Benoit-et-moi 2017
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Cardinal Meisner, RIP

L'hommage magnifique de son ami, le vaticaniste Paul Badde (15/7/2017)

UN DERNIER ADIEU : JOACHIM CARDINAL MEISNER R.I.P.

Cité du Vatican, 6 juillet 2017
de.catholicnewsagency.com
Traduction d'Isabelle

* * *

« On doit avoir ses valises toujours prêtes », me disait le cardinal Joachim Meisner, en mars 2008, sur la place Saint-Pierre ; alors que j’avais eu, peu de temps auparavant, une légère attaque dont il avait entendu parler.

Hier, sûrement, il avait lui-même préparé ses valises, comme le laissent supposer les nouvelles de sa mort soudaine.
Durant le week-end, l’archevêque Gänswein l’avait, par hasard, rencontré à Bad Füssing, en Bavière, un peu fatigué, mais ferme comme toujours. Avant-hier, le cardinal Meisner avait eu, comme nous l’a dit le secrétaire de Benoît XVI, un dernier entretien téléphonique avec le pape émérite, avant d’être retrouvé mort, tôt le matin, son bréviaire entre les mains, prêt à dire sa dernière messe, qu’il a célébrée peu après au ciel. Pour un prêtre aussi passionné que l’était Joachim Meisner, il ne pouvait y avoir de plus belle mort que cette mort en prière !

Mais cela ne diminue pas le chagrin d’avoir perdu ce géant parmi les évêques allemands. Voici quelques semaines, il m’avait encore appelé parce qu’il aurait aimé avoir une photo du pape Benoît XVI qu’il avait découverte dans « Vatican-Magazin ». Pas un seul mot pour se plaindre que le successeur de Benoît, le pape François, ne voulût plus lui accorder d’audience. D’un dernier adieu, il ne pouvait être question à ce moment.
Il était un ami très proche de Jean-Paul II, qui aimait et louait son « âme slave ». Cela ne l’empêchait pas, toutefois, à l’occasion, de contredire en toute franchise le pape polonais lorsqu’il n’était pas d’accord avec lui. Par après, il lui arrivait de contredire tout aussi franchement Benoît XVI lorsqu’il l’estimait nécessaire. (Et ainsi a-t-il naturellement agi avec son successeur).

Mais auparavant le cardinal Meisner avait, avant et après l’élection d’avril 2005, obligé, fermement et avec insistance, le cardinal Ratzinger à accepter sans réticence son élection au trône de Pierre, après que lui-même eut, au cours du conclave, découvert et déjoué un complot du groupe dit de Saint-Gall contre cette élection. Ainsi était-il devenu « faiseur de pape », à côté, – bien sûr – de l’Esprit-Saint. « Aujourd’hui, je me suis battu comme jamais encore de toute ma vie », me raconta-t-il alors, sur le chemin qui le ramenait de la Chapelle Sixtine à son hôtel sur le flanc du Janicule. Il ne pouvait en dire plus.
Mais le feu de ce combat se lisait encore très bien sur ses traits. Il était très véhément lorsqu’il était en chaire, mais surtout en allemand. Mais arriver à convaincre le cercle polyglotte des cardinaux du monde entier sans le vocabulaire nécessaire était une toute autre paire de manches. La fougue de ce combat se voit encore sur une singulière photo prise directement après le conclave, alors que tous les cardinaux se tenaient dans la salle ducale près de la Sixtine, avec, au centre, le nouveau pape, frêle et tout de blanc vêtu, à sa droite, à un mètre de distance, Joachim Meisner, puis les autres cardinaux, de nouveau à un mètre, comme si personne n’osait le toucher. Et tous se pressent autour de ce duo.

Nous venions alors de nous retrouver, parce que – malgré la mort de Jean-Paul II, survenue juste avant, le 2 avril 2005 – il avait absolument tenu à honorer le rendez-vous pris en janvier pour un voyage le 4 avril à Manopello, où il voulait découvrir le suaire du Christ. C’était une folle équipée ! Alors que les correspondants de presse du monde entier confluaient vers Rome, nous étions à 7 heures du matin sur l’autoroute, parcourant l’Italie, pour visiter ce sanctuaire fort oublié sur la côte adriatique. Mes collègues à Berlin ont été abasourdis quand ils ont appris cela. A Manopello, le cardinal, peu enclin à la sentimentalité, fut bouleversé par la rencontre :

« Le visage est l’ostensoir du cœur.
Sur le volto santo, on voit le cœur de Dieu.
+ Joachim card. Meisner, archevêque de Cologne
Pax vobis !
4.4. 2005 »,

a-t-il écrit laconiquement sur le livre d’or du sanctuaire, en ayant auprès de lui, sur l’écritoire, le reliquaire avec le saint voile.
« Aujourd’hui, j’ai rencontré le Seigneur ressuscité », a-t-il dit l’après-midi de ce même jour au doyen du Sacré-Collège, le cardinal Joseph Ratzinger. Ce jour-là il devint le précurseur du retour de l’authentique image du « visage humain de Dieu », dont Benoît XVI, après son élection, ne devait pas cesser de parler, avant de visiter personnellement la relique, le 1er septembre 2006, premier pape de l’histoire après plus de 400 ans, sur les traces du cardinal Meisner [Voir à ce sujet benoit-et-moi.fr/2008-II - magnifiques photos de Spaziani ICI].

L’été qui suivit, le cardinal Meisner envoya – si je ne me trompe pas dans les dates – la moitié de la Conférence épiscopale allemande, en car, de Rome dans les Abruzzes où se trouvait le voile avec l’image du Christ. Si tous les membres de cette expédition partageaient avec lui la même dignité épiscopale, ils n’avaient pas nécessairement sa foi inébranlable en chacun des articles de l’incroyable credo chrétien. Il croyait purement et simplement ; et beaucoup de ses confrères souriaient de sa foi d’enfant et le dénigraient sous cape, le considérant comme un « pasteur peu éclairé de la DDR », qui n’avait pas encore assimilé les plus récents acquis de la théologie de l’ouest. Et il y avait là quelque chose de vrai. Il ne cherchait pas à triturer les saintes Ecritures comme un sceptique mais il vivait en elles, comme dans le monde du sacré et des saints, en particulier dans le monde de la Mère de Dieu qu’il aimait tant.

Maintenant, c’est elle sûrement qui accourra vers lui à la porte du ciel, pour l’accueillir personnellement, peut-être en compagnie de Jean-Paul II qui, comme Joachim de Breslau, lui avait consacré entièrement sa vie : TOTUS TUUS.

Je l’ai rencontré au Saint-Sépulcre, à Jérusalem, sur la colline du Golgotha, à l’abbaye de la Dormition sur le Mont Sion, à Bethléem, au bord du Lac de Génésareth – et souvent à Rome. A Toronto, durant l’été 2002, très tôt le matin, au milieu de la rue, il m’avait promis que les « Journées mondiales de la Jeunesse » suivantes, en 2005, à Cologne seraient « un saint carnaval ». Dans le couvent des Salésiens, à Beit Jallah près de Bethléem, il avait, voici 17 ans, été à ce point saisi par la foi des élèves, qu’il pensait à tout moment voir entrer, par la porte du réfectoire, Don Bosco en personne.

Très souvent dans la suite, il devint pour moi une sorte de « dernière instance » lorsque j’avais écrit pour Die Welt des articles à propos desquels j’avais quelques doutes : pouvais-je en toute conscience dire les choses ainsi ? mes informations étaient-elles fiables ? « Allez-y ! », m’encourageait-il presque à chaque fois, toujours jovial : c’était bien comme je l’avais décrit, mais au fond tout était encore beaucoup plus dramatique.

Dans la basilique Saint-Pierre, nous avons eu longtemps le même confesseur (qu’il trouvait de toutes façons trop libéral pour les péchés plutôt conservateurs que lui – et moi aussi – avions à confesser là-bas). Là-bas, devant la tombe de Pierre, un jour, nous nous sommes croisés, alors que l’un de ses plus proches collaborateurs pour la formation des prêtres venait de lui avouer qu’il était homosexuel et qu’il souhaitait désormais vivre cela ouvertement.
Rien d’humain ne lui était étranger. « Joachim, très bien ! » : tel fut le titre de notre dernier reportage de Vatican-Magazin qui lui était consacré. C’était là une expression de sa mère, que nous aimons à lui redire encore une fois aujourd’hui.

Après notre voyage à Manopello, le 4 avril 2005, nous avons tous les deux prié un dernier rosaire dans la salle Clémentine à quelques pas du corps exposé de saint Jean-Paul II – après avoir prié un rosaire pour aller à Manopello et un rosaire au retour. Ce jour-là, malgré le long voyage aux côtés du cardinal de Cologne, je fus le seul de tous les collègues présents à Rome qui pût voir encore une fois de près et décrire pour mon journal le pape défunt. Et maintenant le grand saint l’a sûrement reçu sans hésitation et subito dans la Jérusalem céleste, pour l’audience pontificale que son successeur ici-bas, dans une Rome qui lui était devenue trop étroite, ne voulait plus lui accorder. Ces deux amis de l’Eglise du Christ éprouvée sur la terre sont désormais ensemble, mais – dans le chœur des anges et des saints – plus proches que cela ne leur fut possible auparavant. Je me réjouis de le retrouver.
C’est bien vrai, et pourtant, il me manque déjà.