Une conférence sur Benoît XVI au Bundestag


C'était en novembre dernier, Georg Gänswein a fait un exposé devant le Parlement allemand, à l'initiative de la Fondation Ratzinger. Compte-rendu de Pierluca Azzaro, le traducteur en italien des Opera Omnia. Le rayonnement intellectuel du Pape émérite ne cesse de grandir et suscite de vastes réflexions (19/1/2016)



Concrétiser l'"écologie de l'homme"



Pierluca Azzaro
13 janvier 2016
www.fondazioneratzinger.va
Ma traduction


Benoît XVI davant le Bundestag, 22 septembre 2011 (son discours ici).


Espérance et devoir: les discours de Benoît XVI sur la politique.
Tel est le thème qui a vu se réunir à Berlin les 25 et 26 Novembre derniers, des chercheurs renommés de la "Joseph Ratzinger - Benedikt XVI Stiftung", afin de réfléchir sur les aspects théologiques, philosophiques et anthropologiques des grands discours que Benoît XVI a dédiés à la politique et, encore avant, à ses fondements éthiques.
Dans cette perspective, l'ouverture du grand Symposium au "Bundestag", dans l'après-midi du 25, est tout de suite apparue comme un choix heureux; tout comme le fait que, quatre ans après la visite historique du Pape Benoît XVI au Parlement allemand, c'est S.E. Mgr Georg Gänswein, son secrétaire et pendant de nombreuses années professeur de droit canonique à Rome qui prononça l'exposé principal.

«La foi rend la bonne politique possible, mais l'Eglise ne peut ni ne doit l'exercer», dit l'actuel Préfet de la Maison pontificale dans l'un des passages centraux de son discours, intitulé "Espérance et responsabilité. Les grands thèmes socio-politiques de fond du pape Benoît XVI".
Prononcée devant plus de cinq cents participants (y compris plus de 50 parlementaires de différents groupes) la conférence, en présence entre autres du Nonce apostolique à Berlin, Mgr Nikola Eterovic, a été précédée par les salutations du vice-président de la Chambre haute Johannes Singhammer, et du président du groupe parlementaire chrétien-démocrate, Volker Kauder.

Gänswein, donc, sur les traces du magistral "Discours de Ratisbonne" de Benoît, met en garde contre le risque de la hiérocratie ou, respectivement, de la tentation d'imposer la foi par la force, qu'elle soit physique ou morale.
Et pourtant, rappelant ce qu'après Ratisbonne, le pape émérite avait souligné à Westminster Hall, à Londres, il ne renonce pas à affirmer que c'est justement la foi, en harmonie avec la raison, qui rend possible la bonne politique, la politique juste: parce que la compréhension de l'homme comme être créé à l'image d'un Creator spiritus bon implique que la vie de l'homme, entendu comme personne, est sacrée, placée sous la protection spéciale de Dieu; elle implique donc que l'homme, par rapport aux lois humaines, détient un droit inaliénable donné par Dieu lui-même, et qu'aucune loi humaine ne peut violer; elle implique enfin le fait que de cette façon, l'obéissance de l'homme à Dieu est fixée comme limite à l'obéissance à l'Etat.

Dans cette perspective, s'est demandé l'archevêque Gänswein, quelle est aujourd'hui la tâche des chrétiens en politique, des chrétiens engagés à réaliser l'ordre juste de la société et l'État?
Ils savent bien que l'Église ne peut pas et ne doit pas s'exprimer sur les solutions concrètes que la politique propose pour atteindre la justice. Et pourtant, précisément du fait que l'origine de la politique réside dans la justice, il s'ensuit tout aussi clairement que cette origine est de nature pré-politique, éthique, donc une nature que la politique, ipso facto, ne peut se donner et fixer par elle-même, aussi démocratiques que soient les méthodes utilisées. Parce que si elle essayait de le faire, elle courrait le risque grave de changer constamment, selon les commodités et la majorité du moment, la définition de ce qui est juste et ce qui ne l'est pas, de ce qui est moral et ce qui il est pas, de ce qui est bon et ce qui est mauvais; bref, elle courrait le risque de redéfinir, à la fin, en fonction de l'idéologie dominante, ce qui détermine la nature même de l'homme.
N'était-ce pas là, au fond, se demande Georg Gänswein, précisément la revendication perverse des grands totalitarismes du XXe siècle qui à cet effet, piétinaient la distinction essentielle, d'origine chrétienne, entre les pouvoir spirituel et temporel?
Ainsi le chrétien en politique est celui qui, à l'instar de Salomon - selon l'image inoubliable de l'homme politique juste proposée par le pape Benoît XVI au "Bundestag" - demande à Dieu non pas la richesse et le pouvoir, mais le don du «cœur docile», le cœur ouvert à l'écoute de la voix de Dieu, donc le don de savoir regarder les hommes avec le même regard d'amour que le Dieu bon pose sur ses créatures: ces créatures qu'il a aimées au point de devenir homme lui-même et de mourir pour leur salut.
Fort de ce regard, qui est le contraire de ce pragmatisme qui débouche sur le cynisme, le politique saura agir avec justice et pour le bien de tous, croyants et non-croyants.

Le mérite de l'exposé de Georg Gänswein fut, entre autres, d'avoir su s'arrêter sur les différents aspects de la «Théologie de la Politique» de Joseph Ratzinger, qui le lendemain allaient être approfondis en détail par les autres orateurs: Berthold Wald, professeur de philosophie systématique à Paderborn ("Christianisme, raison séculière et interculturalité. Ce qui unifie le monde"); Rocio Daga-Portillo, spécialiste de l'islam et professeur à l'Université de Münich ("Histoire et compréhension du droit dans l'islam: catégories de pensée dans l'islam classique et le tournant de la modernité"); le rev. Martin Rohnheimer, professeur d'éthique et de philosophie politique à Vienne et à la "Sainte-Croix" à Rome ("Droit et politique: la réflexion de Benoît XVI sur le concept de démocratie et de positivisme juridique"); Nadja El Beheiri, professeur de droit romain à l'Université catholique de Budapest ("Les traditions juridiques de l'Europe et de la loi naturelle"); Hanna Barbara Gerl-Falkovitz, philosophe de la politique et aujourd'hui professeur à l'Institut supérieur de théologie et de philosophie de l'abbaye de Heiligenkreuz ("Avec nature et raison: questions fondamentales posées à la théorie du genre"); et enfin Harald Seubert, professeur d'études religieuses à l'Institut supérieur de théologie à Bâle ("Le concept d''écologie de l'homme' tracé par Benoît XVI").

Le risque de diminuer le sens et l'importance des exposés qui se sont succédé au cours de la très intense journée du 26 Novembre est inévitable, dans un bref compte-rendu. D'autant plus précieuse, dans cette perspective, est l'assurance donnée à la fin du colloque par le Président du "Ratzinger Stiftung" et du "Ratzinger Schülerkreis", le Père Stephan Horn, que - comme l'a réclamé un large public - les actes seront publiés prochainement.

L'attention constante de l'auditoire reflètait non seulement la qualité des contributions individuelles, mais aussi l'ensemble harmonique dans lequel elles se compénètraient, faisant ressortir clairement plusieurs thèmes de fond: à la maladie d'une foi non corrigée par la raison et qui aboutit souvent à l'abus de la religion jusqu'à l'apothéose de la haine correspond, non moins dangereuse et terrible, celle d'une raison fermée à la foi, d'un coeur fermé à la voix de Dieu; donc la maladie d'une conscience déformée qui produit un concept de droit de l'homme coupé artificiellement et violemment de l'idée de Dieu.
C'est précisément ce type de "conscience" qui conduit à admettre comme norme, de façon aussi terrible que paradoxale, une série illimitée de "droits" humains nihilistes: du suicide assisté aux diverses expressions de l'idéologie du gender; et, plus généralement, jusqu'à la notion de l'homme comme "créé" par l'homme et qu'il peut donc acquérir quand il en a envie, à condition qu'il dispose des moyens financiers de le faire (le "droit" aux enfants acquis avec des embryons congelés "à vendre" et des ventres "à louer"). Sauf que le "droit" à la vie, non pas donnée et protégée par Dieu, mais créée par nous, implique, dans une logique perverse et impitoyable, le "droit" d'éliminer ce que nous avons produit; pour ensuite, peut-être, recycler ce "produit" de la manière qui nous semblera la plus adéquate: le cas de Planned Parenthood, la plus connue des agences américaines pour la défense du "droit" à l'avortement, réclamant d'énormes sommes d'argent pour céder des morceaux de fœtus avortés est à cet égard symptomatique; mais aussi le cas de plusieurs établissements de santé britannique qui, sollicités par la presse, ont admis qu'au cours des dernières années, plus de quinze mille fœtus ont été brûlés avec d'autres déchets dans les installations de chauffage des hôpitaux.

Comment réagir face à ces scénarios terribles et à la peur qu'ils suscitent? «Certainement pas en rétractant la tête dans sa coquille, comme le font les escargots dès qu'on les touche de l'index», a déclaré Mgr Gänswein homélie lors de la messe de clôture, concélébrée, entre autres, par l'archevêque de Berlin Heiner Koch et l'évêque émérite de Graz-Seckau, Egon Kapellari.
«Parce que - a-t-il poursuivi - dans l'Evangile d'aujourd'hui, la description des événements ultimes va de pair avec la certitude réconfortante, pour nous, que notre Seigneur viendra dans la puissance et la gloire».

Telle est l'espérance qui, en ces temps où nous vivons un véritable changement d'époque, donne la force, en particulier à nous chrétiens laïques, d'assumer aujourd'hui la responsabilité, la tâche de concrétiser l'"écologie de l'homme"; parce que, comme le dit Benoît XVI, l'homme aussi possède une "nature" qui lui a été donnée, et la violer ou la nier conduit à l'auto-destruction.