Benoit-et-moi 2017
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Les questions respectueuses d'un fils de l'Eglise

Les "dubbia" d'Aldo Maria Valli (et de Lorenzo Bertocchi): recension sur la Bussola de son essai "266. Jorge Mario Bergoglio Franciscus PP" (2/1/2017)

>>> Voir aussi: Le 266-ème Pape

Nous en avons déjà parlé, et nous en reparlerons bientôt. C'est manifestement un livre important, en particulier (je me répète) parce qu'il n'est pas écrit dans un esprit d'hostilité a priori (ou pouvant passer pour telle), et par quelqu'un qui n'appartient à aucune chapelle, catholique insoupçonnable, et surtout qu'on ne peut pas classer parmi les "conservateurs". Ce qui ne l'empêche pas de souligner tous les doutes que les mots et les actes de François suscitent en lui.
Une petite note concernant l'auteur de la recension: la Bussola n'a pas choisi le camp de la dissidence ouverte contre le Pape - pour des raisons compréhensibles et respectables - mais celui de la critique raisonnée - et feutrée. D'où sans doute une certaine frustration. Et ici, on a l'impression que l'auteur est soulagé de trouver quelqu'un qui se fait le porte-parole de ses propres réserves: "je pense comme lui, mais ce n'est pas moi qui l'ai écrit..." (je comprends d'autant mieux qu'il m'arrive de faire la même chose!).

Valli, les questions sur le pape d'un fils de l'Eglise


Lorenzo Bertocchi
2 janvier 2016
www.lanuovabq.it
Ma traduction

* * *

Le recueil documenté de près de quatre ans de pontificat de François, mis sur papier par le vaticaniste de Tg1, laisse le lecteur avec un énorme point d'interrogation. Comme un quiz non résolu.

Aldo Maria Valli, en quelque 200 pages (266. Jorge Mario Bergoglio Franciscus PP, Liberilibri) offre une série longue et détaillée d'épisodes et de citations du 266e Successeur de Pierre, soulevant des interrogations courtoises, mais qui ne laissent aucun doute sur les préoccupations que le pape Bergoglio a soulevées.

Au commencement était le cardinal Kasper; comme tout le monde s'en souvient, au premier Angelus, François cita élogieusement le cardinal et théologien allemand, alors quelque peu aux marges de l'intelligentsia catholique [ndt: cf. benoit-et-moi.fr/2013-I (note de bas de page...!)]. Défini comme un «théologien intelligent, un bon théologien (un teologo in gamba)» et loué pour son livre sur la miséricorde, Kasper peut être considéré comme la référence «académique» de ce qui est devenu plus tard (comme par hasard?) le cœur du pontificat de François: la Miséricorde. C'est encore au cardinal Kasper qu'il faut revenir pour comprendre le double synode sur la famille, celui qui a trouvé une synthèse dans la controversée exhortation Amoris laetitia. C'est avdec la tristement célèbre "relation Kasper", au consistoire de Février 2014 que démarra le long marathon synodal, qui a conduit, dans certains cas, à l'accès à l'Eucharistie pour les divorcés remariés cohabitant comme mari et femme (more uxorio).

Indépendamment des dissertations possibles sur l'interprétation (controversée) de la miséricorde divine selon Kasper, reste le passage de paradigme qui semble guider le pontificat de Bergoglio, un homme d'action, et certes ni un théologien ni un philosophe: de la logique de docteur de la loi à celle du Samaritain. Dommage, dit Valli, que ce passage «comporte de nombreux problèmes». Le plus grave, en particulier à la lumière du "cas par cas" érigé en système, semblerait être celui du «triomphe du contingent sur l'absolu, du transitoire sur le stable, du possible sur le nécessaire». A coup de «discernement» et «d'accompagnement» on peut se demander si la réalité ne finit pas par se réduire à l'expérience de l'individu comme le seul juge de lui-même. Certains, à plusieurs reprises, ont parlé d'oubli des absolus moraux et de triomphe de l'éthique de situation, celle qui a déjà condamnée par saint Jean-Paul II dans l'encyclique Veritatis Splendor. Questions pressantes, dans les pages du livre de Valli, questions condensées dans les 5 fameux "dubia" présentés par quatre cardinaux sur le Chapitre VIII d'Amoris laetitia .

Le Pape du «qui suis-je pour juger les gays», phrase culte, extrapolée (???) à partir de l'une de ses premières interviews en altitude, est aussi le Pape des confidences répétées au roi des laïcistes italiens Eugenio Scalfari, dans lesquelles il a formulé d'autres slogans comme par exemple, le très cité «Dieu n'est pas catholique». Il a qualifié Luther de «médicament» pour l'Église qui était malade, et a participé à la commémoration du 500e anniversaire de la Réforme, faisant miroiter des chemins possibles vers cette intercomunion déjà traitée de façon confuse devant l'église luthérienne de Rome en 2015. Lors de la visite papale en Suède pour célébrer la Réforme, il a donné pour acquis le dépassement des problèmes sur la doctrine de la justification (il y a la Déclaration conjointe de 1999, à laquelle le Cardinal Kasper travailléa avec diligence qui n'a toutefois pas résolu tous les problèmes).

A propos de l'islam et du terrorisme, selon Valli, le point essentiel est que François reste muet «sur le problème que l'Islam a avec la violence. La lecture uniquement sociologique et économique du terrorisme - ajoute le vaticaniste - est également pour le moins restrictive». Sur la question de la terreur, il y a un autre slogan: celui du «fondamentalisme catholique», en substance mis sur le même plan que celui islamique. De retour du voyage en Pologne, dans l'avion, le Pape a dit aux journalistes qu'il «n'aime pas parler de la violence islamique parce que chaque jour quand je feuillette les journaux, je vois la violence ici en Italie: celui qui tue sa petite amie, une autre qui tue sa belle-mère... Et ce sont des catholiques baptisés violents! Ce sont des catholiquest violents ... Si je devais parler de la violence islamique, je devrais aussi mentionner la violence catholique».

Les aspects socio-économiques sont un autre parmi les thèmes récurrents des analyses proposées par François: ils entrent en jeu dans la question du soin de l'environnement, exprimé dans l'encyclique Laudato Si', et surtout dans les rapports de ces mouvements populaires qui sont souvent de matrice clairement marxiste. À plusieurs reprises, il a attaqué de façon générique «le système » et «l'idole argent», indiqués aussi comme cause de la difficulté de se marier.

Tout cela, et bien plus encore, se trouve dans les 200 pages d'Aldo Maria Valli qui se torture à force de questions face aux doutes que soulève la chronique papale. À un moment donné, il y a un dialogue avec un journaliste mystérieux, lequel offre une synthèse du Bergoglio-pape. Il y est dit que le pontife argentin est légèrement répétitif et donc le journaliste mystérieux fait un résumé des phrases et des thèmes récurrents: «Dieu? Miséricordieux [Dieu est plus grand que notre péché, note de l'auteur]. L'Église? Qu'elle soit pauvre et pour les pauvres, en sortie et vers les périphéries, et soigne les blessés dans un hôpital de campagne. La pastorale? Qu'elle n'introduise pas de [barrières de] douane, mais facilite la rencontre avec le Seigneur. Puis il y a les corollaires, tout autant répétés: que les pasteurs portent l'odeur des brebis, ne fassent pas de commérages et ne pensent pas à faire carrière. La société? qu'elle lutte contre la culture du déchet et le dieu-argent [et la corruption qui est un plus grand mal que le péché, note de l' auteur]. Que les grands-parents soient respectés. Q'un toit, une terre et du travail soient garantis».

Au lecteur qui prendra en main le pamphlet d'Aldo Maria Valli, nous laissons la découverte des derniers points d'interrogation qui constellent les dernières pages d'un livre libre, écrit avec respect par un fils de l'Eglise.