Grands thèmes du pontificat de Benoît XVI (I)


Première partie du long, magnifique - et surprenant de sa part - "plaidoyer" pour le Pape philosophe, moraliste et théologien, par Aldo Maria Valli (24/7/2016)

 

Pour en savoir un peu plus sur l'auteur, je renvoie à ce résumé de l'interview qu'il a accordée à Giuseppe Rusconi (cf. Le pape devrait être plus prudent) et à un article que je viens de traduire ici (Ratzinger, Schmitt et l'"état d'exception").

Comme le texte est très long, j'ai fractionné la traduction. Et j'ai mis les liens vers les discours dont sont tirés les nombreuses citations qui l'émaillent, espérant ainsi donner à mes lecteurs l'envie de se (re)plonger avec nostalgie dans leur lecture. Ils sont une mine de sagesse, qui nous manque infiniment.

Benoît XVI. Une proposition qui ne passe jamais

Première partie


www.aldomariavalli.it
26 juin 2016
Ma traduction

* * *

C'est le matin du 11 Février 2013, le jour où l'Église célèbre Notre-Dame de Lourdes, que Benoît XVI, s'adressant en latin aux cardinaux réunis en consistoire pour le vote sur certaines causes de canonisation, introduit la catholicité dans une toute nouvelle phase de son histoire bimillénaire. Les mots avec lesquels il ouvre la réunion ont la force explosive d'une bombe: «Conscientia mea iterum atque iterum coram Deo explorata ad cognitionem certam perveni vires meas ingravescente aetate non iam aptas esse ad munus Petrinum aeque administrandum».
Le pape dit qu'il renonce au trône. Il n'y arrive plus.

«Après avoir examiné ma conscience devant Dieu, à diverses reprises, je suis parvenu à la certitude que mes forces, en raison de l’avancement de mon âge, ne sont plus aptes à exercer adéquatement le ministère pétrinien. Je suis bien conscient que ce ministère, de par son essence spirituelle, doit être accompli non seulement par les œuvres et par la parole, mais aussi, et pas moins, par la souffrance et par la prière. Cependant, dans le monde d’aujourd’hui, sujet à de rapides changements et agité par des questions de grande importance pour la vie de la foi, pour gouverner la barque de saint Pierre et annoncer l’Évangile, la vigueur du corps et de l’esprit est aussi nécessaire, vigueur qui, ces derniers mois, s’est amoindrie en moi d’une telle manière que je dois reconnaître mon incapacité à bien administrer le ministère qui m’a été confié. C’est pourquoi, bien conscient de la gravité de cet acte, en pleine liberté, je déclare renoncer au ministère d’Évêque de Rome, Successeur de saint Pierre, qui m’a été confié par les mains des cardinaux le 19 avril 2005, de telle sorte que, à partir du 28 février 2013 à vingt heures, le Siège de Rome, le Siège de saint Pierre, sera vacant et le conclave pour l’élection du nouveau Souverain Pontife devra être convoqué par ceux à qui il appartient de le faire».
(w2.vatican.va)

Qui aurait pensé qu'après presque huit ans, le pontificat de Joseph Ratzinger, le théologien bavarois à la fois ferme et doux, se terminerait de cette façon?
Les premières réactions sont d'incrédulité, tant parmi les cardinaux convoqués par le pape, que dans l'opinion publique mondiale.
Pourquoi cette décision?
Dans les derniers mois de son pontificat, le pape est apparu très fatigué.
Mais n'y a-t-il vraiment que cela? Il reviendra aux historiens de tenter une réponse. Nous, contemporains, nous ne pouvons compter que sur la chronique. Plus particulièrement celle du 13 Février 2013, quand, à l'audience générale du mercredi dans une Salle Nervi (alias Paul VI, ndt) bondée et frémissante d'affection pour le Pape, Benoît XVI, dans sa première apparition publique après la décision sensationnelle de renoncer à la papauté, souligne qu'il est arrivé à sa décision «après avoir prié longuement» et après «avoir examiné ma conscience devant Dieu, bien conscient de la gravité de cet acte, mais tout aussi conscient de ne plus être en mesure de mener à bien le ministère pétrinien avec la force qu'il requiert. La certitude que l'Eglise est au Christ, qui ne cessera jamais de la guider et d'en prendre soin, me soutient et me éclaire».

Les paroles du pape sont à plusieurs reprises interrompues par des applaudissements, elles réaffirment avec clarté que le choix a été entièrement libre. C'est ce que requiert le droit canon: personne ne peut imposer sa démission au pape, et personne ne doit la ratifier.
Dans le livre "Lumière du monde", interviewé par le journaliste Peter Seewald, son compatriote, Ratzinger avait dit clairement, déjà en 2010, que si le pape ressent qu'il ne possède plus la force de gouverner l'Église universelle, il a non seulement le droit, mais le le devoir de se retirer. Et Ratzinger, l'humble et rationnel professeur, a tiré les conclusions qui s'imposent.
Manquant de l'énergie nécessaire, il est préférable de laisser le champ à un pape plus vigoureux.

Mais comment ne pas penser que ce pas, si extrême, n'est pas né aussi des nombreux problèmes qui ont constellé le pontificat?
Qu'il n'est pas le fruit, par exemple, des tensions internes qui ont abouti à l'affaire dite des Vatileaks et à l'arrestation du majordome du pape, accusé d'être "le corbeau"? Comment ne pas soupçonner que le pape était épuisé non seulement par des engagements officiels, mais aussi par une Curie prompte au litige et souvent très peu collaborative avec lui?
Et comment ne pas repenser aux mots prononcés, toujours à Seewald, à propos du jour de l'élection, vécue comme un véritable traumatisme? Ratzinger, se souvenant de ces moments, dit: «Le fait d'être soudainement confronté à cette tâche immense a été pour moi un véritable choc. La responsabilité, en effet, est énorme. J'avais vraiment espéré trouver la paix et la tranquillité. La pensée de la guillotine m'est venue: voilà, maintenant elle tombe et elle te frappe».
Pendant près de huit ans, le pape allemand a accepté de renoncer à la paix et à la tranquillité. Et puis il a dit: ça suffit. Bien que probablement, aucun Dante ne le rendra jamais immortel, on se souviendra de lui comme du pape démissionnaire, plus encore que Célestin V (que Dante évoque dans la Divine Comédie ndt).
Mais est-il juste de ne se le rappeler que pour cela?
Evidemment non. Parce que tout au long de son pontificat, il a parlé, enseigné et indiqué des voies importantes pour tout le monde, pas seulement pour les catholiques, pas seulement pour les croyants. Une contribution considérable au débat sur le plan culturel, religieux et spirituel, face aux défis qui affectent l'homme du XXIe siècle. Une contribution qui mérite d'être analysée.

à suivre ...