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Humanae Vitae dans l'oeil du cyclone

Un projet de "réinterprétation" est à l'étude, une commission ad hoc a été nommée par le pape, et c'est désormais plus qu'une rumeur, selon Roberto de Mattei (19/6/2017)

>>> Dossier Humanae Vitae: benoit-et-moi.fr/2014-I/actualites/humanae-vitae (en particulier, ce qu'écrivait La Croix à l'époque: benoit-et-moi.fr/2014-I/actualites/la-loi-de-la-transmission-de-la-vie)

Y aura-t-il un pasteur ou un théologien qui, face à ce programme de «réinterprétation» d'Humanæ vitæ aura le courage de prononcer le mot «hérésie»?

Dans un éditorial récent sur la Bussola que j'ai traduit dans ces pages (cf. Une Académie Pontificale, mais plus "pour la vie") Riccardo Cascioli écrivait:

Sur Humanae Vitae, il est question depuis quelque temps d'une éventuelle commission «secrète» chargée de revoir l'Encyclique (...). Hier, ces bruits ont trouvé une substance: le professeur Roberto De Mattei a révélé les noms de cette commission.

Voici l'article de Roberto de Mattei, qui nous offre en plus un aperçu historique intéressant permettant de mieux situer les enjeux.
Qui dira encore, en toute bonne foi, que François s'inscrit dans la droite ligne du Magistère précédent?

Le projet de «réinterprétation» d'Humanae Vitae

Roberto de Mattei
14 juin 2017
www.corrispondenzaromana.it
Ma traduction

* * *

C'est Mgr Gilfredo Marengo, professeur à l'Institut Pontifical Jean-Paul II, qui sera le coordinateur de la commission nommée par le pape François pour «réinterpréter» à la lumière d'Amoris Laetitia, l'encyclique Humanae Vitae du Pape Paul VI, à l'occasion du cinquantième anniversaire de sa promulgation, qui tombera l'année prochaine.

Les premières indiscrétions sur l'existence de cette commission encore «secrète», rapportée par le vaticaniste Marco Tosatti, étaient une bonne source. Nous pouvons confirmer qu'il existe une commission, composée de Mgr Pierangelo Sequeri, directeur de l'Institut Pontifical Jean-Paul II, du professeur Philippe Chenaux, professeur d'Histoire de l'Église à l'Université pontificale du Latran, et de Mgr Angelo Maffeis doyen de l'Institut Paul VI de Brescia. Le coordinateur est Mgr Gilfredo Marengo, professeur d'anthropologie théologique de l'Institut Pontifical Jean-Paul II et membre du Comité exécutif de la revue CVII- Centre Vatican II d études et de recherche .

La commission nommée par le pape François a pour mission de repérer dans les archives vaticanes la documentation relative aux travaux préparatoires d'Humanae Vitae, qui se déroulèrent sur une période de trois ans, durant et après le concile Vatican II. Le premier groupe d'étude sur la question du «contrôle des naissances» fut constitué par Jean XXIII en mars 1963, et élargi à 75 membres par Paul VI. En 1966, les «experts» remirent à Papa Montini leurs conclusions, suggérant d'ouvrir les portes à la contraception artificielle. En avril 1967, le document confidentiel de la commission - celui dont devrait partir la «réinterprétation de l'Encyclique - est paru simultanément en France dans Le Monde, en Grande-Bretagne dans The Tablet, et aux États-Unis dans le National Catholic Reporter.

Mais, après deux ans d'hésitation, Paul VI, le 25 juillet 1968, publia l'encyclique Humanae Vitae, par laquelle il réaffirmait la position traditionnelle de l'Eglise, qui a toujours interdit le contrôle artificiel des naissances. Ce fut, selon le philosophe Romano Amerio, l'acte le plus important de son pontificat.

Humanae Vitae fit l'objet d'une contestation sans précédent, provenant non seulement de théologiens et de prêtres, mais aussi de plusieurs épiscopats, à commencer par celui de Belgique, dirigé par le Cardinal Primat Leo Suenens qui, lors du Concile, s'était écrié avec véhémence: «Suivons le progrès de la science. Je vous en conjure, confrères. Évitons un nouveau procès Galilée. Un a suffi à l'Église». Le cardinal Michele Pellegrino, archevêque de Turin, définit l'encyclique comme «l'une des tragédies de l'histoire de la papauté»

En 1969, neuf évêques hollandais, parmi lesquels le cardinal Alfrink, votèrent la «déclaration d'indépendance», qui invitait les fidèles à rejeter l'enseignement de l'encyclique Humanae Vitae. À la même occasion, le Conseil pastoral néerlandais, avec l'abstention des évêques, prit parti pour le Nouveau Catéchisme (ndt: il en est question sur ce site ICI et ICI) rejetant les corrections suggérées par Rome et demandant que l'Eglise reste ouverte à de «nouvelles approches radicales» sur les questions morales, qui n'étaient pas mentionnées dans la proposition finale, mais qui émergeaient des travaux du Conseil, comme les relations sexuelles avant le mariage, les unions homosexuelles, l'avortement et l'euthanasie. «En 1968, se souvient le cardinal J. Francis Stafford, il se passa quelque chose de terrible dans l'Église. Au sein du sacerdoce ministériel, entre amis, on observa partout des fractures qui ne devaient jamais être réduites, ces blessures continuent d'affliger l'Église entière» ("1968, l'année de l'épreuve", dans L'Osservatore Romano du 25 juillet 2008) .

Sur la question de la contraception Paul VI s'est exprimé avec Humanae Vitae d'une manière que les théologiens jugent infaillible et donc non modifiable, non pas parce que le document contient en lui-même les exigences de l'infaillibilité, mais parce qu'il réaffirme une doctrine proposée depuis toujours par le magistère pérenne de l'Eglise. Les théologiens jésuites Marcelino Zalba, John Ford et Gerald Kelly, les philosophes Xavier da Silveira Arnaldo et Germain Grisez, et beaucoup d'autres auteurs, expliquent que la doctrine d'Humanae Vitae doit être considérée comme infaillible, non pas en vertu de son acte de promulgation, mais parce qu'elle confirme le magistère ordinaire universel des papes et des évêques du monde entier.

Mgr Gilfredo Marengo, le prélat auquel le Pape François a confié la tâche de relire Humanae Vitae, appartient en revanche à la catégorie des prélats convaincus de pouvoir concilier l'inconciliable. Dès septembre 2015, commentant sur Vatican Insider les travaux du Synode sur la famille, il invitait à «abandonner une conception du patrimoine doctrinal de l'Eglise comme un système fermé, imperméable aux questions et aux provocations de l'"ici et maintenant", dans lesquelles la communauté chrétienne est appelée à donner raison de sa foi, comme annonce et témoignage».

Dans un article plus récent dans le même journal, au titre significatif: "Humanae Vitae et Amoris Laetitia: histoires parallèles" (Vatican Insider, 23 mars 2017), Mgr Marengo se demande si «le jeu polémique 'pilule oui/pilule non', tout comme celui actuel 'communion pour les divorcés oui/communion pour les divorcés non', n'est pas la simple manifestation d'un malaise et d'une difficulté bien plus décisifs dans le tissu de la vie de l'Eglise».

En effet, «chaque fois que la communauté chrétienne tombe dans l'erreur de proposer des modèles de vie issus d'idéaux théologiques trop abstraits et construits artificiellement, elle conçoit son action pastorale comme l'application schématique d'un paradigme doctrinal». «Une certaine façon de défendre et de mettre en œuvre l'enseignement de Paul VI - ajoute-t-il - a été probablement l'un des facteurs pour lesquels - là, il cite le pape François - nous avons présenté un idéal théologique du mariage trop abstrait, presque artificiellement construit, loin de la situation concrète et des possibilités réelles des familles telles qu'elles sont. Cette idéalisation excessive, surtout quand on n'a pas réveillé la confiance dans la grâce, n'a pas rendu le mariage plus désirable et attrayant, bien au contraire» (François).

Toutefois, si l'antithèse 'pilule oui/pilule non', tout comme celui actuel 'communion pour les divorcés oui/communion pour les divorcés non' est seulement un «jeu polémique» le même principe peut être appliqué à tous les grands thèmes de la foi et de la morale, 'avortement oui/avortement non', mais aussi 'résurrection oui/résurrection non', 'péché originel oui/péché originel non' et ainsi de suite. L'opposition elle-même entre la vérité et l'erreur, le bien et le mal devient, à ce stade, «un jeu polémique».

Il convient de noter que Mgr Marengo ne propose pas de lire Amoris Laetitia sur la ligne de l'herméneutique de la continuité. Il ne nie pas l'existence d'une contradiction entre les deux documents: il admet qu'Amoris Laetitia autorise ce qu'Humanae Vitae interdit. Mais il considère que chaque antithèse théologique et doctrinale doit être relativisée et surmontée dans une synthèse qui soit capable de concilier les opposés.

La vraie dichotomie est entre abstrait et concret, entre vérité et vie. Ce qui compte, pour Mgr Marengo, c'est de s'immerger dans la pratique pastorale, sans se plier à des «idéaux théologiques trop abstraits et artificiellement construits». C'est la pratique, pas la doctrine, qui indique les lignes d'action. Bref, le comportement découle du comportement. Et aucun comportement ne peut être soumis à des évaluations théologiques et morales abstraites. Il n'y a pas de «modèles de vie», il n'y a que le flux de la vie, qui comprend tout, justifie tout, sanctifie tout.

Le principe de l'immanence, contre lequel saint Pie X fulminait dans l'encyclique Pascendi (1907), est reproposé de manière exemplaire.

Y aura-t-il un pasteur ou un théologien qui, face à ce programme de «réinterprétation» d'Humanæ vitæ aura le courage de prononcer le mot «hérésie»?