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Les temps ont bien changé...

Réflexion sur la "sagesse ancienne" qui ressort des Règles de l'ordre des Barnabites, auquel le P. Scalese appartient. Comment ne pas penser à ce qui se passe aujourd'hui au sommet de l'Eglise? (5/8/2017)

Une sagesse ancienne

Père Giovanni Scalese CRSP
querculanus.blogspot.fr
3 août 2017
Ma traduction

* * *

Après avoir publié l'édition italienne des Constitutions des Barnabites de 1579 (Barnabiti studi, n. 31/2014), je suis aujourd'hui aux prises avec la traduction des Regulae officiorum, autrement dit les normes pratiques qui réglaient la vie quotidienne d'un communautés de Clercs réguliers de Saint Paul. Elles aussi se sont formées entre le XVIe et le XVIIe siècle, pour être ensuite revues et adaptées à plusieurs reprises au cours des siècles suivants (leur dernière édition date de 1950).

Si le travail sur les Constitutions s'était avéré extrêmement intéressant, parce qu'il m'avais ouvert les richesses de ce qui avait été le code fondamental des Barnabites pendant quatre cents ans (1579-1976), le travail sur les Regulae officiorum s'annonce encore plus passionnant, parce que, en plus d'y retrouver l'esprit de la congrégation, on se trouve face à la vie concrète, de tous les jours, avec ses aspects positifs et négatifs, et avec des indications claires sur la façon de se comporter.

Je reste bouche bée devant tant de sagesse, qui n'est certainement pas improvisée, mais le résultat d'une longue et douloureuse expérience. Et c'est justement ce qui touche le plus: nos aînés n'avaient pas la prétention d'«inventer » leur vie tous les jours, comme nous sommes portés - et souvent invités, même d'en-haut - à le faire aujourd'hui; ils mettaient à profit les enseignements d'une tradition antérieure (le magistère des Pères du désert), ils y ajoutaient leur expérience vécue et tout cela, ils le transformaient en précieuses lignes directrices pour eux-mêmes et leurs successeurs.

C'est quelque chose qu'aujourd'hui, nous avons perdu complètement. Nous sommes convaincus que chaque jour, nous devons repartir de zéro. Ce qui appartient au passé est ipso facto vieux, obsolète, et n'a donc plus rien à dire; c'est nous qui devons jour après jour décider de la meilleure façon de nous comporter. Sur la base de quoi? De ce qui, au moment actuel, nous semble le plus utile. Et nous ne remarquons pas que c'est la meilleure façon d'aller vers un échec certain. Regardez, juste pour donner un exemple, ce qui se passe dans le domaine législatif: les lois qui sont approuvées sont généralement le produit de compromis entre différentes visions idéologiques, pour la plupart loin de la réalité, et sont souvent le résultat d'une maigre culture et de l'improvisation. Avec le résultat qu'elles sont déjà vieilles avant d'être approuvées et, après quelques années, doivent être remplacées par d'autres lois avec les mêmes défauts.

Je voudrais au contraire vous faire partager l'esprit qui animait la vie d'un ordre religieux jusqu'à il y a pas très longtemps (depuis un certain temps, la mentalité répandue dans le monde s'est malheureusement également introduite à l'intérieur de l'Eglise et de la vie religieuse). Trois des quelque cent normes qui régissaient l'office du Supérieur général (appelé chez nous, comme chez les jésuites, «Préposé Général») suffisent pour avoir une idée.

La première est une norme reprise des Constitutions (livre IV, ch 12, §14):

Quemadmodum in ea cura diligens esse debet, ut quae constituta vel decreta sunt, observentur; ita ipse in ordinationibus faciendis parcus sit, et a rebus novis alienus (n. 48).

Tout comme il doit être scrupuleux dans l'engagement à faire respecter les Constitutions et les Décrets [des Chapitres généraux], il doit être modéré dans l'émission des règlements et hostile (alieno) aux nouveautés.

On est frappé par cette invitation à se modérer dans la législation: les lois existent, et elles sont suffisantes; il suffit de les observer. Inutile d'ajouter de nouvelles lois, sachant même à l'avance que personne ne les prendra en considération. Mais ce qui aujourd'hui nous laisse le plus stupéfait, c'est cette dernière invitation à être «hostile aux nouveautés». Comment donc? Aujourd'hui, il semble que la valeur d'une personne réside dans la capacité de pondre une nouveauté chaque jour; et alors, au contraire, on exhortait un Supérieur général à être hostile aux nouveautés? C'est vrai que les temps changent.

La deuxième règle que je voudrais vous proposer est en revanche une recommandation qui trouve son inspiration dans les Saintes Ecritures:

Neque item facile, aut sine admodum gravi necessitate, quae Praedecessor eius legitime fecerit, ipse immutet, aut immutare pertentet; quod et ab aliis Praepositis omnino servari curet. Ex eiusmodi namque mutationibus graves animorum perturbationes oriri possunt, et sancta illa cordium unanimitas non leviter offendi, quam in tota Congregatione ipse in primis fovere, conservare atque augere tenetur, ut unanimes uno ore honorificemus Deum, et non sint in nobis schismata (n. 51).

Et qu'il ne change pas, ni ne tente de changer avec facilité, ou sans une raison très grave, ce que son prédécesseur a fait légitimement. Qu'il fasse en sorte que cette règle soit observée en général y compris par les autres Préposés. De ces changements peut en effet naître un grand trouble dans les âmes, et cette sainte unanimité des cœurs, qu'il est particulièrement tenu d'alimenter, de conserver et d'accroître dans toute la Congrégation peut être offensée, afin qu'avec une seule âme et une seule voix, nous rendions gloire à Dieu (Romains 16: 6), et qu'il n'y ait pas de divisions entre nous (1 Cor 1:10).

Là encore, avez-vous l'impression que quelqu'un aujourd'hui se sente en quelque sorte obligé par les décisions prises par son prédécesseur? Au contraire, il semble par moments que nous nous sentons obligés de tout remettre en question, comme si ledit prédécesseur avait pris ces décisions sans motif. Y a-t-il quelqu'un aujourd'hui qui se soucie des perturbations provoquées chez les personnes par les changements constants? «C'est leur problème», s'entend-on répondre quand on soulève la difficulté: «Ce sont eux qui doivent s'élargir l'esprit, s'ouvrir aux nouveautés; s'ils n'y arrivent pas, qu'ils se débrouillent». L'unanimité des cœurs? Quésaco? [en v.o.: Icchellè? - dialecte florentin, ndt]. Aujourd'hui, on l'échangerait volontiers avec l'«uniformité» jamais assez détestée. Place plutôt à la diversité et au pluralisme! Si après cela ledit pluralisme débouche sur un conflit, il y a toujours quelqu'un prêt à le défendre - le conflit - en tant que valeur.

Ce qui nous amène à la dernière règle que je veux vous proposer:

Cum autem aliquid semel atque iterum de Assistentium consensu legitime decisum est, caveat, ne deinceps alio quovis quaesito colore idem denuo in deliberationem vocet; ut non tam quod factum est emendare, quam aliorum consensum ad proprium sensum extorquere velle videatur (n. 85).

Quand quelque chose a été à plusieurs reprises légitimement décidé avec le consentement des assistants, il doit éviter plus tard de discuter à nouveau, sous un prétexte quelconque, sur la même question; donnant ainsi l'impression de vouloir non pas tant amender ce qui a été fait, mais plutôt extorquer le consentement des autres à sa propre opinion.

Lorsqu'une décision a été prise, elle a été prise: inutile de revenir dessus encore une fois, comme si elle avait été prise sans se rendre compte de ce qui avait été décidé. Et en outre, considérant ainsi comme irresponsables ceux qui avaient pris la décision (en l'occurrence, les assistants, ce qui revient à dire les conseillers du Général).
Je vous avoue que, tout en traduisant cette règle, je ne sais pas pourquoi, il m'est venu à l'esprit les deux derniers Synodes sur la famille ...