Benoit-et-moi 2017
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La réforme liturgique est irréversible, vraiment?

Quel sens donner à cette déclaration solennelle de François? Tentative d'interprétation du P. Scalese, à la lumière de l'axiome bergoglien "le temps est supérieur à l'espace" (9/9/2017)

Le discours prononcé par le Pape le 24 août dernier devant les participants à la semaine liturgique nationale italienne (cf. w2.vatican.va ) a fait couler beaucoup d'encre, notamment dans les milieux traditionalistes. Si je n'en ai pas parlé, c'est parce que je n'avais rien d'intéressant à dire sur la question, n'y ayant aucune compétence. Je préfère laisser la parole à un spécialiste, qui d'ailleurs explique pourquoi il a hésité avant de donner son avis, cédant finalement aux pressions de ses lecteurs. Un avis éclairant, comme toujours, au point qu'après l'avoir lu, on se dit: mais bien sûr!!!

La réforme liturgique est un processus qui ne peut pas être arrêté; c'est un mouvement en constante croissance, qui n'admet pas de marche arrière. C'st la même compréhension que, sur un plan plus large, les 'novatores' ont du Concile: Vatican II n'est pas important pour ses documents, c'est-à-dire pour les conclusions auxquelles il est parvenu (...). Le Concile est important pour avoir initié un processus, lent mais inexorable, vers des objectifs non prévus par le Concile lui-même, mais rendus possibles par lui.

Irréversible? Une question.

Père Giovanni Scales CRSP
querculanus.blogspot.fr
7 sptembre 2017
Ma traduction

* * *

J'aurais préféré ne pas m'exprimer sur le récent discours du Pape aux participants à la Semaine Liturgique nationale qui a tant fait discuter les commentateurs surtout pour la phrase «la réforme liturgique est irréversible». En général, quand tout le monde dit son mot, ayant l'impression que désormais tout était dit, l'envie d'ajouter quelque chose qui risque de n'être qu'une répétition inutile m'abandonne. En outre, pour moi qui ai à plusieurs reprises réclamé du Pape des interventions ayant davantage d'autorité, voir qu'enfin, François avait fait un discours comme Dieu le commande ne pouvait que me réjouir. Peut-être que le fait d'en appeler à «l'autorité magistérielle» pouvait sembler déplacée, parce que jusqu'ici on ne l'avait jamais fait pour les questions d'importance bien plus grande; mais laissons tomber cela, c'est bien ainsi.

Mais comme le débat ne montre aucun signe de s'atténuer, et comme j'ai été sollicité par un lecteur, je vais essayer d'ajouter ma voix à celles d'autres observateurs, acceptant consciemment de prendre le risque mentionné ci-dessus.
Pour dire quoi? Pour dire que l'affirmation «la réforme liturgique est irréversible» n'est pas claire du tout.
Qe signifie-t-elle?
Que la réforme liturgique, telle qu'elle a été élaborée, ne peut pas être changée, au moins pour le moment? Eh bien, si tel était le cas, la chose ne me déplairait pas plus que cela. J'ai toujours été un partisan convaincu de la réforme liturgique. Cela ne m'a pas toutefois pas empêché d'en relever sereinement les limites; et voilà pourquoi l'idée d'une «réforme de la réforme», entendue comme ajustement - certes pas comme abrogation - de la réforme liturgique, ne me déplaisait pas. Mais, si cela n'est pas possible (pour des raisons qui, franchement m'échappent sur le moment), je dois dire que pour moi, la liturgie rénovée est très bien comme elle est, à condition qu'elle soit dignement célébrée, selon les livres liturgiques, et non selon les improvisations et la «créativité pastorale» de chaque célébrant.

Mais je crains que l'interprétation à donner aux mots «la réforme liturgique est irréversible» ne soit pas celle-là. Elle signifierait considérer la réforme liturgique comme quelque chose de statique, donnée une fois pour toutes et immuable. Et si tel était le cas, les partisans du renouveau liturgique deviendraient, tout à coup, les conservateurs, comme cela a été remarqué à juste titre sur la Bussola. Ce qui ne ne semble pas crédible.
Il est beaucoup plus probable que lorsque le Pape Bergoglio affirme que «la réforme liturgique est irréversible», il veut plutôt dire: le «processus» enclenché par le Concile avec la réforme liturgique est irréversible; c'est un processus qui se poursuit et ne peut pas être arrêté. Il ne s'agit pas, de ma part, d'une simple supposition; c'est une interprétation qui trouve son fondement dans des affirmations contenues dans le discours lui-même:

Les livres réformés conformément aux décrets de Vatican II ont instauré un processus qui requiert du temps, une réception fidèle, une obéissance pratique, une sage mise en œuvre de la célébration de la part, tout d’abord, des ministres ordonnés, mais aussi des autres ministres, des choristes et de tous ceux qui participent à la liturgie.

Cette interprétation est parfaitement cohérente avec la vision «philosophique» du Pontife. Si vous vous souvenez, le premier des quatre postulats du pape François, affirme que «le temps est supérieur à l'espace» [cf. benoit-et-moi.fr/2016]. Eh bien, dans l'Exhortation apostolique Evangelii Gaudium, cet axiome est illustré en ces termes:

Ce principe permet de travailler à long terme, sans être obsédé par les résultats immédiats. Il aide à supporter avec patience les situations difficiles et adverses, ou les changements des plans qu’impose le dynamisme de la réalité. Il est une invitation à assumer la tension entre plénitude et limite, en accordant la priorité au temps. [...]
Donner la priorité au temps c’est s’occuper d’initier des processus plutôt que de posséder des espaces. Le temps ordonne les espaces, les éclaire et les transforme en maillons d’une chaîne en constante croissance, sans chemin de retour. Il s’agit de privilégier les actions qui génèrent les dynamismes nouveaux dans la société et impliquent d’autres personnes et groupes qui les développeront, jusqu’à ce qu’ils fructifient en évènement historiques importants. Sans inquiétude, mais avec des convictions claires et de la ténacité.(n 223).

Essayez d'appliquer ces mots à la réforme liturgique, et vous comprendrez ce que veut dire le pape François quand il dit que «la réforme liturgique est irréversible»: la réforme liturgique est un processus qui ne peut pas être arrêté; c'est un mouvement en constante croissance, qui n'admet pas de marche arrière. C'st la même compréhension que, dans un plan plus large, les novatores ont du Concile: Vatican II n'est pas important pour ses documents, c'est-à-dire pour les conclusions auxquelles il est parvenu (si tel était le cas, il constituerait seulement une nouvelle orthodoxie à substituer à l'ancienne). Le Concile est important pour avoir initié un processus, lent mais inexorable, vers des objectifs non prévus par le Concile lui-même, mais rendus possibles par lui.

La matrice idéaliste de cette conception, qui présuppose la primauté du devenir sur l'être, est évidente. Mais disons que l'idée de «processus», affranchie de ses prémisses philosophiques, on pourrait même l'accepter. Après tout, Dieu lui-même s'est manifesté dans l'histoire et la révélation s'est réalisée progressivement à travers les siècles. La tradition même de l'Eglise, entendue comme tradition vivante, pourrait être considéré comme un «processus». Eh bien, si la réforme liturgique est un processus, la proposition d'une «réforme de la réforme» pourrait être considérée comme un moment à l'intérieur de ce processus: aucun de ses défenseurs - ni le cardinal Ratzinger ni le cardinal Sarah - n'a jamais pensé à remettre en cause la réforme liturgique; en parlant de réforme de la réforme, ils ont voulu justement s'insérer dans ce processus de réforme, que personne ne veut arrêter, mais seulement continuer et approfondir dans la bonne direction (qui est celle indiquée par Vatican II). On pourrait même penser que Benoît XVI, en publiant le Motu Proprio Summorum Pontificum, a voulu, à son tour, lancer un processus: quand il parle d'enrichissement mutuel des deux formes du rite romain, il fait allusion à quelque chose d'indéterminé qui est encore à venir et qui pourrait conduire - pourquoi pas? - à cette «réconciliation liturgique», dont parle aujourd'hui le cardinal Sarah.

Alors, parlons même de «processus» au sujet de la réforme liturgique, mais à condition que nous éliminions certaines expressions apparemment évidentes, mais en fait dénuée de sens, comme, justement, que c'est un processus irréversible ou qu'on doit toujours aller de l'avant et qu'on ne peut pas revenir en arrière.
Notre bon Vico [1668-1744, historien et philosophe italien] nous enseigne que, dans l'histoire, ils y a des "cours et des recours" [corsi e riscorsi/ avancées et reculs? cf. ICI]; l'histoire entendue comme progrès sans fin (vers quoi?) est de l'idéologie pure, qui ne se reflète pas dans la réalité.
En second lieu, nous devons libérer la catégorie de processus de toute forme de déterminisme, comme si ce qui se devra se passer était déjà programmé: il s'agirait seulement d'attendre. Beaucoup, parlant de processus historiques, pensent qu'ils savent déjà comment les choses évolueront, tout simplement parce que leurs schémas idéologiques prévoient déjà le résultat final du processus. C'est la raison pour laquelle les craintes d'une nouvelle évolution de la réforme liturgique vers quelques-uns des points du programme de réforme qui semblent être à l'origine du pontificat actuel ne sont pas infondées: diaconat (et sacerdoce?) féminin; primauté de la parole de Dieu sur l'Eucharistie; concélébration œcuménique avec les protestants; etc.

Mais, ce faisant, ils verraient démenties les affirmations, plusieurs fois répétée, au sujet des «surprises de Dieu». Une fois engagé un processus, nous ne savons pas où il conduira. Nous devons précisément rester ouvert aux «surprises de Dieu». Et si Dieu voulait, dans ce processus de réforme liturgique en cours, récupérer certains aspects de l'ancienne liturgie de l'Eglise, qui sommes-nous «pour empêcher l'action de Dieu?» (Actes 11:17).