Souvenirs d'enfance d'un futur Pape


Ce n’est pas le pape François, non, c’est évidemment Benoît XVI. Où l’on voit comment l’amour de la liturgie a façonné toute son existence, depuis ses années les plus tendres (29/2/2016).

 

Le site Rorate Caeli reproduisait hier un court extrait d’un livre à paraître ces jours-ci (au moins en anglais et en italien), « Cher Pape François », recueil des lettres envoyées au Pape par trente enfants sélectionnés dans le monde entier, et des réponses de celui-ci. Une initiative d’une maison d’édition basée à Chicago et fondée par des jésuites, "Loyola Press ».
Le livre est co-édité par un autre jésuite très connu (!), le Père Antonio Spadaro, directeur de la "La Civiltà cattolica" (cf. www.cruxnow.com).





Parmi les questions, il y avait celle d'Alessio un petit italien de 9 ans: "Etais-tu à côté du prêtre, quand tu étais enfant de chœur?
La réponse assez… inattendue (venant d’un Pape!) n'aurait pas détonné dans la bouche d'un de ces ex-enfants de choeur devenus de féroces "bouffeurs de curés" qui s'invitent régulièrement sur les plateaux de télévision lorsqu'il s'agit de dire du mal de l'Eglise. Elle a été traduite en français sur le Forum Catholique.

Cher Alessio,
oui, j'étais enfant de chœur. Et toi ? Quel rôle as-tu parmi les enfants de chœur ? C'est plus facile d'être enfant de choeur maintenant, tu sais. Sache que quand j'étais enfant, la messe était célébrée différemment d'aujourd'hui. À l'époque, le prêtre était face à l'autel, qui était contre le mur, et non pas face au peuple. Puis le livre avec lequel il disait la messe, le missel, était placé sur le côté droit de l'autel. Mais avant la lecture de l'Evangile, il devait toujours être déplacé sur le côté gauche. C'était mon rôle, je devais le transporter de droite à gauche puis de gauche à droite. C'était fatiguant ! Le livre était lourd ! Je le prenais avec toute mon énergie, mais je n'étais pas si fort : une fois, je l'ai pris et je suis tombé, de sorte que le prêtre a dû m'aider. Voilà une tâche que je réalisais ! La messe n'était pas en italien alors. Le prêtre parlait, mais je n'y comprenais rien, de même que mes amis. Alors, pour nous amuser, nous imitions le prêtre en déformant des mots pour créer des énonciations étranges en espagnol. Nous nous amusions, et nous aimions vraiment servir la messe.


Je préfère ne pas insister, par charité... Notons juste que cette fois, l’argument de spontanéité, de piège tendu par les journalistes, etc.., ne tient pas, puisqu’il s’agit d’une opération éditoriale soigneusement calibrée, mise au point avec l'aide de l’éminence grise du Pape, le Père Spadaro

J’ai bien sûr tout de suite pensé à Benoît XVI.
Voici, pour mémoire deux témoignages directs (de lui, et de son frère) sur l’enfant qu’il a été, et son rapport à la liturgie.

Quand mon frère et moi, nous jouions au prêtre


Georg Ratzinger
« Mon frère le Pape »
Ed Bayard, 2011, pages 90 et suivantes

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A Altötting, je commençai à m'intéresser aux rayons où l'on pouvait acheter des articles de piété. On y offrait beaucoup de belles petites choses que nous autres gamins pouvions utiliser pour jouer au prêtre, par exemple de petits ostensoirs, des calices miniatures, des chandeliers et bien d'autres objets encore, avec des cierges de toutes les formes possibles. Mon frère et moi, nous aimions jouer au prêtre.
C'était alors un jeu d'enfants très apprécié dans les familles catholiques, avec naturellement en arrière-plan l'idée de préparer les garçons au service d'enfants de choeur et peut-être même plus tard à une vocation sacerdotale. On pouvait alors acheter dans n'importe quel magasin de jouets des autels pour enfants avec de petits calices, des ostensoirs, etc. Nous en avions un nous aussi, bien sûr, mais le nôtre avait été fabriqué par notre oncle Benno, celui qui vivait à Rimsting. C'était vraiment un bel autel, muni d'un tabernacle tournant. L'oblation était effectuée avec de petites burettes et des calices d'étain. Nous n'utilisions naturellement pas de vin, mais de l'eau dans notre jeu pour la transsubstantiation. Nous avions aussi un encensoir qui s'emmêlait souvent quand on le balançait, et même des vêtements liturgiques que nous confectionnait la couturière de notre mère et de notre soeur. Elle s'appelait Wally Kifinger et habitait de l'autre côté de la rivière d'Aschau qui traversait toute la localité. On gagnait sa maison par une étroite passerelle. Elle avait une soeur malade, appelée Fanny, qui habitait avec elle, alitée depuis des décennies. Comme enfant de choeur, j'ai franchi chaque jour avec le curé l'étroite passerelle pour lui apporter la communion des malades. Le curé marchait en aube, avec étole et ciboire, je marchais devant lui avec une cloche que je faisais sonner. Les gens qui nous croisaient s'agenouillaient et faisaient un signe de croix, car ils savaient que nous portions avec nous la sainte Eucharistie.
(..)

Le monde merveilleux du Schott


« Ma vie, souvenirs »
Joseph Cardinal Ratzinger
Pages 22 et suivantes

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L'année liturgique jalonnait le temps, ce qui, enfant, me remplissait le coeur de joie et de reconnaissance. Pendant l'Avent, on célébrait le matin l'office des Anges de manière très festive dans l'église sombre, éclairée à la seule lueur des cierges. La joie précédant Noël donnait une couleur toute particulière à ces jours austères. Chaque année, notre crèche s'enrichissait de quelques figurines, et c'était chaque fois une joie spéciale d'aller dans la forêt avec mon père cueillir de la mousse, du genièvre et des branches de sapin. Pendant le Carême, on se réunissait chaque jeudi pour l'« heure sainte », avec une gravité et une confiance qui pénétraient toujours profondément mon âme. Et j'étais particulièrement impressionné par la fête de la Résurrection à la veillée pascale. Pendant tout le Carême, des rideaux noirs voilaient les fenêtres de l'église et maintenaient tout l'espace dans une mystérieuse obscurité, même pendant la journée.
Aux paroles chantées par le curé : « Christ est ressuscité », les rideaux tombaient d'un coup, et une lumière rayonnante envahissait l'intérieur de l'église : je ne peux imaginer célébration plus impressionnante de la Résurrection du Seigneur. Le mouvement liturgique, qui atteignait alors son point culminant, toucha même notre village. Le curé se mit à organiser des messes communautaires pour les jeunes en âge scolaire, au cours desquelles on lisait des textes du missel « Schott » et où l'on priait ensemble les répons.

Qu'était le Schott ? À la fin du xixe siècle, le bénédictin Anselme Schott, de l'abbaye de Beuron, avait transcrit le missel de l'Église en allemand. Il existait des versions uniquement en langue allemande, certaines où une partie des textes était imprimée en latin et allemand, et d'autres où figuraient côte à côte le texte latin intégral et le texte allemand. Un curé ouvert avait offert le Schott à mes parents le jour de leur mariage en 1920, de sorte que notre famille fut une des premières à posséder le « paroissien ». Tôt, nos parents nous ont aidés à entrer dans la liturgie il existait un paroissien pour enfants correspondant au missel, où l'on pouvait suivre l'action liturgique en images ; chaque illustration était commentée par une courte prière, reprenant l'essentiel de chaque séquence liturgique et accessible à la prière d'un enfant. On me donna ensuite un Schott pour les enfants, où figuraient déjà les principaux textes liturgiques ; puis ce fut le Schott des dimanches, qui comportait la liturgie complète des dimanches et jours de fête ; et, enfin, le missel quotidien complet.
Chaque nouvelle étape liturgique était pour moi un grand événement. Chaque nouveau livre était un trésor comme je n'en pouvais rêver de plus beau: c'était une aventure passionnante de pénétrer lentement dans le monde mystérieux de la liturgie, qui se déroulait là, devant nous et pour nous, à l'autel. Je réalisais de plus en plus clairement que j'abordais une réalité que jamais personne n'avait imaginée, ni autorité ni grande personnalité. Cette trame mystérieuse de textes et d'actions s'était développée au long des siècles à partir de la foi de l'Église ; elle portait le poids de toute l'Histoire, tout en étant bien plus que le produit de l'Histoire des hommes. Chaque siècle avait laissé sa marque : les introductions nous montraient ce qui provenait de l'Église primitive, du Moyen Âge ou de l'époque moderne. Tout n'était pas logique, c'était parfois un véritable dédale et il n'était certes pas toujours facile de s'y retrouver. Mais c'est précisément ce qui rendait cet édifice magnifique et en faisait une patrie. Bien sûr, ma conscience d'enfant n'a pas saisi cela dans le détail, mais mon cheminement dans la liturgie fut cependant l'approche progressive d'une immense Réalité qui surpassait tous les individus et toutes les générations, et fut l'occasion de découvertes et d'étonnements toujours nouveaux. La réalité inépuisable de la liturgie catholique m'a accompagné à toutes les étapes de la vie. Il ne cessera donc d'en être question.

Deux témoignages auxquels il faut ajouter l'adorable petite lettre de Noël écrite à l'Enfant Jésus par le petit Joseph âgé de 7 ans (benoit-et-moi.fr/2012(III)/articles/la-lettre-du-petit-joseph-a-lenfant-jesus-suite), et le premier échange de la rencontre, le 30 mai 2009, avec des enfants de l'Oeuvre Pontificale pour l'enfance Missionnaire (benoit-et-moi.fr/2009-II).

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