Benoit-et-moi 2017
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Prosélytisme

Selon François, ce serait "une solennelle idiotie". Enquête du P. Scalese (13/1/2017)

Le battage médiatique orchestré (en particulier par "La Civiltà Cattolica", le journal dirigé par le mentor jésuite du Pape) autour de la sortie annoncée du dernier film de Martin Scorsese "Silence" (cf. Silence (I) et Silence (II) ), a amené Sandro Magister et le prêtre espagnol traduit par Carlota à s'intéresser à ces notions peu familières au profane, et liées entre elles: prosélytisme, apostasie, mission.
C'est peut-être une simple coïncidence que le dernier billet P. Scalese traite justement de prosélytisme. J'imagine que le sujet est très large, mais il l'aborde avec érudition (eh oui! c'est trapu, et j'ai dû faire quelques recherches!!) et de façon systématique, partant du dernier discours d'Angélus du pape, "balayant" l'angle sémantique, la lecture des textes sacrés, les aspects canoniques et juridiques, sans oublier l'argument "marketing" (!) pour terminer sur les implications actuelles pour l'Eglise: comme beaucoup d'autres mots, le 'prosélytisme' n'est-il pas en train de faire les frais de la moulinette du politiquement correct?

Un petit bémol: le P. Scalese relève à juste titre qu'à chaque fois que François parle de prosélytisme (qu'il a qualifié de "solennelle idiotie" - solenne sciocchezza - devant Scalfari), il prend désormais bien soin de citer Benoît XVI (dans un discours que ce dernier avait prononcé à Aparecida, lors de son voyage au Brésil de 2007), qui lui sert en quelque sorte de "témoin de moralité". Et le P. Scalese conclut son article en suggérant qu'"une plus grande prise de conscience [de la part des papes] de certains mécanismes occultes et un peu plus de prudence dans certaines affirmations ne feraient pas de mal".
J'aurais tendance à être d'accord avec lui, tout en me gardant bien d'intervenir dans un débat théologique qui ne rentre pas dans mes compétences! Je pense que Benoît XVI (qui n'est pas homme à employer les mots à la légère, mais est au contraire très profond, rigoureux et systématique, habitué à peser ses propos) avait certainement ses raisons - qui ont peut-être à voir avec son vif désir de progresser dans l'union avec les orthodoxes. Sans écarter, bien sûr, les nécessités "diplomatiques". L'utilisation / instrumentalisation qu'en fait François est une autre question (1).

A propos de prosélytisme

(...) il ne me semble pas du tout à exclure que, dans le cas du prosélytisme aussi, on ait opéré un changement progressif du sens pour atteindre un objectif idéologique bien précis: on est partis d'une détérioration sémantique du terme "prosélytisme" (de "signe certain d'un vrai zèle" à "absurdité" - sciocchezza -, et maintenant même "péché") pour passer ensuite à la culpabilité de ceux qui le pratiquent et finalement arriver à l'inhibition de toute activité évangélisatrice de l'Eglise.

Père Giovanni Scalese CRSP
12 janvier 2017
querculanus.blogspot.fr
Ma traduction

* * *

Dimanche dernier, fête du Baptême du Seigneur, François, durant l'Angelus, est revenu sur le thème du prosélytisme. Après avoir cité quelques versets de la première lecture du jour (le «premier chant du Serviteur du Seigneur») - «Il ne criera pas, il ne haussera pas le ton, il ne fera pas entendre sa voix au-dehors. Il ne brisera pas le roseau qui fléchit, il n’éteindra pas la mèche qui faiblit, il proclamera le droit en vérité» (Is 42,2-3) - le Saint-Père a poursuivi:

Voilà le style missionnaire des disciples du Christ: annoncer l’Evangile avec douceur et fermeté, sans crier, sans gronder personne, mais avec douceur et humilité, sans arrogance ou imposition. La vraie mission n’est jamais du prosélytisme mais attraction par le Christ. Mais comment ? Comment elle se fait cette attraction au Christ? Par notre témoignage, à partir de la forte union avec Lui dans la prière, dans l’adoration et dans la charité concrète, qui est service de Jésus présent dans le plus petit de nos frères. En imitant Jésus, bon pasteur miséricordieux, et animés par sa grâce, nous sommes appelés à faire de notre vie un témoignage joyeux qui éclaire le chemin, qui apporte espérance et amour.
(Traduction Zenit)

Il s'agit d'un thème récurrent dans la prédication du pape Bergoglio. Il a fait sensation quand il a abordé le sujet pour la première fois, dans l'interview accordée à Eugenio Scalfari le 1er Octobre 2013 dans la Repubblica. A cette occasion, il a dit:

Le prosélytisme est une pompeuse absurdité (solenne sciocchezza), cela n'a aucun sens. Il faut savoir se connaître, s'écouter les uns les autres et faire grandir la connaissance du monde qui nous entoure. Il m'arrive qu'après une rencontre j'ai envie d'en avoir un autre car de nouvelles idées ont vu le jour et de nouveaux besoins s'imposent. C'est cela qui est important : se connaître, s'écouter, élargir le cercle des pensée. Le monde est parcouru de routes qui rapprochent et éloignent, mais l'important c'est qu'elles conduisent vers le Bien"

Et un peu plus loin, il ajoutait, à propos de l'activité missionnaire de l'Eglise:

Nos missions poursuivent ce but : repérer les besoins matériels et immatériels des personnes et chercher à les satisfaire comme nous le pouvons. Vous savez ce qu'est l'"agapé"?... C'est l'amour pour les autres, tel que Notre Seigneur l'a enseigné. Ce n'est pas du prosélytisme, c'est de l'amour. L'amour pour autrui, qui est le levain du bien commun.

Après cette interview, François est revenu à plusieurs reprises sur le sujet. Parmi les nombreuses interventions qui pourraient être citées, je me limiterait à rappeler l'interview accordée à Ulf Jonsson à l'occasion du voyage apostolique en Suède (La Civiltà Cattolica, n. 3994, 26 Novembre 2016). Dans cette interview, le pape a utilisé des expressions très fortes (et peut- être quelque peu exagérées):

Un critère que nous devrions avoir très clair dans tous les cas: faire du prosélytisme dans le domaine ecclésial est un péché. Benoît XVI nous a dit que l'Eglise ne s'accroît pas par prosélytisme, mais par attraction. Le prosélytisme est une attitude peccamineuse. Ce serait comme transformer l'Église en une organisation.

L'affirmation de Benoît XVI, à laquelle le pape Bergoglio faisait allusion dans l'interview (une référence devenue désormais habituelle chaque fois qu'il est question de prosélytisme), se trouve dans l'homélie de la Messe d'inauguration de la cinquième Conférence générale de l'épiscopat latino-américain (Aparecida, 13 mai 2007):

L'Eglise ne fait pas de prosélytisme. Elle se développe plutôt par "attraction": comme le Christ "attire chacun à lui" par la force de son amour, qui a culminé dans le sacrifice de la Croix, de même, l'Eglise accomplit sa mission dans la mesure où, associée au Christ, elle accomplit chacune de ses œuvres en conformité spirituelle et concrète avec la charité de son Seigneur.
(w2.vatican.va...)

Parler d'"attraction", à propos de l'activité d'évangélisation de l'Église, n'est d'ailleurs pas une nouveauté: en 1991, dans la lettre pastorale "Alzati e va’ a Ninive, la grande città!" (Lève-toi et va à Ninive, la grande cité!), le cardinal Carlo Maria Martini avait énuméré six façons d'évangéliser: par proclamation, par convocation, par attraction, par irradiation, par contagion, par fermentation.
On dirait qu'il s'agit d'un fait désormais définitivement acquis: l'Eglise ne fait pas - et ne doit pas faire - de prosélytisme; l'Eglise est appelée à évangéliser, mais pas à faire du prosélytisme (selon moi, quelqu'un devra tôt ou tard prendre la peine de bien expliquer la différence entre l'évangélisation et le prosélytisme). Et pourtant, jusqu'à il y a quelques années, il y avait consensus parmi les catholiques pour parler du prosélytisme comme de l'un des droits fondamentaux de l'Église et de chaque chrétien. Pour ne donner qu'un exemple, pensons au chef-d'œuvre de saint Josémaria Escriva de Balaguer, "Cammino", publié pour la première fois en 1934. Eh bien, l'un de ses 46 chapitres, le trente-huitième, est justement consacré au "Prosélytisme" (nn. 790 -812). Je ne citerai ici que deux points très brefs:
793. Prosélytisme. - C'est le signe certain d'un vrai zèle.
809. Prosélytisme. - Qui n'a pas faim de perpétuer son apostolat?

Comme on peut le voir, une perspective diamétralement opposée à celle des derniers papes. C'est peut-être pour cette raison que les éditeurs des Œuvres de Mgr Escriva ont ressenti le besoin d'insérer une note de clarification:

Dans l'Église, le terme "prosélytisme" a été traditionnellement utilisé (et dans ce sens, de nombreux auteurs spirituels l'ont adopté, parmi lesquels saint Josémaria) comme synonyme d'apostolat ou d'évangélisation: un comportement caractérisé, entre autres, par un le respect absolu de la liberté qui n'a rien à voir avec le sens négatif assumé par ce vocable dans les dernières années du XXe siècle. Conformément à cette tradition, saint Josémaria utilise ici le mot "prosélytisme" dans le sens de proposition, d'invitation adressée à des collègues et amis à partager l'appel du Christ.

Note particulièrement opportune, utile pour dissiper l'ambiguïté lexicale sur laquelle se fonde la polémique contre le prosélytisme, qui est devenue à la mode dans l'Eglise d'aujourd'hui.

Essayons de clarifier les termes de la question.
Qu'est-ce que le prosélytisme?
Le vocabulaire Treccani [grand dictionnaire de la langue italienne, ndt] donne la définition suivante: La tendance à faire des prosélytes, et l'activité effectué pour les chercher et les former: prosélytes d'une religion, d'un parti, ou les adeptes d'une religion, d'un parti, d'une idée.
(ndt: voir aussi la définition en français - plus insidieuse - proposée par wikipedia, qui nous rappelle que «Le mot prosélytisme vient de "prosélyte", du latin ecclésiastique proselytus, et du grec prosêlutos, "nouveau venu (dans un pays)"»)

Comme on peut le voir, le terme, en italien, n'a en soi aucune signification péjorative; il est utilisé, la plupart du temps, dans le contexte religieux et politiques, domaines dans lesquels la tendance à faire des prosélytes est tout à fait normal. En anglais, où il existe aussi un verbe "prosélytize" (= "faire du prosélytisme", "faire des prosélytes"), les dictionnaires enregistrent un usage péjoratif ("disapproving") du terme.

Qu'est-ce qu'un prosélyte? Nous reprenons là encore de Treccani l'explication suivante: Dans l'ancienne religion juive, celui qui se convertit du paganisme au judaïsme (le terme indiquait, à l'origine, l'étranger demeurant dans le territoire d'Israël). Plus tard, par extension, le nouvel adepte d'une religion, d'une idée, d'un parti, d'un mouvement littéraire, artistique et similaire: chercher, faire, trouver, acheter des prosélytes.

Dans les Actes des Apôtres, on connaît le récit de la Pentecôte, dans lequel nous trouvons une liste de ceux qui sont présents à Jérusalem à l'occasion de la fête:

«Parthes, Mèdes et Élamites, habitants de la Mésopotamie, de la Judée et de la Cappadoce, de la province du Pont et de celle d’Asie, de la Phrygie et de la Pamphylie, de l’Égypte et des contrées de Libye proches de Cyrène, Romains de passage, Juifs de naissance et prosélytes [la traduction en français du site <www.aelf.org> donne: convertis], Crétois et Arabes, tous nous les entendons parler dans nos langues des merveilles de Dieu» (Actes 2: 9-11).

Dans les Actes des Apôtres, le terme "prosélytes", en général, indique les non-Juifs qui se sont agrégés au peuple élu, non seulement en observant la loi, mais aussi en acceptant la circoncision. Ils doivent être distingués de ceux "qui craignent Dieu" (10: 2), ou "croyants en Dieu" (littéralement, "adorant Dieu" - 13:50; 16:14; 17: 4,17; 18: 7), lesquels, bien que s'étant convertis au judaïsme, à la différence des prosélytes n'étaient pas allés jusqu'à la circoncision.

Le vocable grec προσήλυτος (dérivé de προς , "vers", et ἔρχομαι , «venir») signifiait à l' origine "survenu", "étranger"; puis il a été adopté pour signifier "converti" (au judaïsme). Les chrétiens reprirent le terme pour indiquer ceux qui adhéraient à leur foi; il a ensuite été utilisé pour désigner les nouveaux adeptes de toute religion, et enfin ceux qui embrassent les idées d'une doctrine ou d'un parti quel qu'il soit.

Comme le disait la note de clarification dans "Cammino", le mot "prosélytisme" a été utilisé par les chrétiens pendant des siècles sans problèmes, et même avec une acceptation positive. Faire des prosélytes était considéré comme un devoir, qui trouvait son fondement dans ce qu'on appelle parfois le "Grand Mandat" de Jésus ressuscité aux apôtres à la fin de l'évangile de Matthieu: Euntes docete omnes gentes (28:19) [traduction AELF.org: "Allez ! De toutes les nations faites des disciples"].
Il intéressant de noter qu'alors que dans la précédente traduction de la CEI (1974), on lit: «Allez et instruisez toutes les nations ...», dans la nouvelle traduction (2008) on lit: «Allez et faites des disciples de toutes les nations ....» En fait, le verbe grec μαθητεύω (dérivant de μαθητής, "disciple"), qui est habituellement traduit par "instruire", "enseigner" a comme sens premier "faire des disciples".
Quelqu'un peut-il me dire la différence entre "faire des disciples" ... et "faire des prosélytes"?

Ces derniers temps, le terme «prosélytisme» a progressivement pris un sens péjoratif. Il convient de dire qu'une connotation à tendance négative se trouve déjà dans le Nouveau Testament, dans le contexte des polémiques entre Jésus et les pharisiens: «Malheur à vous, scribes et pharisiens hypocrites, qui traversez la mer et la terre pour faire un prosélyte, et quand il l'est devenu, le rendez digne de l'enfer deux fois plus que vous» (Mt 23:15).
Mais le phénomène de la réprobation actuelle du prosélytisme semble avoir surgi dans le contexte des relations œcuméniques entre l'Église catholique et les Églises orthodoxes.
Lors de la rencontre du 7 Décembre 1987, le Pape Jean-Paul II et le patriarche Dimitrios Ier de Constantinople affirmèrent dans une déclaration commune: «Nous rejetons toute forme de prosélytisme, toute attitude qui est ou pourrait être perçue comme un manque de respect».
En 1993, la Commission mixte internationale pour le dialogue théologique entre l'Eglise catholique et l'Eglise orthodoxe, lors de sa septième session plénière qui s'était tenue à Balamand (Liban) du 17 au 24 Juin sur le thème «L'uniatisme, méthode d'union du passé, et la recherche présente de la pleine communion», publia un document, généralement connu sous le nom de "Déclaration de Balamand" [texte en français www.vatican.va], dans lequel l'Eglise catholique s'engageait à ne plus faire de prosélytisme parmi les orthodoxes (nn. 22 et 35). On connaît les accusations de prosélytisme adressées par l'Eglise orthodoxe russe à l'Eglise catholique, en particulier après la fin du communisme et la mise en place d'un certain nombre de circonscriptions ecclésiastiques catholiques sur le territoire canonique du Patriarcat de Moscou (2002).

Évidemment, le rejet du prosélytisme n'est pas seulement un phénomène chrétien, mais s'étend également à d'autres religions.
Par exemple, dans les pays islamiques, même si la Constitution reconnaît le droit à la liberté religieuse, la loi interdit en général aux autres religions d'exercer toute forme de prosélytisme et la conversion d'un musulman à une autre religion ("apostasie") est même considéré comme un crime passible de la peine de mort. En Inde, pays depuis toujours multi-religieux et avec une tradition séculaire de tolérance, des lois anti-conversion conçues pour empêcher le passage des hindous au christianisme, ont été approuvées par certains États au cours des dernières années.

Personnellement, je trouve plutôt singulier de proclamer la liberté de religion, et ensuite d'interdire le prosélytisme. Il me semble que l'un des éléments essentiels de la liberté religieuse est le droit, pour toutes les croyances, de chercher de nouveaux adeptes; on ne peut pas réduire la liberté religieuse à l'exercice du culte.
La Déclaration universelle des droits de l'homme (1948) affirme à cet égard:

Toute personne a droit à la liberté de pensée, de conscience et de religion ; ce droit implique la liberté de changer de religion ou de conviction ainsi que la liberté de manifester sa religion ou sa conviction seule ou en commun, tant en public qu'en privé, par l'enseignement, les pratiques, le culte et l'accomplissement des rites (art. 18).

Bien entendu, la liberté religieuse, comme tout autre droit, est soumise à certaines limitations.
Le Pacte international relatif aux droits civils et politiques (adopté en 1966 et entré en vigueur en 1976) énumère les seules restrictions autorisées:

La liberté de manifester sa religion ou ses convictions ne peut faire l'objet que des seules restrictions prévues par la loi et qui sont nécessaires à la protection de la sécurité, de l'ordre et de la santé publique, ou de la morale ou des libertés et droits fondamentaux d'autrui. (art. 18, § 3).

A ces limitations on peut ajouter les conditions prévues par le Concile Vatican II:

Dans la propagation de la foi et l’introduction des pratiques religieuses, on doit toujours s’abstenir de toute forme d’agissements ayant un relent de coercition, de persuasion malhonnête ou peu loyale, surtout s’il s’agit de gens sans culture ou sans ressources. Une telle manière d’agir doit être regardée comme un abus de son propre droit et une atteinte au droit des autres.
(Dignitatis Humanae, n. 4).

Le prosélytisme rentre donc dans les droits naturels de l'homme, qui ne peut en aucun cas être empêché, ni par les autorités civiles, ni par celles religieuses. Eventuellement, le problème concerne les modalités d'exercice: on peut faire du prosélytisme de nombreuses façons différentes. A cet égard, nous pouvons tranquillement faire nôtres les six conditions proposées par le Cardinal Martini (par proclamation, par convocation, par attraction, par irradiation, par contagion, par fermentation) et rejeter toute forme de coercition, tant physique que morale. Et nous devrions également mettre à profit les commentaires formulés par le pape François dimanche dernier à propos du «style de Jésus».

Par ailleurs, dans une société démocratique, comme prétend l'être celle dans laquelle nous vivons, personne ne songerait à empêcher la propagande politique ou la publicité dans le domaine du commerce; la libre concurrence est l'un des principes fondamentaux sur lesquels le système économique actuel se fonde. On ne voit pas pour quel motif le domaine religieux serait le seul où aurait cours un système différent, dans lequel il serait illégal de promouvoir librement ses convictions et d'essayer de persuader les autres de les suivre. Évidemment, de la même façon que dans les domaines politique, économique et commercial, on exige la correction et on souhaite l'adoption d'un code d'éthique, a fortiori dans le domaine religieux on s'attend au respect des normes morales et des règles de base de la coexistence civile. A ces critères de comportement, on pourrait ajouter une attention particulière aux frères séparés, tant qu'elle [l'attention] ne viole pas le droit de chaque Eglise à se présenter sans complexe et le droit de chaque fidèle d'y adhérer librement.

Pour conclure, je pense qu'il peut être utile de fixer quelques points:

1. Le concept de "prosélytisme" n'a pas en soi rien de négatif ou de répréhensible: faire des prosélytes rentre parmi les droits légitimes de toute religion. Pour l'Église, en plus d'être un droit, c'est aussi et surtout un devoir.

2. Ce qui peut-être objet de critique, ce sont éventuellement les modalités d'exercice du prosélytisme, quand il est mis en œuvre en utilisant des méthodes qui respectent pas la dignité humaine. Le fait que dans certains cas, l'Eglise ait pu recourir à des méthodes discutables de prosélytisme ne justifie pas le rejet de prosélytisme qua talis .

3. Affirmer - comme l'a fait Benoît XVI (1) à Aparecida et comme François ne cesse de répéter - que «l'Eglise ne fait pas de prosélytisme. Elle se développe plutôt par "attraction"» n'est pas correct du point de vue logique, parce qu'on oppose deux concepts ("prosélytisme" et "par attraction") qui ne s'excluent pas mutuellement (il peut même y avoir, et c'est souhaitable, un prosélytisme "par attraction"). L'opposition devrait le cas échéant être faite entre les modalités de mise en œuvre du prosélytisme ("par attraction" ou "par coercition").

4. On pourrait liquider la controverse comme une simple 'quaestio de nominibus' [question de noms], semblable à beaucoup d'autres qui se sont produites dans le passé, sans incidence effective sur la réalité. Il faut reconnaître que bien souvent il suffirait de s'entendre sur la signification des mots utilisés, et beaucoup de polémiques cesseraient d'exister.
L'expérience des dernières années, cependant, nous a enseigné que les changements lexicaux sont souvent l'enveloppe extérieure de transformations idéologiques bien plus radicales. Pensons, par exemple, à l'imposition de ce qu'on appelle le "langage inclusif" [inclusive language] dans le monde anglo-saxon, à travers laquelle on a fait passer imperceptiblement l'idéologie du gender. Nous savons tous combien un certain langage "politiquement correct" reflète des visions idéologiques déterminées de la réalité.
Dans l'Église, il y a quelqu'un (Plinio Corrêa de Oliveira [voir ICI]) qui a mis en évidence le rôle du "transbordement idéologique [passant] inaperçu" [ndt: il a écrit sur le sujet un livre intitulé "Trasbordo ideologico inavvertito e dialogo. Note sulla guerra psicologica contro i cattolici" ], mis en oeuvre à travers quelques "mots talismaniques" en vue d'un changement radical de la mentalité. Eh bien, il ne me semble pas du tout à exclure que, dans le cas du prosélytisme aussi, on ait opéré un changement progressif du sens pour atteindre un objectif idéologique bien précis: on est partis d'une détérioration sémantique du terme "prosélytisme" (de "signe certain d'un vrai zèle" à "absurdité" - sciocchezza -, et maintenant même "péché") pour passer ensuite à la culpabilité de ceux qui le pratiquent et finalement arriver à l'inhibition de toute activité évangélisatrice de l'Eglise.
Certes, ce n'est pas l'intention des derniers papes, mais peut-être une plus grande prise de conscience de certains mécanismes occultes et un peu plus de prudence dans certaines affrmations ne ferait pas de mal (1).

NDT

(1) Si le P. Scalese me lit, j'ose lui suggérer d'écrire au Pape émérite dans sa retraite de Mater Ecclesiae, pour lui soumettre ses objections. Ce dernier sera à n'en pas douter très intéressé par le débat (et tout prêt à y entrer)... si (SI!!!) la lettre lui parvient!