle» et se révèle une fois de plus «dans toute son importance» (ibid).

A la lumière de ce qui précède, l'actualité œcuménique de l'encyclique «Deus Caritas Est» apparaît clairement. Avant de conclure, je voudrais faire quelques commentaires à ce sujet, parce que, dans l'encyclique, l'engagement œcuménique de l'Eglise n'est mentionné que de façon marginale. Mais de l'encyclique, on peut dire la mêmes chose que ce qu'avait dit le cardinal Joseph Ratzinger à propos du Catéchisme de l'Eglise catholique, observant que la dimension œcuménique de ce texte ne peut être trouvé si on y cherche uniquement des citations de documents œcuméniques, mais seulement si «on le lit dans son intégralité, et si on le voit comme marqué dans son intégralité par la recherche de ce qui unit».

De même, l'encyclique «Deus Caritas Est» a une importance œcuménique non pas parce qu'elle traite explicitement d'œcuménisme, mais parce que, d'une manière beaucoup plus profonde, en revenant à la Sainte Écriture, elle met en évidence l'essentiel et ce qui est partagé par tous les chrétiens, retrouvant, dans la profondeur de la foi chrétienne, la source commune de l'unité de l'Eglise. Cette importance œcuménique de l'encyclique a été reconnue par l'éminent théologien protestant Eberhard Jüngel, qui, après une lecture attentive de l'encyclique, lui a attribué un «partage œcuménique étonnamment ample et profond» et a vu en elle «le fondement pour une entente œcuménique sur la définition qu'en réalité mérite l'amour».

Le caractère œcuménique de l'encyclique du pape Benoît XVI transparaît également dans le choix d'une date symbolique pour sa publication.

L'encyclique signée par le pape Benoît à Noël 2005, a été publié exactement un mois plus tard, le 25 Janvier 2006 à la basilique Saint-Paul-hors-les-Murs, le jour et le lieu de la célébration des Vêpres présidées chaque année par le Pape à la fin de la semaine de prière pour l'unité des chrétiens.

Cette coïncidence a été mentionnée par le Pape Benoît XVI lui-même dans l'homélie prononcée à cette occasion, pour indiquer le noyau central de l'œcuménisme qui consiste dans le [fait de] «considérer le chemin œcuménique tout entier dans la lumière de Dieu, de l'Amour qui est Dieu». De fait, «l'amour vrai n'annule pas les différences légitimes, mais les harmonise dans une unité supérieure qui n'est pas imposée de l’extérieur, mais qui, de l'intérieur, donne forme, pour ainsi dire, à l'ensemble».

Dans cette conviction réside le motif le plus profond à la base de l'engagement œcuménique qui a marqué le pontificat du pape Benoît XVI: ce fut un pontificat cohérent du point de vue œcuménique, justement parce qu'il s'est révélé à la fois un pontificat pleinement évangélique, avec en son centre le message de l'amour de Dieu et l'encouragement à vivre une vie d'amour, aussi et précisément dans les relations œcuméniques.

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Notre reconnaissance et nos remerciements vont aux deux théologiens Markus Graulich et Ralph Weimann , parce qu'ils ont saisi l'occasion du dixième anniversaire de la publication de la première encyclique du pape Benoît XVI pour discuter et approfondir dans un colloque international ses importantes impulsions et la réception qu'elle a eu jusqu'à présent dans les différents continents.

A ces remerciements, je joins aussi l'espoir que la publication des actes du colloque contribuera à réveiller dans la vie et la mission de l'Eglise d'aujourd'hui la grandiose vision de l'encyclique «Deus Caritas Est» et à maintenir éveillé, le faisant fructifier, le patrimoine théologique du pontificat du pape Benoît XVI.

FIN