Une interview de Roberto Regoli


En marge de la présentation par Mgr Gänswein,l 'historien de l'Eglise, auteur du livre "Oltre la crisi della Chiesa, il Pontificato di Benedetto XVI", répond aux questions d'Aleteia sur Benoît XVI (26/5/2016)

>>> Dossier:
Une nouvelle conception du ministère pétrinien? (la présentation de G. Gänswein). Tous les articles.

>>> Ci-contre: don Roberto Regoli (www.lindau.it/Autori/Roberto-Regoli)


 

"Le pape Benoît XVI? Un novateur à l'approche gentille ... "

Entretien avec don Roberto Regoli, historien de l'Eglise à l'Université pontificale grégorienne


Lucandrea Massaro
23 mai 2016
it.aleteia.org
Ma traduction

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L'occasion de la sortie d'un gros livre sur le pontificat de Benoît XVI nous permet de tirer un bilan, petit mais significatif, d'un pontificat qui a pris fin seulement dans son administration visible, mais pas dans sa «vocation», un thème qui - les lecteurs s'en souviendront - a envahi les pages des journaux le lendemain de la nouvelle de la renonciation de Ratzinger: et maintenant que se passe-t-il? Est-il Pape? Est-il Cardinal? Le livre dont nous parlons est celui du professeur Roberto Regoli, spécialiste d'histoire contemporaine et directeur du Département d'histoire de l'Eglise de l'Université Pontificale Grégorienne: “Oltre la crisi della Chiesa. Il pontificato di Benedetto XVI”, publié par Lindau. Aleteia l'a joint par téléphone pour lui poser quelques questions sur une figure aussi centrale dans l'histoire récente de l'Eglise catholique, aussi peu comprise dans sa capacité d'innover.


- Commençons par la fin: un pontife perçu - à juste titre - comme très attentif à l'orthodoxie, renonce à l'exercice de son rôle. Est-ce que cela sera le geste avec lequel le doux professeur de théologie? passera à l'histoire

Regoli: Ce geste nous aide à comprendre avant tout un trait de caractère du personnage: son incroyable liberté intérieure. Liberté par rapport à l'environnement et liberté par rapport aux conventions de l'histoire. Mais il n'y a pas que cela, naturellement: dans sa démission , il crée quelque chose de nouveau. Ratzinger porte au sein de l'Eglise une innovation en renonçant à ce qu'il appelle le "ministère pétrinien actif", une évolution qui ne pouvait venir qu'après le Concile Vatican II, après la réflexion profonde sur l'origine du pouvoir dans l'Eglise, autrement dit le "munus petrino" (qu'on pourrait traduire par service, ou office pétrinien). Le point crucial concerne l'origine de l'autorité (potestà) primatiale du Pape, c'est-à-dire si elle dépend de la consécration épiscopale, ou de l'acceptation de l'élection en conclave pour se terminer avec la renonciation. Pour les théologiens qui se sont exprimés sur la question, elle provient de la consécration et donc est pour toujours. Ratzinger, entre les canonistes et les théologiens, a choisi - pour ainsi dire - le point de vue des seconds. C'est pourquoi il continue à se considèrer "Pape" et à se faire appeler par le nom choisi après l'élection, introduisant la figure du pape émérite dans l'Église. Pour ses successeurs, la renonciation devient un précédent qui aidera à prendre la décision éventuelle avec une plus grande sérénité. François a en effet confirmé que cette institution est maintenant richesse de l'Eglise.

- Il y en a qui lisent dans la "démission" de Benoît XVI un "j'accuse" (en français dans le texte) contre une Curie perçue comme incommodée par les changements et par les tentatives pour mettre de l'ordre, comme pour dire "Maintenant, la responsabilité incombe à ceux qui ont manigancé". Est-ce une lecture plausible?

Regoli: Non, cela va au-delà de Vatileaks qui était une petite chose. Mgr Gänswein dans la présentation que nous avons faite récemment à la Grégorienne a déclaré - et à juste titre! - qu'«un geste aussi grand ne peut pas avoir une cause aussi petite». C'est une motivation théologique, plus grande que les querelles de la cour. Dans l'histoire de la Curie, il y a toujours eu des affrontements et des divergences d'opinion. Rien de nouveau pour un historien ...

- Les réformes de la Curie, de l'IOR et du laïcat indiquées par François sont-elles celles voulues mais "empêchées" à Benoît?

Regoli: Je parlerais d'une continuité plus large, cela fait un siècle qu'il y a des tentatives pour réformer le modèle de Curie inauguré en 1588 par le pape Sixte V, c'est-à-dire une Curie structurée par dicastères et tribunaux. Aujourd'hui, François tente une nouvelle réforme majeure, mais le modèle est toujours celui de Sixte V, il n'y a pas encore de véritable innovation. En ce qui concerne les finances, c'est la réforme voulue par Benoît XVI. Avec lui , il y a déjà eu un premier changement dans les hommes. François fait quelque chose de similaire en utilisant l'échéance naturelle des mandats et la création des nouveaux instituts pour transformer la machine curiale. Maintenant, nous allons voir si c'est le modèle par "congrégations" - plus collégial - qui prévaudra, ou bien par sécrétariat - c'est-à-dire plus vertical; acctuellement c'est le premier modèle qu semble prévaloir.


- Plus qu'un pape-théologien, un pape intellectuel? Le discours de Ratisbonne est probablement son "manifeste" sur le divorce - également consommé en Occident - entre foi et raison, entre logique et métaphysique. Un discours dont beaucoup ne réalisent qu'aujord'hui le regard prophétique. Êtes-vous d'accord? Y a-t-il d'autres épisodes du mêe genre?

Regoli: Le discours de Ratisbonne est la clé pour comprendre le pontificat Ratzinger. Dans ce discours, il touche des arguments qui reviennent tout au long du pontificat. Le rapport entre le christianisme et les autres religions et entre le christianisme et la société moderne. Pour Ratzinger, la religion a droit à un espace public parce que, dans sa réflexion, la raison purifie la religion des fondamentalismes, mais la religion aide la raison à éviter l'absolutisation, c'est pourquoi elle est nécessaire à la société laïque.
Benoît XVI indique une direction de discernement pour le christianisme et les autres religions , mais aussi pour une saine laïcité dans la société séculière. Le défi qu'il a le plus affronté est celui du relativisme et de la "question anthropologique", dont la portée est les grands défis de la bio-politique, un sujet qui est encore peu abordé.

- Le lien très fort entre Jean-Paul II et Benoît XVI suggère presque une histoire unique - un unique service à l'Eglise, telle a été la collaboration entre les deux, deux étapes de la même histoire. Que pensez-vous?

Regoli: Dans le livre, je me permets de donner une définition: Ratzinger est l'âme théologique du pontificat de Jean-Paul II. Il y a une entente non seulement humaine, amicale, mais aussi et surtout théologique entre les deux. Il y a des nuances bien sûr, dûes aux nuances biographiques, par exemple sur des questions telles que la théologie de la libération, où c'est Jean-Paul II qui a encouragé les interventions de correction, tandis que sur les rencontres interreligieuses d'Assise, c'est Ratzinger qui a eu l'attitude la plus prudente. Le dialogue pour Ratzinger vise à la paix. Les rencontres d'Assise avec Benoît XVI s'ouvrent au public laïc, porteur d'une autre éthique, car pour lui le cœur de la question n'est pas le dialogue théologique, qui ne peut pas exister, mais la recherche de la paix. Chaque pontificat porte naturellement sa marque: Benoît XVI - par exemple - dans la réforme liturgique, s'exprime à son maximum, amplifiant le pluralisme liturgique en contretendance avec les XIXe et XXe siècles. C'est ainsi qu'émerge à nouveau une pluralité validée par Rome, qui en sanctionne la catholicité. C'est une "restauration innovante", elle aussi sous le signe de Vatican II: à ces communautés qui reviennent à Rome (comme les églises épiscopales anglaises et américaines), on demande l'adhésion au catéchisme, mais pas au rite romain, respectant ainsi un pluralisme culturel et aussi disciplinaire très intéressant.

- En étudiant à fond Benoît XVI, qu'est-ce qui resssort, que la lecture discontinue des journaux ne montre pas? Quel genre de personne est-il?

Regoli: J'ai étudié l'action de gouvernement, pas le trait biographique, mais ce qui ressort, c'est que ce n'est pas une personne qui impose, mais qui propose, tente de convaincre. Il est professeur aussi dans sa façon d'être un homme de gouvernement, il n'est pas un politique. Son pontificat a toujours été un pontificat de propositions, jamais d'imposition, nous avons eu des conférences épiscopales "critiques", mais cela pouvait se produire parce que lui le permettait, et c'est typique de son caractère. On pourrait parler d' un "gouvernement gentil" de l'Eglise ...