Le card. Ratzinger converse avec des jeunes (II)



Suite et fin de l'entretien avec les étudiants et les professeurs de l'Université de Navare, en janvier 1998 (7/1/2016).

>>> Première partie ici: Le card. Ratzinger converse avec des jeunes (I)

 


COLLOQUE DU CARDINAL RATZINGER AVEC DES JEUNES UNIVERSITAIRES
AU COLLEGE MAJEUR BELAGUA (NAVARRE)


www.benedictogaenswein.com
Traduction Carlota

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Le 30 janvier 1998, celui qui était alors le cardinal Joseph Ratzinger est venu à Pampelune au motif de son investiture comme Docteur Honoris Causa en Théologie par l’Université de Navarre. La cérémonie académique avait lieu le jour suivant dans le Grand Amphithéâtre (Aula Magna) et était présidé par le Prélat de l’Opus Dei et Grand Chancelier de l’Université de Navarre, Mgr Javier Echevarría. Assistaient aussi à la cérémonie les principales autorités navarraises.

Le Préfet de la Congrégation pour la Doctrine de la Foi d'alors, avait été parrainé par Pedro Rodríguez, professeur de la Faculté de Théologie. Recevaient également la distinction, l’économiste hébreux Julian Simon et le pharmacologue calviniste Douwe Breimer. Plus de 2.400 personnes ont suivi la cérémonie en direct depuis l’Aula Magna ou par l’intermédiaire du circuit interne de télévision.

Mgr Ratzinger est resté quatre jours en terres navarraises, du 30 janvier au 2 février 1998 et a résidé au Collège Majeur Belagua. Durant son séjour il a visité la Cathédrale de Pampelune où il a rencontré l’archevêque de Pampelune, à l’époque, Mgr Fernando Sebastián, et les membres du chapitre. Il a pu aussi découvrir différents lieux de la ville et visiter avec beaucoup d’attention la Clinique Universitaire de Navarre. Par ailleurs il a rencontré des universitaires des différents Collèges Majeurs, professeurs des Facultés d’études ecclésiastiques, et chercheurs dans le secteur biomédical. En outre il est intervenu lors d’une conférence de presse durant laquelle il a présent son autobiographie « Ma vie. Souvenirs (1927-1997)» [ndt dans sa version en castillan «Mi vida. Recuerdos (1927-1997)» éditions Encuentro] .

Le jour avant de recevoir le Doctorat Honoris Causa, le cardinal Jospeph Ratzinger avait tenu un colloque avec quelque deux cents universitaires au Collège Majeur de l’Université Belaga de Pampelune.
Voicci le texte intégral du colloque.

(Ndt: les questions adressées au cardinal Ratzinger sont en gras)


J’étudie l’Architecture. Je suis un passionné de musique, j'aime surtout le chant choral polyphonique. Au Collège (ndt résidence universitaire) nous avons un chœur, de sorte que l’on chante beaucoup… A ce sujet, à l’Université (ndt dans le contexte, donc l’Université de Navarre et sa spécificité mais il y a déjà presque deux décennies) il y a pas mal de gens qui pratiquent, il y a une vie de piété profonde chez beaucoup d’étudiants. Certains, en arrivant à l’Université, en voyant cette vie de piété en sont surpris et se sentent remués. Je voudrais que vous nous parliez un peu de la possibilité que nous avons tous d’approcher les gens pour qu’ils aient un traitement plus intime avec le Seigneur, de l’apostolat que l’on peut faire à l’Université.

Tout d’abord, je dois faire l’éloge de cette attention portée à la musique polyphonique qui est déjà en elle-même une expression de la beauté de la foi, et la beauté a la force de la conviction. Il y a beaucoup de personnes qui dans l’art, - que ce soit en musique, en peinture et dans les arts plastiques -, ont l’intuition de Dieu et c’est pourquoi la beauté est une grande force de l’Église et qu’il faut en prendre soin. Il y a beaucoup de personnes qui le comprennent, et le fait de prendre soin de la beauté est déjà une forme d’apostolat. En ce qui concerne d’autres aspects de l’apostolat, je crois qu’il s’agit d’une question très personnelle. Il y a des activités organisées au niveau institutionnel : des actes liturgiques, des conférences…Il y a beaucoup de possibilités, depuis la retraite, avec ce souci du silence, la lecture des Saintes Écritures, le contact avec des auteurs de spiritualité, le fait de cheminer vers la liturgie. Mais évidemment, à titre individuel, chaque personne a la possibilité et la mission d’apostolat.

Il y a des personnes avec lesquelles on pourra facilement entrer en conversation sur des thèmes de foi, établir une amitié et transmettre ses propres expériences. Dans d’autres cas, au contraire, cette entrée directe peut amener à un effet opposé de choc, de rejet, et il faudra commencer à parler avec soin d’autres thèmes communs qui favoriseront l’amitié, en rapprochant petit à petit ces amis vers des personnes qui vivent la foi, vers une atmosphère où l’on vit la foi, et ensuite, on pourra parler directement de ces sujets.

Je pense que dans tous les cas l’apostolat individuel exige énormément de tact de la part de la personne, une capacité à distinguer ce qui convient à un moment, ce qui aide ou ce qui pourrait produire un rejet. Il faut connaître les éléments de base de ce rapprochement vers la foi : l’amitié, le contact avec des personnes ou des groupes qui vont vivre de cette foi, la façon de parler des choses, la lecture des auteurs qui pourront aider et le rapprochement vers des cérémonies liturgiques. Et là ce qui est personnel et ce qui est institutionnel vont se fondre parce que ce qui est personnel apporte à la communauté et que la communauté aide à son tour la personne à découvrir peu à peu la foi.

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Je suis le doyen de la Faculté de Communication de l’Université où étudient 1300 élèves. La faculté fête actuellement ses quarante ans et est la plus ancienne d’Espagne dans ce domaine et a commencé quand il n’y avait pas de tradition d’enseignement du Journalisme, de la communication, parce que le fondateur, le Bienheureux Josémaria (ndt: Josémaria Escrivá de Balaguer 1902-1975 fondateur de l’Opus Dei) était conscient de l’influence qu’avaient dans l’opinion publique les gens qui se consacraient à ces tâches. Tous les ans sortent de cette Faculté 300 personnes qui travaillent dans les journaux, les revues, à la radio, la télévision, le cinéma, la publicité…Nous essayons que ce soient des personnes qui défendent la vérité, qui sachent rectifier quand elles se sont trompées, qui soient honnêtes, qui respectent l’intimité des personnes, qui fassent la part des choses entre leurs différentes sources…Cependant, dans certain cas nous voyons qu’avec le temps il y en a qui ne sont pas capables de résister aux fortes pressions idéologiques, politiques, économiques…Je voudrais demander si vous avez une idée qui pourrait nous éclairer pour former des gens qui toute leur vie respectent la vérité, qui toute leur vie soient honnêtes, qui toute leur vie soient cohérents avec cette tâche qui touche l’opinion publique.

La vérité est que j’aurais attendu d’un doyen de la Faculté de Communication avec une telle expérience qu’il nous donne la solution à ce problème...parce que effectivement cela nous préoccupe qu’il y ait des personnes bien formées et réellement de bonne volonté qui finissent pas succomber à la loi de l’environnement dans lequel ils vivent. Les media ont aujourd’hui leur propre loi et c’est très facile de succomber à cette loi ; cette loi, qui cherche plus ce qui est sensationnel que ce qui est ordinaire, ce qui est normal, et qui pour cela donne plus de place au mal qu’au bien. Mon expérience est qu’il est très difficile de résister véritablement à cette pression. Et quand Monsieur le Doyen a commencé à parler, j’ai espéré qu’il nous donne quelques règles sur la façon de rester sur ce chemin toute la vie. D’un côté cela me console aussi que Monsieur le Doyen ait et voie ces problèmes. De l’autre, nous devons voir, nous devons souhaiter qu’il y ait des media qui vraiment favorisent le bien, qui réellement favorisent la règle (le canon) de la véritable humanité, c'est-à-dire de l’humanité chrétienne. Moi je n’ai aucune recette. Il me vient à l’esprit des choses.
D’une part je pense que c’est très important d’accompagner continuellement ces personnes, ne pas les laisser, ne pas les abandonner dans ce milieu qui a tant de force, mais [ il faut] créer un contre media, un moyen alternatif en maintenant toujours ce fond différent (ndt fond pour le mot en espagnol qui signifie ce qui est au-delà du fond visible d’une chose, des apparences d’une action humaine. Le fond substantiel ?), c’est à dire que ce fond dans lequel ils ont été formés soit toujours présent dans leur vie et dans leur tête.

Les accompagner, créer un contrepoids, créer un deuxième environnement. Et en second lieu, il me paraît important qu’ils puissent avoir avec une certaine régularité un repos durant lequel ils puissent respirer profondément, dans lequel ils puissent récupérer des semaines avec des réunions ou quoi que ce soit. Ce qu’en termes universitaires l’on appelle une année sabbatique. Introduire régulièrement des congés sabbatiques pour les journalistes durant lesquels ils puissent récupérer ce supposé intellectuel, cet supposé moral, que ces congés leur permettent d’ordonner de nouveau leurs idées. Qu’il y ait des pauses, des repos pour des travaux peut-être moins épuisants, du temps qu’ils puissent consacrer à l’écriture d’un livre ou pour travail durant une saison dans un bon journal où peut-être la pression est moins importante que sur une chaîne de télévision…

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(Ndr nouvelle question mais l’intervenant ne semble pas mentionné) Une réalité que j’ai rencontrée aux États-Unis et lors des congrès internationaux, c’est que la science moderne ne paraît pas être faite pour les esprits chrétiens. Nous les chrétiens nous payons le prix fort pour cela. Parfois j’ai peur que ce qui a été dit il y a déjà un siècle, c'est-à-dire que la religion est l’opium du peuple, cela nous soit arrivé en matière de science : que d’une certaine façon, le fait de savoir par la foi que ce monde n’est pas le monde définitif nous ait amenés à ne pas prendre au sérieux la réalité de ce monde. Dans votre autobiographie vous traitez le sujet de l’escathologie (ndt du grec ἔσχατος / eschatos, « dernier », et λόγος / lógos, « parole », « étude », donc le discours sur la fin du monde) et comment cela influence notre vie. J’aimerais que vous éclairiez mes doutes.

En réalité il n’est pas facile de dire maintenant et en peu de mots quelque chose de sensé sur le sujet. La science moderne a été faite par des non-chrétiens dans le sens que l’on s’est basé sur une méthodologie dans laquelle Dieu ne doit pas apparaître. Cela ne veut pas dire que l’on nie Dieu, mais simplement qu’il ne peut pas apparaître dans la méthodologie. Et, cependant, on a construit une méthode avec laquelle l’on veut expliquer toute la réalité, c'est-à-dire que la méthodologie a construit un monde, qui est notre monde, et qui en même temps doit être un monde sans Dieu. Nous vivons dans un monde construit par la science qui prétend expliquer l’ensemble du monde dans lequel nous vivons. Et Dieu est avec ce qui détermine notre vie, et notre problème est maintenant de mettre ensemble les deux choses, comment les marier.

Puis il y a cette nuance de ce que les chrétiens ont abandonné le monde en pensant d’une manière excessive à l’au-delà et que, par conséquent, ils ne se sont pas occupés de ce monde avec autant de force. C’est une forme d’autocritique chrétienne qu’effectivement nous devons exercer et à laquelle nous devons donner une réponse. Il me semble à partir de là qu’il serait très difficile de dire quelque chose de valable, et c’est pour cela que je propose de le faire d’une façon plus résumée, en disant que si nous perdons complètement de vue ce qui touche à l’éternité, alors aussi ce qui touche à ce qui est au-delà de ce monde perd de sa valeur, parce qu’il se consume dans cette brève période dans laquelle nous vivons. Par conséquent, également du point de vue humain il est nécessaire de s’ouvrir à l’éternité et de s’ouvrir à Dieu. Or si l’on néglige ce qui est terrestre, alors on a mal compris Dieu et l’éternité, parce que précisément la foi en Dieu et la foi en l’éternité amène à renforcer la responsabilité pour ce qui est terrestre, parce que en tous les instants de la ma vie je crée l’éternité et si je néglige ce devenir terrestre, ce faire l’éternité dans ce qui est temporaire, j’entre en contradiction avec moi-même. Il me semble que c’est ce que nous devons apprendre : que sans l’éternité l’on ne peut pas vivre parce que le temps reste vide, mais c’est seulement si ce savoir de l’éternité arrive à remplir pleinement ce temps, que cela acquiert un sens.

Source du texte : udep.edu.p

Source photos: Collège Majeur Belagua