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Le pompier dans ses oeuvres

Scandale à Ratisbonne et "instrumentalisation" de Benoît XVI: Andrea Tornielli s'en prend aux complotistes. La réponse d'Ettore Gotti Tedeschi (20/7/2017)

Andrea Tornielli réagit aux polémiques entourant la révélation de présumés faits de pédophilie dans le choeur de Ratisbonne (cf. Un étrange timing) comme il le fait systématiquement: en pompier qui vole au secours de son idole, et, la lance à la main, se rue pour éteindre l'incendie.
Après avoir cité le "démenti" de Mgr Gänswein - très soucieux de nier toute intention de critiquer son successeur de la part de Benoît XVI -, dans Il Giornale, il se donne beaucoup de mal pour replacer la métaphore de la barque prête à chavirer dans l'histoire de la papauté récente: il puise dans ses archives, citant Paul VI, Benoît XVI lui-même, et bien sûr François, - mais il oublie curieusement ce qui rappelait le plus le message du Pape émérite, à savoir sa fameuse méditation de la Via Crucis 2005, où le cardinal Ratzinger évoquait "la barque prenant eau de toutes parts".

In cauda venenum: en conclusion de son article, Tornielle attaque ceux (dont je suis!!) qui ont osé faire le rapprochement entre la gêne causée à certains par l'éloge funèbre du cardinal Meisner et l'irruption presque simultanée d'une affaire de pédophilie à Ratisbonne, éclaboussant le frère de Benoît XVI. Avec l'argument habituel: ils ne sont pas de bons catholiques, il leur manque le regard de la foi.

Je voulais juste évoquer cette histoire, sans rentrer dans les détails, mais puisque Tornielli prétend "sourire" de la "tentative pathétique" de ceux qui ont osé évoquer cette curieuse "coïncidence temporelle" (il sourit jaune, à mon avis), je me permets de m'amuser moi aussi un peu et de "sourire" de sa propre "tentative pathétique" de foncer au secours du Pape, discréditant ceux qui ont l'audace de ne pas penser droit (en passant, il feint de se faire l'avocat de Mgr Ratzinger, mais un avocat comme cela, c'est pire qu'un procureur).
J'ai donc traduit son article, qui est une véritable synthèse, comme disait le regretté Michel Audiard.

Et pour équilibrer, à la suite, j'ai traduit une interview d'Ettore Gotti Tedeschi, à compter lui aussi parmi les "pathétiques" complotistes dénoncés par Andrea Tornielli. Si un jour il se décidait à dire ce qu'il sait (ce que je doute qu'il fera), notamment sur la démission de Benoît XVI, nul doute que ce serait très intéressant.

Tornielli attaque

De Joseph à Georg, instrumentalisations sur les frères Ratzinger

www.lastampa.it
19 juillet 2017

* * *

«Le pape émérite a été délibérément instrumentalisé, avec cette phrase il ne faisait pas allusion à quelque chose de précis, il parlait de la situation de l'Église d'aujourd'hui comme du passé, avec une barque qui ne navigue pas dans des eaux tranquilles. François le dit aussi. Je comprends que cette image puisse donner lieu à des allusions ou des fausses pistes, mais derrière ces mots il n'y a aucune attaque».
Avec ces mots, Mgr Georg Gänswein, préfet de la Maison pontificale et secrétaire de Benoît XVI, interrogé par le quotidien «Il Giornale», a cherché à désamorcer la controverse soulevée par le message envoyé par le pape émérite pour les funérailles du cardinal Joachim Meisner, mort ces jours-ci.

Dans ce message en mémoire de son ami, Joseph Ratzinger avait écrit: « Ce qui m'a touché, c'est que le cardinal Meisner a vécu dans cette dernière période de sa vie de plus en plus la certitude profonde que le Seigneur n'abandonne pas son Eglise même si parfois la barque s'est remplie presque au point de chavirer». Ces mots ont été immédiatement interprétés comme une attaque contre son successeur le pape François .

L'image de la barque dans une mer houleuse, et du Seigneur qui semble dormir au lieu de la conduire, est une référence qui traverse deux mille ans d'histoire de l'Église. L'épisode évangélique est racontée par Marc (4, 35-41): les disciples terrorisés sont dans une marque dans la tempête, et Jésus, qui est avec eux, est profondément endormi à l'arrière, tranquille. Les disciples le réveillent et lui reprochent presque son attitude. Il commande à la mer et au vent de s'apaiser et immédiatement vient le calme. Le but du miracle n'est pas tant de faire ressortir la puissance du Fils de Dieu, mais de susciter la foi des siens, leur reprochant d'avoir eu peur bien que leur Maître fût sur la barque avec eux.

On peut rappeler ici les paroles de Paul VI, en Décembre 1968 dans le séminaire lombard. Elles furent prononcées quelques mois après la publication de l'encyclique «Humanae Vitae», qui représenta le moment de plus grand isolement du Pape Montini, attaqué par ses propres amis. Il dit: «Beaucoup attendent du pape des gestes dramatiques, des interventions énergiques et décisives. Le Pape ne pense pas devoir suivre d'autre ligne que celle de la confiance en Jésus-Christ, qui se soucie de son Eglise plus que tout autre. C'est lui qui calmera la tempête. Combien de fois le Maître a-t-il répété: “Confidite in Deum. Creditis in Deum, et in me credite!”. Le Pape sera le premier à suivre ce commandement du Seigneur et à s'abandonner sans angoisse ou craintes inopportunes, au jeu mystérieux de l'assistance invisible mais absolument certaine de Jésus à son Eglise. Il ne s'agit pas d'une attente stérile ou inerte mais d'attente vigilante dans la prière».

Cette même conscience du fait que ce n'est pas le protagonisme du pape qui dirige l'Église est apparue à plusieurs reprises au cours des huit années du pontificat de Benoît XVI. Il suffit de mentionner les mots de Joseph Ratzinger dans son discours à la dernière audience de la place Saint-Pierre le matin du 27 Février 2013, la veille du début du Siège vacant suite à la démission: «Je vois l'Eglise vivante! L'Eglise n'est pas à moi, elle n'est pas à nous, mais elle au Seigneur qui ne la laissera pas sombrer; c'est Lui qui la conduit ....».

Le même regard de foi se retrouve chez le pape François , qui à l'Angélus du 10 Août 2014, commentant l'Evangile de Marc, a dit:
« Combien de fois nous arrive-t-il à nous aussi la même chose! Sans Jésus, loin de Jésus, nous avons peur et nous nous sentons inadéquats au point de penser ne pas réussir. Il manque la foi! Mais Jésus est toujours avec nous, sans doute caché, mais présent et prêt à nous soutenir. Voilà une image concrète de l’Eglise: une barque qui doit affronter les tempêtes et qui semble parfois sur le point d’être renversée. Ce qui la sauve ne sont pas les qualités et le courage de ses hommes, mais la foi, qui permet de marcher également dans l’obscurité, dans les difficultés. La foi nous donne la certitude de la présence de Jésus toujours à nos côtés, de sa main qui nous prend pour nous soustraire au danger. Nous sommes tous sur cette barque, et là, nous nous sentons en sécurité en dépit de nos limites et de nos faiblesses».

Paroles presque identiques (???) à celle répétées aujourd'hui par le Pape émérite à propos de la barque «presque sur le point dde chavirer».

On comprend donc bien combien le fait de se servir contre son successeur des mots utilisés par le Pape émérite dans son message pour les funérailles de Meisner est une instrumentalisation. Et surtout, combien cette instrumentalisation démontre l'absence de connaissance de l'enseignement de Benoît XVI, et en fin de compte, l'absence des yeux de la foi. Et, si l'on regarde de l'autre côté, il semble peu crédible de supposer que le pape émérite n'est pas l'auteur de ce message à son ami cardinal.

Mais il y a une autre instrumentalisation des dernières heures qui concerne Joseph Ratzinger, même si ce n'est pas directement Joseph mais son frère Georg, 93 ans, ancien directeur du choeur de Ratisbonne. Pour écarter tout équivoque, il convient de souligner que les conclusions de l'enquête lancée par le diocèse pour les deux dernières années sont terribles: 547 enfants victimes d'abus, dont 67 victimes d'abus sexuels, dans certains cas répétés. Les épisodes se réfèrent à une période allant des années 50 aux années 80. Les abus ont eu lieu dans l'école fréquentée par les enfants du chœur.

L'histoire a émergé en 2010, au point culminant du scandale de la pédophilie, et ce qui a fait du bruit, c'est le fait que le frère du pape d'alors avait dirigé pendant trente ans le chœur des «Regensburger Domsplatzen». A présent, la commission d'enquête a conclu ses travaux, et le mardi 18 juillet, les résultats ont été rendus publics. Aucune accusation de nature sexuelle n'est avancée contre Georg Ratzinger [!!!], qui déjà en 2010 avait demandé pardon pour des accès de colère, admettant qavoir donné des gifles, et pour n'avoir pas réalisé la gravité des faits qui se produisaient au sein de l'école. L'avocat des victimes a déclaré que Georg Ratzinger ne pouvait pas ne pas savoir [!!!], et donc que d'une certaine façon, il a couvert ce qui se passait. Il faudra attendre d'avoir lu en détail les témoignages, mais déjà en 2010, le frère de Benoît XVI avait déclaré qu'il n'avait jamais été au courant d'accusations d'abus de nature sexuelle.

Il faudrait par conséquent plus de prudence [à qui?]: il est évident que le nom de Georg Ratzinger, en 2010 comme aujourd'hui, fait la nouvelles. Mais l'association de ce nom aux abus sexuels dans les titres (bien que formellement corrects) des médias semble suggérer une quelconque responsabilité de sa part dans les abus. Responsabilité qui n'est pas.

La tentative pathétique de ceux qui ont souligné la «coïncidence» temporelle entre le message (mal exploité) de Benoît XVI aux funérailles de son ami Meisner et la publication des résultats de l'enquête sur les abus à Ratisbonne fait alors quelque peu sourire - et indique le niveau d'instrumentalisation auquel on est arrivé. Dans le plus pur style «complotiste» les deux événements ont été mis en relation, jetant la pierre et cachant la main (c'est-à-dire sans donner le moindre indice de corrélation réelle), mais en laissant entendre que le deuxième événement est relié au premier, comme s'il pouvait s'agir de la contre-offensive d'un spectre «bergoglien» contre les résistants «ratzingeriens».

Réponse de Gotti Tedeschi

Ratisbonne, Gotti Tedeschi: «Scandales à titre d'avertissement, je connais. Il faut comprendre le renoncement de Ratzinger»

19 juillet 2017
Marta Moriconi
IntelligoNews

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Un nouveau scandale a investi l'Église. En effet, il est venu à la lumière l'affaire des 547 enfants qui, entre 1945 et le début des années 90, auraient subi des violences dans le choeur du Dôme de Ratisbonne, le plus ancien chœur de petits chanteurs au monde, qui fut également dirigé pendant trente ans par le frère du Pape émérite , Georg Ratzinger. C'est l'avocat Ulrich Weber, chargé par l'Eglise de faire la lumière sur le scandale présumé qui a fourni les chiffres. Comme l'a souligné l'avocat, durant cette longue période, des enfants et des jeunes ont subi des violences physiques et 67 violences sexuelles, dans certains cas les deux à la fois. L'enquête aurait permis d'identifier 49 responsables, même s'il y aura difficilement des procès parce que les délits sont prescrits. Beaucoup estiment ce scandale fabriqué pour frapper le pape émérite Benoît XVI, un personnage gênant et combattu. IntelligoNews a écouté l'opinion faisant autorité de l'économiste catholique, ex-directeur de l'IOR, Ettore Gotti Tedeschi.

- L'affaire de Ratisbonne: on parle de plus de 500 victimes de violence. C'est une phase d'enquête, mais on crie déjà au silence complice de l'Eglise. Comment voyez-vous ce qui a émergé à ce jour?

«Je ferai la distinction entre les raisons de cet avertissement supposé, et les modalités. En ce qui concerne les raisons, je dois dire qu'il était prévisible que cela sortirait pour deux motifs en particulier. Le premier est à relier au fait que les considérations faites par le Pape émérite dans l'introduction au livre du cardinal Sarah et celles consacrées au cardinal Meisner, lors de l'éloge funèbre, ont été peu appréciées. La deuxième raison réside dans la «disgrâce» suivie d'inévitables polémiques, du préfet de la doctrine de la foi, le cardinal Müller (évêque de Ratisbonne, 2002-2012). En revanche, en ce qui concerne les modalités, comment s'étonner de l'utilisation de nouvelles de scandales à titre d'avertissemnt? Nous venons tout juste de connaître des expériences identiques se référant au cardinal Pell. S'agissant d'une expérience que j'ai faite personnellement, que pourrais-je vous dire? Un nombre incalculable de personnalités non alignées avec le Vatican vont à présent préparer leur défense pour ce qui s'est passé au jardin d'enfants, quand ils ont donné un coup de pied à la maîtresse ou volé le goûter d'un camarade de classe. Mais il est évident que cette corrélation parfaite de cause à effet, sera parfaitement expliqué par les zélés lèche-bottes professionnels habituels».

- Pendant 30 ans, le frère de 'Papa' Ratzinger a dirigé le choeur de Ratisbonne. Georg Ratzinger fait savoir: «J'ai moi aussi donné des gifles, mais je ne savais rien des violences». À votre avis, ils jettent de la boue sur lui et sur Müller qui fut évêque de Ratisbonne et est blâmé pour la façon dont il a traité la question après les plaintes?

«Passez-moi une remarque "politico-éducative": qui sait le bien fait à tel ou tel élève par Mgr Georg Ratzinger, avec une ou deux claques ou fessées paternelles, comme c'était certainement son intention, surtout avec les modèles éducatifs de l'époque, il y a cinquante ans. Si on remontait un peu plus loin dans le temps, on évoquerait peut-être aussi des châtiments corporels au fouet ou l'obligation sadique de se mettre à genoux sur le sel».

- Joseph Ratzinger lors des funérailles de Meisner a parlé d'une crise dans l'Église. Selon vous, n'est-ce pas une drôle de coïncidence que juste à ce moment, ils s'attaquent à son frère Georg?

«J'ai eu le privilège de travailler au service de Benoît XVI, l'un des plus grands papes de l'histoire de l'Eglise, destiné à être considéré comme "Magno", même s'il n'est pas officiellement reconnu comme tel. Je voudrais anticiper pour vous une clé pour une interprétation d'ensemble, quelque peu cryptique: pour comprendre les raisons de la renonciation de Benoît XVI, il faut comprendre la nomination de son successeur, pour comprendre la nomination de son successeur, il faut avoir compris la raison de la renonciation? Prenez donc une aspirine...».

- Les journaux titrent tous sur la transparence du pape François, mais celle de Joseph Ratzinger (aussi à l'époque où vous étiez président de l'IOR) est-elle sous-évaluée?

«Il vaut mieux que je ne répète pas une deuxième fois ce que je pense. Je vous donne une réponse indirecte. En Décembre 2014, le cardinal Pell a accordé une interview à l'un des plus prestigieux magazines catholiques européens, le Catholic Herald Tribune, où il expliquait qu'enfin avec le pape François on réalisait la vraie transparence. A la demande du directeur du Catholic Herald, j'ai répondu dans un article ultérieur, le 8 Janvier 2015 [ndt: What Cardinal Pell needs to know]. Dans cet article, je soumettais à Son Eminence au moins cinq questions pour lui permettre de tester personnellement s'il connaissait vraiment de quoi il parlait et ce qu'il savait des actions de transparence entreprises sous le pape Benoît XVI. Le cardinal ne répondit pas, mais un peu plus tard dans une interview à un journal italien, La Repubblica, si je me souviens bien, il reconnut que le processus de transparence avait déjà été commencé avec Benoît XVI (reconnaissant même mon rôle personnel). Serait-ce aussi à cause de cette admission que le cardinal Pell a lui aussi été, disons "sacrifié"?»