Un commentaire à "Dernières conversations"


Une lectrice et amie nous fait partager ses impressions de lecture. Elle a retenu quelques thèmes, particulièrement significatifs (19/10/2016)

 

LA FORME DU LIVRE.
Que dit P. Seewald à propos des dates?


Seewald : "Une petite partie des interviews date encore de l’époque du pontificat ; la plus grosse partie, de la période qui suit la renonciation. Les séances se sont donc étalées sur une période relativement longue."


Cette période recouvre forcément le début du pontificat de François puisque Benoît XVI et P. Seewald parlent de lui, mais nous ne savons pas jusqu'à quelle date. Dans sa préface, P. Seewald dit seulement qu'il se rend à Mater Ecclesiae le 23 mai 2016 en craignant qu'il ne s'agisse du dernier entretien. S'y rend-il pour recueillir encore des confidences ou pour faire relire son livre? Donc à cette date, P. Seewald aurait très bien pu augmenter ou corriger sa mouture en fonction des indications du Pape émérite. Nous voyons donc que Benoît XVI, qui sait tout des derniers rebondissements du pontificat, s'autocensure. Il a dû demander au journaliste de ne pas l'interroger sur certains sujets, qui donc n'apparaissent pas dans le livre: les deux synodes, Amoris Laetitia, les migrants etc... Le Bien de l'Eglise exige des précautions.
Seewald a senti que le moment était venu de faire publier le livre en septembre 2016. Il semble qu'en Italie au moins il y ait un regain d'intérêt pour Benoît XVI (les livres parus). Certains réalisent qui ils ont perdu, après avoir perdu la tête!. Benoît, qui est un gentleman, ne pouvait pas se précipiter sur des interviews quelques mois après l'élection de François! D'ailleurs, le climat en 2013, 2014 n'était qu'à la glorification de François, qui allait faire passer l'Eglise de l'obscurité à la lumière. On allait voir ce qu'on qu'on allait voir, après des années de glaciation (sic)!. La parole de Benoît aurait été inaudible! En décembre 2013, le Cardinal Ouellet déclarait:"Nous sommes vraiment en présence d'un grand tournant dans l'histoire de l'Eglise".

Benoît et Seewald ont dû prendre le parti d'une certaine concision, si bien que le livre est dense, passionnant et très agréable à lire.

On appréciera les annotations de P. Seewald: "il rit", "il sourit", "il pleure". On a vraiment l'impression de se trouver en face du cher Ratzinger, avec sa façon douce de parler, tantôt les yeux baissés, tantôt levés vers son interlocuteur et son humour subtil qui le fait se moquer de lui-même.

LA VERITE ET L'HUMILITE


Benoît XVI contredit plusieurs rumeurs colportées par ses ennemis et même ses amis, avec des formules nettes et claires dont on a perdu l'habitude depuis trois ans: "Pas du tout", "Non, ce n'est pas le cas", "Non, ce n'est pas exact", "Je ne dirais pas cela". On s'aperçoit qu'on s'est bien trompé sur nombre de ses intentions, notamment dans l'affaire Williamson. La Secrétairerie d'Etat a attendu le 4 février 2009 pour dire que le Pape n'était pas au courant des opinions du triste prélat. Le communiqué passa inaperçu dans la presse. Le Pape avait de quoi être en colère contre ses services mais il ne laissa rien paraître, assumant tout seul les dégâts.

Benoît reprend Seewald chaque fois que ce dernier fait l'éloge de ses talents exceptionnels. Non, il n'est qu'un homme ordinaire qui a dû travailler pour réussir. Il ne maîtrise que peu de langues. Bien sûr nous n'en croyons rien. Il suffit de voir, lors de ses voyages, comme, quel que soit le pays, il s'adresse à n'importe qui sans interprète. Des vidéos le montrent répondant à des interviews en anglais ou en français, ne faisant jamais répéter la question et répondant longuement dans une langue parfaite, sans oublier ses interventions rédigées en latin par lui-même, comme le texte de sa renonciation, et sa participation au Concile où l'on parlait latin. Qu'il ait beaucoup travaillé, nous n'en doutons pas mais nous savons bien qu'il est un être à la fois brillant et pur. Chez lui, ce n'est pas de la fausse modestie. Il fait partie de ces êtres d'exception (comme les grands savants) qui se fixent des objectifs tellement élevés qu'ils se sentent très petits par rapport au but. Et, il faut ajouter que, pour les saints, tout vient de Dieu.
Il ne cherche pas à être flatté par des jugements de valeur du journaliste mais il tient à rappeler des faits: c'est bien le Cardinal Ratzinger qui a initié le combat contre la pédophilie et le Pape Ratzinger qui a commencé à assainir les finances du Vatican! Petit clin d'oeil: il a fait tout cela "sans bruit".
Le livre traduit bien l'humanité charmante de Joseph Razinger à tous les stades de sa vie, éveillée au beau par le Baroque de sa Bavière. L'ascétisme raide ne l'attire pas. Il aimait Castel Gandolfo, les flâneries dans Rome, un bon verre avec des amis au Trastevere, après un dur labeur intellectuel dans l'aula du Concile, le cocon familial reconstitué (avec son frère aujourd'hui), les vacances à la montagne, la musique, la peinture, les jardins...

LA RENONCIATION


Il nie catégoriquement avoir subi des pressions et on peut le croire. C'est lui faire injure que de penser qu'il aurait pu se laisser manipuler par des forces obscures. Effectivement, un homme qui a toujours bravé l'opinion publique et qui a souffert comme lui pour la vérité ne se laisse pas fléchir. Il n'est pas homme à fuir devant les loups!
Evidemment, après l'annonce de sa renonciation, une grande approbation hypocrite s'est répandue dans l'Eglise et les médias: ce qui a accrédité la thèse du complot, dans le public. Cette thèse plaisait à tout le monde. Ses amis disaient qu'il ne pouvait pas avoir fait une chose pareille librement et ses ennemis disaient qu'il était un homme faible, incapable de gouverner, puisqu'il avait cédé à des pressions.
Il a peut-être envisagé l'éventualité d'une renonciation dès le début du pontificat. Il a déposé son pallium sur le tombeau de Célestin V en 2009. Qui sait s'il n'a pas craint de perdre aussi son oeil droit et de devenir aveugle au cours de son pontificat? Avec tout ce que doit lire et écrire un Pape et tous les voyages qu'il doit accomplir, on se demande comment il aurait pu continuer. En tout cas, il a eu raison de taire son affection visuelle quand il régnait.

SON SUCCESSEUR


Je trouve qu'il ne fait nullement l'éloge de son successeur, contrairement à ce qu'on dit. Il trouve plaisants sa personnalité et son bon contact avec le public mais il ne s'aventure pas plus loin. Il ne peut rien dire d'autre que ce que tout le monde voit dans les actes publics. Il ne peut en aucun cas porter un jugement sur son gouvernement. Mais il a des expressions qui finalement ne sont guère flatteuses pour son successeur: "Un Pape de la réforme pratique", "Je pensais que c'était du passé". On sent qu'il ne lui trouve pas une grande envergure: il dit qu'il n'avait même pas pensé à lui avant le Conclave! La phrase semble lui échapper! C'est dire qu'il avait en tête des personnalités bien plus aptes à gouverner l'Eglise.
Son successeur ne le consulte quasiment jamais alors qu'il aurait une mine de sagesse à sa portée. François a le grand-père à la maison (comme il dit) mais il le laisse dans un coin sauf pour quelques cérémonies où la présence du Pape émérite sert à accréditer la thèse de la continuité et de la bonne entente entre les deux Papes. En réalité, ils ne partagent rien!

LA SOUFFRANCE


Comme il a le sens des proportions , qu'il sait ce qu'endurent des centaines de milliers de chrétiens dans le monde, qu'il pardonne à ses offenseurs et qu'il a beaucoup de pudeur, il minimise toutes les avanies subies par lui pendant le pontificat. Elles ne l'ont pas détruit car il vit en DIeu. Elles étaient trop basses pour le pousser à partir. Il cite des Papes qui ont souffert bien plus que lui, comme Benoît XV, dont il a repris le nom.
A demi-mots, il nous fait comprendre qu'il a renoncé à un grand amour de jeunesse pour se consacrer à Dieu- qu'il a toujours placé au dessus de tout - selon la devise de la règle de Saint Benoît. Dans "Ma vie", il écrivait : "Ces années à Fürstenried (ndlr. faculté de théologie de Munich où étudiaient aussi des jeunes-filles) restent ainsi dans ma mémoire comme l'époque d'un nouvel élan plein d'espérance et de confiance, mais aussi une période de grandes décisions éprouvantes". Pour le beau jeune homme brun aux yeux noirs, d'un charme subtil, qu'on voit sur quelques photos, ce fut certainement un choix déchirant attestant de la profondeur de sa vocation. Ce n'est pas pour autant qu'il est partisan du "mariage des prêtres" car, pour lui, il est beau de se donner entièrement à Dieu, même au prix d'un grand sacrifice.

UN PAPE POUR L'HISTOIRE, UN SAINT POUR L'EGLISE.


Benoît, qui est ancré en Dieu, semble observer les événements actuels avec une certaine sérénité. Il connaît l'histoire et met tout en perspective. Par la prière, il demande à Dieu d'agir en ce monde à la dérive, qui ne sait plus ce qu'il doit faire mais rejette ceux qui montrent le chemin ou se tourne vers de faux prophètes.
Il demande aux chrétiens de PORTER LA CONSCIENCE DU MONDE, même si en Europe ils ne sont qu'un petit reste.

En guise de conclusion


Pour lui rendre hommage, je recopie une phrase de la règle de son cher Saint Benoît:
"A mesure qu'on progresse dans une sainte vie et dans la foi, le coeur se dilate, et c'est avec une indicible douceur d'amour que l'on court dans la voie des commandements de Dieu".

Nathalie D.
18 octobre 2016