Maria Ratzinger: In memoriam


Il y a juste 25 ans, le 2 novembre 1991 mourait à Ratisbonne, à 69 ans, la soeur de Benoît XVI. Le Sueddeutsche Zeitung lui consacre un reportage qui est plutôt une agréable surprise (2/11/2016)


Une discussion à la porte du jardin. À la maison en Pentling Maria Ratzinger s'occupe du ménage de son frère Joseph, mais c'est lui qui sort la poubelle (Photo: Horst Hanske)


De nombreux articles de ce site parlent de Maria Ratzinger. Voir ICI.
Parmi eux, celui de Michael Haseman, entre autre co-auteur du livre "Mon frère le Pape", qui en 2012 dans une longue interview évoquait la belle et émouvante figure de "la silencieuse intermédiaire des frères Ratzinger" (benoit-et-moi.fr/2012-I)

La soeur du Pape


28 octobre 2016
Andreas Glas
www.sueddeutsche.de
Traduction VB

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Elle a servi son frère Joseph pendant de nombreuses années, mais jusqu'à présent, on ne sait que peu de choses sur Maria Ratzinger. Qui était cette femme qui, apparemment, s'est sacrifiée? A la recherche d'indices.


Il y a une photo qui date des années quatre-vingt et cette photo en dit long sur Maria Ratzinger. En arrière-plan, un arbre de Noël, chichement décoré. Devant, ses frères, tous deux en habits de prêtre, droits comme des cierges. Et entre les deux: Maria Ratzinger, la tête rentrée dans les épaules et les yeux fixés au sol, les mains agrippées l'une à l'autre. La photo parle d'une femme si timide qu'elle disparaît presque entre l'image des deux hommes. Une femme qui préfère rester dans l'ombre de ses frères, plutôt que de vivre sa propre vie.
Mais cette photo reflète-t-elle la vérité?

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Pentling près de Ratisbonne, fin Octobre 2016. Le soleil d'automne a encore de la vigueur, le cimetière est silencieux, on n'entend que le crissement des cailloux sous les semelles des chaussures. Maria Ratzinger foulait elle aussi ce gravier il y a juste 25 ans pour préparer la tombe de leurs parents pour la Toussaint. Ce 30 octobre 1991, alors qu'elle revenait du cimetière vers sa maison, elle est victime d'un infactus, et le lendemain de la Toussaint Maria Ratzinger meurt à l'hôpital de Ratisbonne: elle avait 69 ans.

L'avis mortuaire que Joseph et Georg Ratzinger publient dans le SZ, précise que Maria s'est entièrement consacrée à son frère Joseph, le futur pape. On peut y lire: «Pendant 34 ans , elle a servi Joseph dans toutes les étapes de son chemin avec un dévouement infatigable et avec beaucoup de gentillesse et d'humilité».
Maria Ratzinger, une servante, rien d' autre?

Depuis le cimetière, il ne faut quelques minutes à pied jusqu'à la Bergstraße. C'est là que Maria Ratzinger a vécu avec son frère jusqu'à ce que Joseph Ratzinger en 1982 aille à Rome comme préfet de la CDF - et Maria l'a accompagné. La maison de Pentling a été conservée, elle est aujourd'hui un musée, mais il faut encore faire le ménage, et c'est Therese Hofbauer qui s'en charge depuis 34 ans.

En cet après-midi d'Octobre, la septuagénaire est assise à la table de cuisine; dans "le coin du Seigneur" (Herrgottswinkel), il y a un crucifix en bois sculpté et une photo encadrée de son ancien voisin, le futur pape Benoît XVI. A cette table, de nombreux journalistes se sont déjà assis, surtout en 2005, après l'élection du pape. Les journalistes veanaient du monde entier, et assiégeaient aussi Georg Ratzinger, qui vit non loin de là, à Ratisbonne. Jusqu'ici, les médias s'intéressaient au frère du pape - bien sûr parce que Georg est l'ancien maître de chapelle des Domspatzen et lui-même un personnage public. Et sa sœur? «J'ai souvent parlé aux journalistes de Maria» , dit Therese Hofbauer, «mais cela n'intéressait personne»

Maria Ratzinger, né en 1921 , est l'aînée de la fratrie Ratzinger. Elle veut devenr institutrice, mais les études coûtent cher et les parents préfèrent investir dans la carrière des garçons, à l'époque, c'était une chose normale.
Maria va donc à la Haustöchterschule de Au am Inn, un couvent tenu par des religieuses franciscaines où existe une école ménagère. Là, elle reçoit une formation d'économie ménagère, et après la guerre, elle entre comme secrétaire dans un cabinet d'avocats de Münich.

Quand à l'été 1959 son frère Josephest nommé professeur de dogmatique à l'Université de Bonn, Maria décide de l'accompagner. Et elle ne le quittera plus jamais durant le reste de leur vie, elle suivra Joseph Ratzinger partout, et vivra toujours avec lui sous le même toit. Sacrifice de soi? Non, dit Therese Hofbauer, «c'est une énorme erreur. Maria était une femme d'une grande liberté personnelle».

Celui qui veut comprendre ce que cela signifie devrait peut-être jeter un coup d'oeil à la chambre de Maria Ratzinger à Pentling. La fondation qui est aujourd'hui propriétaire de la maison a arrangé les pièces comme elle étaient lorsque Marie et Joseph Ratzinger y vivaient dans les années soixante-dix. Dans la chambre de Maria, il y un lit, une étagère pleine de livres, un bureau et une machine à écrire sur la table. Les livres ont été lus pour comprendre la théologie de son frère, la machine à écrire a tapé ses manuscrits parce que Joseph Ratzinger ne maîtrisait pas la dactylographie.

Maria Ratzinger a été non seulement la cuisinière et la gouvernante de son frère, elle a été en quelque sorte sa "lectrice" [dans le sens de la personne chargée dans une maison d'édition de lire les manuscrits]. A-t-elle eu de l'influence sur le contenu de l'oeuvre de Ratzinger? Elle en a en tout cas discuté avec lui, dit Therese Hofbauer.
Servante? Sacrifice de soi? Il semblerait plutôt que Maria s'était sentie intellectuellement sous-employée dans sa profession précédente.

Ceci est l'autre interprétation de la personnalité de Maria Ratzinger: La femme qui n'a pas pu faire d'études, se tranforme crânement en assistante scientifique de son frère, le professeur d'université Joseph Ratzinger. La femme qui selon les critères d'aujourd'hui était si peu émancipée n'a pas voulu se cantonner dans le rôle de femme au foyer de l'époque.
Pourquoi Maria Ratzinger ne s'est-elle jamais mariée?
«Je ne sais pas», dit Therese Hofbauer, «nous n'en avons jamais parlé. Mais elle était satisfaite». Au lieu de se lier à un mari et à un lieu, Maria Ratzinger a vécu avec son frère à Bonn, Münster, Tübingen, Pentling, Munich, et enfin à Rome. Dans la façon de mener sa vie, elle était étonnamment progressiste», dit Teresa Hofbauer, mais beaucoup de gens ne l'ont pas compris. «La plupart d'entre eux ne savaient pas ce qu'il y avait en elle. Ils l'ont considérée comme un appendice de son frère».

«Que Maria Ratzinger n'était pas seulement la servante de son frère, moi qui étais leur voisine, je l'ai remarqué assez souvent», dit Therese Hofbauer. La poubelle, par exemple, c'était très souvent Joseph Ratzinger qui la sortait. Et elle ne permettait pas que son frère rentre dans la maison avec des chaussures sales».
Maria Ratzinger était en fait la grande soeur, de cinq ans plus âgée que Joseph. Et avec son frère, elle pouvait être «très stricte», dit Therese Hofbauer.

D'autre part, il y a une multitude de preuves que Maria Ratzinger a vécu aux côtés de son frère en réalisant sa propre réussite. Alors qu'elle vivait déjà à Rome, Maria Ratzinger aurait confié à une religieuse d'un couvent de Munich, quelle tenait à bien remplir la mission que sa mère lui avait confiée, et notamment de prendre soin de ses deux frères, en particulier de Joseph». Ce fait est rapporté dans un livre du biographe du pape Johann Nußbaum [c'est peut-être ce livre].

Cet habitant de Rimsting s'est intensément intéressé à la sœur du pape, plus que tous les autres biographes. Il a qualifié Maria Ratzinger de «compagne silencieuse» de son frère. Il était presque toujours là quand Joseph Ratzinger était invité à des événements sociaux. Aussi Nußbaum s'étonne-t-il qu'il y ait si peu d'intérêt du public pour Maria Ratzinger aujourd'hui: «Pour pouvoir donner une image d'ensemble de la famille Ratzinger, il est nécessaire de ne pas occulter ("balayer sous le tapis") cette femme. Mais que sa soeur ait eu une incidence sur le travail de Joseph Ratzinger, il ne le croit pas. «Elle n'a pas seulement tapé les textes», dit Nußbaum, «elle a plutôt corrigé des erreurs de forme, mais pas de contenu».

Quand plus tard Maria Ratzinger est allé avec son frère à Rome, elle a appris l'italien, «parce qu'elle voulait se sentir à l'aise à Rome et pour cela, parler la langue était indispensable» dit Johann Nußbaum dans son livre.
En réalité, elle ne s'est jamais sentie vraiment à son aise dans le monde masculin du Vatican, racontent d'autre témoins. En fin de compte, seul Benoît pourrait sans doute dire si sa sœur était heureuse ou non à Rome. Et Georg Ratzinger pourrait aussi répondre, mais nous ne pouvons pas le lui demander parce qu'il séjourne actuellement à Rome (?) chez son frère, le pape émérite.

Il est clair que la mort brutale de Maria a marqué profondément les frères Ratzinger. À son enterrement Joseph Ratzinger pleurait amèrement, racontent ceux qui étaient présents. Jusqu'à ce qu'il soit élu pape, il venait chaque année à la Toussaint à Pentling pour se rendre sur la tombe de sa sœur, dit Therese Hofbauer.

Il est venu une dernière fois en tant que Pape, à la fin de l'été 2006, au cours de son Voyage en Bavière. Avec son frère Georg, il a marché sur le gravier du cimetière de Pentling, puis il s'est agenouillé et a prié devant la tombe de Maria où reposent aussi les parents de la fratrie des Ratzinger. «Les trois dernières minutes sur la tombe des parents», a titré un journal à l'époque, racontant ensuite l'histoire de la famille du pape. La sœur Maria n'était citée que secondairement.