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Des athée mieux que des catholiques hypocrites?

Le P. Scalese revient sur certains des propos tenus par le Pape en s'adessant aux catholiques égyptiens - pourtant exemplaires, jusqu'au martyre (4/5/2017)

>>> Ci-dessous: Une icône rend hommage aux 21 martyrs coptes égyptiens tués par Daesch en Lybie le 15 février 2015 (cf. www.la-croix.com)

Mieux vaut des athées

Ce qui frappe, chez le Pape François, non seulement en cette occasion, mais en général, c'est le traitement différent réservé à ceux qui sont à l'intérieur et ceux qui sont en dehors de l'Eglise catholique: autant il se montre cordial avec ceux qui sont dehors, autant il se montre rude, parfois même mordant, envers les catholiques.

Père Giovanni Scalese CRSP
3 mai 2017
querculanus.blogspot.fr/
Ma traduction

* * *

J'avoue ne jamais avoir suivi avec une attention excessive les Papes dans leurs voyages apostoliques. J'ai toujours été d'avis que, lorsqu'un Pape visite un pays, il est juste que ce soient les fidèles et les habitants de ce pays. qui en profitent. Les discours qu'il prononce dans cette circonstance particulière sont en général adressés à eux et pas à la chrétienté. D'habitude, je me limite donc à lire les titres des compte-rendus des journalistes, tout en sachant que la plupart du temps, ils ne font que souligner certains aspects, souvent marginaux, de ce qu'a effectivement dit le Saint-Père.

J'ai adopté cette attitude lors de la récente visite du Pape François en Egypte. Je dois dire cependant que certains titres ont piqué ma curiosité, alors je suis allé lire le texte intégral des deux discours aux catholiques égyptiens: celui au clergé, aux religieux et aux séminaristes, au Séminaire patriarcal Maadi (ICI) et l'homélie de la messe célébrée à l'Air Defense Stadium (ICI).
La visite du pape en Egypte a duré deux jours (28-29 avril): le premier a été consacré aux musulmans et aux coptes; le second, aux catholiques. Je ne reviendrai pas sur le premier jour, qui avait une valeur plus œcuménique et universelle, mais seulement sur les deux interventions du samedi 29. En outre, de ces interventions, je ne prendrai en considération que quelques points, ceux mis en évidence par les médias. Ce faisant, il est évident qu'on finit par négliger l'ensemble de la visite; mais Antiquo Robore [titre du blog] n'est pas un outil d'information ecclésiale, c'est juste un blog qui recueille quelques «pensées en liberté» [sous titre du blog] et auquel il plaît de s'attarder sur quelques détails.

Ce qui frappe, chez le Pape François, non seulement en cette occasion, mais en général, c'est le traitement différent réservé à ceux qui sont à l'intérieur et ceux qui sont en dehors de l'Eglise catholique: autant il se montre cordial avec ceux qui sont dehors, autant il se montre rude, parfois même mordant, envers les catholiques. Au nom du ciel, un père doit savoir être l'un et l'autre: élever un enfant ne signifie pas le couvrir de caresses; un véritable éducateur assume généralement une attitude plutôt austère, parce qu'il exige le maximum de ses disciples. Un père, surtout, connaît les défauts de ses fils, et ensuite intervient pour les corriger. Comme met en garde le Sage: «Celui qui épargne la verge hait son fils, clui qui l'aime est prêt à le discipliner » (Proverbes 13:24). Il est juste, au contraire, de se comporter avec courtoisie envers les étrangers.

Certains ont fait remarquer qu'au moins en Egypte, compte tenu de la situation particulière dans laquelle vivent les chrétiens de ce pays, il aurait été opportun d'insister non pas tant sur la correction, que sur la consolation. Mais il faut dire, en toute équité, que le pape n'a pas manqué d'encourager nos frères (bien entendu, les médias se sont bien gardés de souligner cet aspect):

«Je veux d’abord vous remercier pour votre témoignage et pour tout le bien que vous faites chaque jour, œuvrant au milieu de tant de défis et, souvent, peu de consolations. Je veux aussi vous encourager ! N’ayez pas peur du poids du quotidien, du poids des situations difficiles que certains d’entre vous doivent traverser. Nous vénérons la Sainte Croix, instrument et signe de notre salut. Qui échappe à la Croix échappe à la Résurrection!
"Sois sans crainte petit troupeau : votre Père a trouvé bon de vous donner le Royaume"
(Lc 12,32) [Rencontre de prière avec le clergé, les religieux, les religieuses et les séminaristes].

Cependant, il s'est cru obligé de les mettre en garde aussi contre les «tentations» que les personnes consacrées rencontrent tous les jours sur leur chemin (intéressante la référence aux enseignements des Pères du désert!): La tentation de se laisser entraîner plutôt que de guider; la tentation de se plaindre continuellement; la tentation du bavardage (/des ragots) et de l'envie; la tentation de se comparer aux autres; la tentation du «pharaonisme»; la tentation de l'individualisme; la tentation de marcher sans boussole et sans but.
Ce n'est pas la première fois que le Pape François exhorte ses auditeurs à faire un examen de conscience attentif (le discours de Noël à la Curie Romaine du 22 Décembre 2014 avec ses quinze «maladies curiales» est resté célèbre). Certains des thèmes abordés sont récurrents dans les discours du Saint-Père, non seulement ceux adressés au clergé ou à ses collaborateurs directs, mais aussi ceux qui sont destinés aux simples fidèles. Prenons, par exemple, le thème des commérages: combien de fois le Pape François est-il revenu sur cet argument dans les homélies et dans les audiences? Il est évident qu'il le considère comme un point important. L'homélie prononcée à la paroisse romaine de "Santa Maria a Setteville", le 15 Janvier, a fait un certain bruit. Personnellement, pour être sincère, je ne pense pas que la médisance soit une priorité de l'Église actuelle; je suis convaincu qu'il s'agit d'une des nombreuses misères humaines qui ont toujours accompagné et accompagneront toujours les chrétiens dans leur pèlerinage terrestre. Mais ce n'est pas à moi de décider ce qui est plus utile pour le troupeau en ce moment particulier (tout au plus, je suis en désaccord avec l'affirmation selon laquelle les apôtres «n’étaient pas médisants, ils ne parlaient pas mal des autres, ils ne parlaient pas mal l’un de l’autre. En cela ils étaient de braves personnes. Ils ne parlaient pas mal les uns des autres». Parmi leurs nombreux défauts, malheureusement, ils avaient aussi celui-là (voir par exemple, Mc 10:35-45); le pasteur sait bien ce dont ont effectivement besoin les brebis. Et nous, en fils dociles, nous accepterons avec humilité les corrections que le père croit devoir nous administrer, nous efforçant d'en tirer profit dans notre vie.

Parmi les tentations et les maladies qui peuvent affecter les chrétiens, il ne fait aucun doute qu'il y a de l' hypocrisie. Et le Pape François a donc raison de nous mettre en garde contre ce vice. Jésus aussi l'a fait avec ses disciples: «Méfiez-vous du levain des pharisiens, c’est-à-dire de l'hypocrisie». (Lc 12, 1).Dans l'homélie prononcée au Caire, il est fait référence au passage immédiatement précédent dans l' Évangile de Luc (11: 37-54) et à l'épisode d'Ananie et Sapphira (Actes 5: 3-4), tandis qu'une note renvoie à une citation d'Ephrem et un texte de Sirach ((2, 14, Vulg.).

Ce qui me laisse perplexe, c'est la phrase que le pape François a ajouté: « Pour Dieu il vaut mieux ne pas croire que d’être un faux croyant, un hypocrite!». Bien entendu, devant une phrase comme celle-là, les médias étaient aux anges et l'ont diversement reformulée: «Mieux vaut des non-croyants que des hypocrites!», «Mieux vaut des athées que des catholiques hypocrites!»; et ainsi de suite.

Je pose la question: où, dans l'Écriture, Dieu dit-il qu'il est préférable de ne pas croire plutôt que d'être hypocrites? Que nous ne devrions pas être hypocrite, c'est plus qu'évident: on pourrait faire d'innombrables citations. Mais que, plutôt que d'être hypocrite, il soit préférable de ne pas croire, franchement, j'ai du mal à trouver un seul élément justificatif. Cela me semble plutôt une de ces conclusions hâtives qui sont souvent faites à partir d'une citation biblique. Une affirmation de ce genre me fait revenir en mémoire les slogans répandus dans les années soixante-dix, constamment répétés et qui, à force d'être répétés, devenaient une sorte de dogme incontestable. Parfois, on fait des déclarations apodictiques, qui semblent évidentes, au point qu'on ne ressent pas le besoin de s'arrêter pour en considérer le sens précis.
Qu'un athée soit préférable à un chrétien hypocrite, ressemble à une évidence, mais ça ne l'est pas. On ne se rend pas compte qu'en affirmant cela, alors que parmi les croyants on fait une juste distinction entre ceux qui sont (ou tout au moins s'efforcent d'être) en accord avec leur foi et ceux qui ne le sont pas (dans ce cas, ce sont des hypocrites), parmi les non-croyants, on ne fait pas cette distinction: on ne dit pas que, parmi les athées aussi, il peut y avoir de bons et de moins bons; il semble que tous les athées sont bons par définition. Il semble que la misère humaine concerne seulement les croyants, que les seuls à rester pécheurs sont les chrétiens.
Que les chrétiens, malgré toute l'aide de la grâce, continuent d'être de pauvres pécheurs, il n'est pas nécessaire de le prouver. Mais pourquoi, les autres - les non-croyants - seraient-ils moins chrétiens que les pécheurs? J'ai l'impression que la tendance autodestructrice qui s'est propagée dans l'Église au cours des dernières décennies est venue au point de renverser la réalité: alors qu'autrefois, les chrétiens étaient considérés comme «saints» de toute façon, et tous les autres simple massa damnata, aujourd'hui, c'est l'inverse qui est vrai: tous les autres sont saints; c'est nous, les chrétiens, qui sommes les «monstres» qui continuent à infester la terre. Surtout, j'ai l'impression qu'en faisant certaines déclarations, sans s'en rendre compte, on remet en cause les fondements du christianisme. La foi - qui est indispensable pour le salut («Sans la foi, il serait impossible d'être agréable à Dieu», Hébreux 11: 6) - semble désormais être devenue un optional: on peut tranquillement croire ou ne pas croire, puisque cela ne change rien; ce qui compte, ce n'est pas de croire, mais de vivre vertueusement (dans le cas dont nous parlons, ne pas être hypocrites). Un telle mentalité sent beaucoup le pélagianisme.

Dans la même homélie, une autre phrase du pape François a attiré l'attention des médias: «l’unique extrémisme admis pour les croyants est celui de la charité!».
Clairement, il s'agit d'une phrase à effet, et elle doit être prise comme telle. En particulier, dans un contexte où existe la plaie du fanatisme religieux, il ne semble pas hors de propos de rappeler aux chrétiens ce qu'est le seul extrémisme admissible dans le christianisme, celui de l' amour.
Il est plus que jamais opportun de rappeler que la mesure de l'amour est d'aimer sans mesure, à l'exemple de Dieu, qui nous a aimés de manière «excessive» («propter nimiam caritatem suam, qua dilexit nos», Eph 2:4) et qui donne l'Esprit sans mesure («non ad mensuram dat Spiritum», Jean 3:34). Même si j'ai l'impression que des chrétiens égyptiens, en ce moment, nous ayons seulement à apprendre; non seulement parce qu'ils mettent en danger leur vie tous les jours, mais aussi parce qu'ils sont prêts à pardonner à leurs bourreaux.

Cela dit, je pense cependant qu'il convient de mettre en garde contre de possibles malentendus autour d'une phrase pourtant acceptable comme «l’unique extrémisme admis pour les croyants est celui de la charité!». Comme nous venons de le dire, il s'agit d'une phrase à effet; il serait erroné de la prendre à la lettre, car dans ce cas, on pourrait en donner de fausses interprétations. Par exemple, on pourrait penser que quand il y a l'amour (quel amour?), tout est permis, que tous les paramètres de la vie morale (droit, vertu, ordre, rationalité, etc.) sautent. Que l'amour dépasse la loi, c'est vrai; mais cela ne veut pas dire qu'il peut aller contre la loi. La charité ne ne s'introduit pas dans le royaume de l'anomie [désordre] (a-nomos = sans loi). Jésus dit clairement: «Si vous m'aimez, observez mes commandements» (Jean 14:15). Parfois , on a l'impression que certains confondent la charité avec «l'esprit dionysiaque» de nietzschéenne mémoire, une sorte de délire mystique, d'instinct vital qui échappe à tout contrôle, régle, limite, rationalité. Saint-Paul, face aux excès charismatiques des chrétiens de Corinthe, recommande «que tout se passe dans la dignité et dans l’ordre» (1 Co 14,40). Même l'amour doit respecter un ordre; la charité, pour être authentique, doit être éclairée, c'est-à-dire doit être pratiquée selon la raison (le Pape Benoît, dans le discours de Ratisbonne, cite l'expression de Manuel II Paléologue: « Dieu agit avec logos»). La charité n'éteint pas les autres vertus humaines et chrétiennes, mais les valorise et les tient ensemble comme vinculum perfectionis (Col 3:14): celui qui aime n'est pas autorisé à agir sans prudence, justice, force et tempérance; au contraire, il pratique ces vertus plus que quiconque. Dans l'amour il n'y a pas de place pour le fanatisme; dans l'amour l'«extrémisme» se termine dans le triomphe de la mesure, de l'équilibre, de la modération, de la discrétion. Pour les chrétiens, être «extrémiste» ne signifie pas être fondamentalistes, mais radicaux dans la suite du Christ et l adhésion à l'Evangile. Exactement ce que se révèlent être les chrétiens égyptiens.