Le Pontificat de Benoît "au-delà de la crise"


Présentation demain à Rome, en présence de Georg Gänswein, d'un livre qui se propose de dresser un "bilan" du Pontificat de Benoît XVI. L'Avvenire publie un extrait de la conclusion de l'auteur, Roberto Regoli (19/5/2016)

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Il serait prématuré de ma part de donner un avis sur le livre... mais il me semble qu'il est également prématuré (l'auteur lui-même en convient, d'ailleurs) de dresser un bilan maintenant, avec si peu de recul.
Je suis curieuse de savoir ce que dira le Secrétaire du Pape émérite lors de la présentation de l'ouvrage.
A suivre.

LE LIVRE
Demain à la Grégorienne
www.avvenire.it/Cultura

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Le pontificat de Benoît XVI a fait l'objet de nombreuses analyses sur des questions spécifiques, mais pas encore d'un bilan historique global.
C'est ce que se propose au contraire le livre (nous publions un extrait des conclusions) "Au-delà de la crise de l'Eglise. Le Pontificat de Benoît XVI" [Oltre la crisi della Chiesa. Il pontificato di Benedetto XVI de Roberto Regoli], de Roberto Regoli, directeur du département d'histoire de l'Église à la Grégorienne.
Le texte sera présenté demain 20 mai à 18 heures, à l'Aula Magna de l'Université pontificale grégorienne, où Joseph Ratzinger a enseigné en 1972-73.
Après le salut du père Nuno da Silva Gonçalves, doyen de la Faculté d'Histoire et du patrimoine culturel de l'Eglise, et prochain président de l'université, interviendront, avec l'auteur: Mgr Georg Gänswein, préfet de la Maison pontificale, et l'historien Andrea Riccardi, fondateur la Communauté de Sant'Egidio. C'est Paolo Rodari, vaticaniste à La Repubblica qui animera et modérera la rencontre.
Le livre consacre une vaste place non seulement à l'évaluation extérieur (Pontificat expansif ou dépressif?)[??], ou à des questions telles que les abus sexuels sur mineurs et l' oecuménisme, mais fait aussi ressortir les grands problèmes de la vie interne de l'Eglise.

Benoît
Le souffle du millénaire


Roberto Regoli
19 mai 2016
www.avvenire.it/Cultura
(Ma traduction)

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Comment évaluer le pontificat bénédictin? La réponse à une question de Peter Seewald par Benoît XVI semble révélatrice. L'intervieweur demandait: «Êtes-vous la fin de l'ancien ou le début du nouveau?». Le pape répondit: «Les deux».
Question et réponse bien choisies. Son pontificat ne peut pas être catégorisé dans des définitions rigides. Un pontificat ne peut pas être seulement lu à la lumière des dynamiques catholiques et plus largement religieuses.
Il doit être ultérieurement contextualisée. Les années de Benoît XVI ont suivi le 11 Septembre 2001, qui a ouvert pour le monde occidental une saison de précarité, dépendant d'un sentiment d'insécurité lié aux attentats qui ont eu lieu à New York, comme à Madrid et ailleurs. En outre, le pontificat se déroule durant la grande crise économique et financière internationale de 2008, qui crée une incertitude supplémentaire, cette fois sociale. Le monde, en particulier l'Occident, vit un sentiment d'instabilité permanente, auquel il n'était plus habitué depuis des décennies. D'autre part, dans ce contexte de polarisation, où les frictions politiques internationales revêtent même le visage de la religion, le catholicisme, dans son sommet romain, se charge de délégitimer religieusement tous les conflits armés et de proposer le dialogue inter-religieux comme voie culturelle et politique vers la paix.

Si pour la crise de 2008, on a une encyclique (Caritas in veritate), indiquant une voie sociale catholique, pour le terrorisme international d'identité religieuse (musulmane ou autre [?])le catholicisme repropose comme instrument la persuasion fondée sur le dialogue raisonnable. Cela peut sembler une faiblesse, parce que l'usage de la raison est très fragile face à la raison de la force. Mais le catholicisme y est habitué depuis longtemps. Une caractéristique distinctive du pontificat a été celle de l'ouverture intellectuelle et la rencontre avec des représentants d'autres traditions culturelles et religieuses.

Cette attitude a permis divers repositionnements culturels des interlocuteurs, jusque-là impensable, dans le contexte de l'urgence anthropologique et de la violence religieuse. Il faudra voir si ce nouveau parcours des relations entre l'Eglise et le monde continuera d'être encouragé ou au moins alimenté dans le long terme, afin de ne pas le réduire à un rayon de soleil en hiver.
Dans les faits, ce dialogue répond également à une préoccupation laïque présente chez la plupart des observateurs, autrement dit «si une civilisation peut survivre sans une grande religion qui la soutienne et lui donnent une âme». Mais la motivation papale du dialogue va bien au-delà, c'est une préoccupation avant tout pastorale: faire connaître le Christ. C'est une préoccupation de foi.
Benoît XVI n'est pas un politique, ce qui est la faiblesse de son pontificat. Dans les décisions de son pontificat il ne s'est pas préoccupé de construire un consensus et de le mettre en œuvre, mais il s'est seulement posé la question sur le juste, le vrai et le bien, fournissant sa propre réponse.

D'un professeur et d'un intellectuel de son calibre, malgré le cardinalat, puis la papauté, il est toujours resté lui-même. Cette liberté intérieure de fond lui a permis de renoncer au ministère pétrinien actif. Les réformes bénédictines ne consistent pas seulement dans les mesures concernant la liturgie, les règles du Code de Droit Canon et les structures des ordinariats. La réforme mise en œuvre par Benoît XVI concerne un mode de penser, de sentir l'Eglise, et l'Eglise dans son contexte social et culturel. Le dialogue identitaire mis en œuvre pousse le catholicisme lui-même et ses interlocuteurs au cœur des questions, au-delà des «bons sentiments» (mais jamais contre eux).
Le pape Benoît XVI ne pourra être compris que dans le long terme. Il a mis en route de nombreux processus.

En ce sens , son pontificat apparaît comme une rivière souterraine (fiume carsico = rivière karstique), dont on sait où commence le parcours, mais pas où elle va déboucher. Il faudra encore du temps pour comprendre, et comprendre bien. Mais finalement, celui de Benoît XVI a-t-il été un pontificat de succès ou d'échec? La question m'a été posée par le metteur en scène Christoph Röhl tandis que je concluais ces pages. Elle me semble prématurée. Peut-être même forcée, car il faudrait en comprendre les termes. Que signifie «succès» ou «échec» pour un pontificat? Sont-ce les critères d'évaluation ecclésiaux, politiques, pastoraux, théologiques ou culturels, qui doivent prévaloir?[...] Le succès et l'échec d'un pontificat ne sont pas mesurés sur le court terme, mais sur le long terme. Ce qui compte, c'est si les acquisitions de ce pontificat et les processus initiés par lui trouveront une confirmation dans le temps.

La papauté bénédictine étant concentrée sur les articulations culturelles et anthropologiques du troisième millénaire, comme sur les points les plus sensibles de la foi de l'Eglise et de ses formes dans l'histoire, tout laisse penser que son évaluation prendra du temps. Peut-être même plus de temps que d'autres pontificats, parce que le coeur de la politique papale a concerné des questions qui selon toute probabilité, continueront à animer dans les prochaines années, le grand débat, à l'intérieur et à l'extérieur de l'Église.
Succès ou échec, alors? C'est maintenant le temps de l'attente patiente, au-delà de l'«enclos» du Vatican, au-delà de la crise de l'Eglise.