Un grand don se partage


En juillet dernier, lors de son bref séjour à Castelgandolfo, Benoît XVI a rencontré les Clarisses d'Albano. Neuf mois plus tard, elles partagent avec nous, dans un récit magnifique de sensibilité, cette rencontre qui change la vie! (15/4/2016)

Les très belles photos ci-dessous sont issues du site des Clarisses d'Albano, où on peut les voir en plus grand format.



Visite de Benoît XVI
10 Juillet 2015


www.clarissealbano.it/visita-di-benedetto-xvi/
11 avril 2016
Ma traduction

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LA JOIE QUI RESTE
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On dit que le vécu et l' intensité d'un événement se mesurent à ce qui reste ... pas tant dans l'esprit, mais dans la mémoire du "cœur", dans la vie, et le temps est le grand ami qui accompagne cette gestation silencieuse en chacun de nous. Il s'est passé du temps depuis la visite de Benoît XVI à notre fraternité, le 10 Juillet, et un fort sentiment de gratitude dilate le goût de cette joie que la rencontre avec lui nous a laissée.

Joie qui croît et ne diminue pas; joie qui porte en elle l'impulsion et le désir de la communiquer. Ces lignes sont nées ainsi, dans la simplicité d'une joie qui veut être partage et lieu de rencontre fraternelle.

Voir le pape Benoît de près et être avec lui a signifié comprendre comment dans l'Evangile la "grandeur" et la "petitesse" vont ensemble. Avec le recul du temps, en laissant émerger et en "réécoutant" de l'intérieur ce qui a été vécu, nous nous rendons compte que la rencontre avec lui a réveillé en nous la saveur d'une 'expérience' vivante de Dieu, quelque chose de familier et pourtant étonnamment nouveeau ... et c'est beaucoup, mais vraiment beaucoup plus que ce que nous pouvons aujourd'hui exprimer avec des mots.

LA SAGESSE DE LA CROIX
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Entrant dans le vif de la Parole proclamée aux Vêpres (1 Cor 2: 7-10), le pape Benoît nous a parlé d'une «sagesse divine mystérieuse, qui est restée cachée et qu'ucun des dominateurs de ce monde n'a pu connaître». Une «sagesse» inconnue qui porte en elle le goût de «ces choses que l'œil n'a pas vu, ni l'oreille entendu, et qui jamais n'entrèrent dans un cœur d'homme», parce que révélées par Dieu «à ceux qui l'aiment». C'est la sagesse de la Croix: «La réalité, humainement parlant, apparemment la plus absurde, la plus irrationnelle - disait-il - est la vraie sagesse!».

Partant de la notion de «sagesse» chère au monde grec, pour lequel l'annonce de la Croix était le grand scandale qui ne résolvait pas le «problème du mal» dans le monde, Benoît a abordé l'époque actuelle, où au concept de sagesse a été substitué celui de «science», propre à la modernité. Aujourd'hui encore, comme alors, le christianisme apparaît comme quelque chose d'absurde, d'incompatible avec la réalité des choses, tandis que la science «semble de plus en plus pénétrer au fond des réalités, même les plus cachées». Et pourtant, a insisté le pape Benoît, «nous savons presque tout, mais l'énigme de notre existence reste plus obscure: comment vivre? Pourquoi vivre? Que sommes-nous ...? Comment répondre à la vie et à la mort? Avec les progrès de la science, on ne résout pas ce problème fondamental» .

Cette énigme qui s'avère indéchiffrable à la connaissance humaine, a un seul sens, un tournant: «Le Christ crucifié est la réponse! Le Dieu qui s'abaisse jusqu'à nous, accompagnant jusqu'à la mort; le Dieu qui est amour au point de se donner pour nous sur la croix. L'abîme le plus grand, à la fin, est l'abîme de l'amour de Dieu et c'est la réponse qui nous donne la vie».

Seul l' amour nous donne la possibilité de voir, à travers la croix, «que le Dieu qui nous aime jusqu'au fond de la mort, jusqu'à ce point le plus intime, est la grande chose que personne ne pouvait "cogiter", aucun puissant du monde. L'amour est la vérité et la vérité est amour. Je suis voulu, je suis aimé d'un amour indestructible. Le fond de la réalité est l'amour, qui est la vérité, et la vérité est l'amour: il est plus fort que toutes les "pensées" du monde. Ainsi, nous pouvons nous laisser tomber dans cet abîme de l'amour de Dieu, avec le Dieu qui est plus fort que tout mal».

C'est vrai que «le monde veut toujours vous faire douter d'être homme», a dit encore le pape Benoît, mais il est encore plus vrai que «la vérité est plus forte que tous les mensonges, l'amour est plus fort que toute la haine! Telle est la certitude dans laquelle nous vivons ... Nous sommes portés par l'amour de Dieu!».
Et il a conclu par une prière, demandant au Seigneur de nous aider à comprendre la grandeur de cet amour dans cette joie qui survient dans la souffrance et dans les moments difficiles, pour que la lumière du Christ brille en nous et dans nos vies comme un témoignage visible de la gloire de Dieu, et que le monde puisse croire: «Oui, Dieu existe! Dieu m'aime! Ceci est la vraie sagesse».

AVEC L'HUMILITÉ DES SAINTS
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C'était beau, après la liturgie des Vêpres, de nous entretenir encore avec le pape Benoît et de nous laisser surprendre par la familiarité avec laquelle il se comportait avec nous. La première chose qu'il nous a dite? Ses remerciements ... il nous a exprimé sa gratitude pour l'avoir reçu: «Vous avez fait tellement de choses pour moi [...] Je n'ai pas de mots. Merci pour cette célébration commune ... Je suis heureux de prier ensemble, d'être ensemble avec le Seigneur et d'être ainsi avec vous. Je pense toujours à vous, priez pour moi». Toujours, chaque fois que nous avons le don de le rencontrer, ce fort sentiment de gratitude qui le caractérise nous frappe. Le pape Benoît se perçoit lui-même comme quelqu'un à qui rien n'est dû, et il s'étonne d'être tellement aimé, de recevoir «de façon imméritée» l' amour de Dieu et des hommes: «Je ne comprends pas pourquoi le Seigneur est si bon pour moi ... mais je suis reconnaissant au Seigneur».

Regardant sa simplicité cristalline et écoutant avec le cœur non seulement sa parole, mais aussi ce qui tranparaît de sa personne, il ne nous semble pas exagéré de dire que nous avons eu un fort sentiment d'être en face d'un homme de Dieu, un humble, rendu vraiment tel par la grâce de Dieu.

En le rencontrant de si près, et en étant à côté de lui, il nous a semblé mieux saisir le sens le plus simple de sa «disparition» qui, en plus d'assumer une valeur singulière dans sa vie, par rapport à son pontificat, est le reflet le plus authentique de la vie des saints: de ceux qui, «cachés avec le Christ en Dieu», sont appelés par Lui à faire partie des «rangs glorieux de ceux qui obéissent». Et le pape Benoît est vraiment un homme caché. Un doux, qui s'est 'laissé faire' par Dieu au point de ne pas préserver une vie à lui, afin de se conformer pleinement à Sa Volonté.

LE PARFUM DE LA PRIÈRE
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Nous lui avons demandé encore un mot pour nous en cette année consacrée à la vie consacrée. «En vous voyant - nous a-t-il dit - , je pense toujours à la façon dont sainte Claire, voyant saint François, a compris qu'être avec le Seigneur est la vraie vie, même si elle est difficile. Elle a tout laissé et, tandis que saint François pouvait évangéliser - sa mission était aussi d'unifier le peuple de Dieu dans la simplicité et la foi - elle est restée cachée dans le silence de la clôture, et c'est justement cela qui est source de vie pour le monde [ ...] C'est un service pour l'Eglise universelle, pour toute l'Eglise: être avec le Seigneur, pour le Seigneur, et ainsi garder vivante la présence de la contemplation, la foi en Dieu, avec le centre ... la centralité de Dieu. Il est très important qu'il y ait des personnes qui proclament que Dieu est "essentiel". Et puis témoigner de cette union avec le Seigneur, avec toutes les faiblesses humaines, les difficultés ... mais justement de cette façon».

Ensuite , il a développé une réflexion très belle sur la gratuité de l'amour, de l'"être" pour le Seigneur, s'inspirant d'une idée de la sainte de Lisieux: «Je pense souvent à sainte Thérèse de Lisieux, qui dit un jour: "Judas a dit: 'mais que faites- vous avec cette huile? On pouvait prendre l'argent pour les pauvres'! Et aujourd'hui encore, ils disent: 'Mais que voulez-vous faire? Nous avons tellement besoin d'activités, d'évangélisateurs ... Que faites-vous?' ". Et elle [Sainte Thérèse] dit: "Non, le Seigneur l'a dit, c'est cela qui est important" ... être simplement, donner simplement 'tout' comme cette femme; donner l'huile de sa vie au Seigneur, pour que la maison soit un peu purifiée par cette odeur de prière. Nous avons besoin aussi de ce parfum, nous avons besoin aussi de ce don courageux et généreux au Seigneur [...]. Le Seigneur veut justement cela: qu'avant tout, l'air soit purifié, nettoyé».

Ces mots nous semblent si clairs et nous sommes très frappées par l'intuition d'une vie évangélique comme réponse au mal dans le monde; une réponse qui porte en elle la puissance silencieuse d'un geste à ce point gratuit qu'il trouve en lui-même la force pour purifier "l'air" du mensonge de la mort.

Chacune de nous a pu exprimer personnellement sa gratitude, par un geste, un mot ou même un regard chargé d'affection, qu'il a reçu et rendu. Ces yeux simples et pleins de paix transmettaient quelque chose, laissant tranparaître la présence de Dieu qui vous aime.

Avec le recul , nous nous demandons: que reste-t-il? Il reste la joie, la perception silencieuse d'un «quelque chose» de présent, même s'il est invisible, qui nous projette au-delà...

Ces simples mots veulent aussi être l'expression de notre remerciement au «Père des miséricordes», dont proviennent tous les dons. Il est beau de pouvoir partager un don aussi grand que celui que nous avons reçu, parce que dans le mystère de cette communion qui nous fait frères et sœurs, nous sommes certaines que la joie de l'un est la joie de tous. Nous demandons en même temps à notre Donateur de pouvoir imprégner de cette joie la recherche constante du visage de Dieu, jour après jour, pour comprendre profondément que "seulement dans le silence, dans ce qui est à peine perceptible, advient toujours ce qui est grand» (J. Ratzinger).