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Quand la forme est substance

Le Père Scalese revient sur les multiples interprétations et commentaires prétendument "autorisés" d'Amoris Laetitia. Qui pèchent tous par vice de forme (17/2/2017)

Quand la forme est substance

Père Giovanni Scalese CRSP
querculanus.blogspot.fr
Ma traduction

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En Novembre dernier, la déclaration du Président de la Commission pour la Famille de la Conférence épiscopale polonaise, Mgr Jan Watroba - au sujet des dubia des quatre cardinaux autour de l'exhortation apostolique Amoris laetitia -, a fait un certain bruit . A cette occasion, l'évêque de Rzeszów déclara: «Personnellement - peut-être par habitude, mais aussi avec une profonde conviction - je préfère une interprétation comme avait l'habitude d'en faire Jean-Paul II, où il n'y avait pas besoin de commentaires ou d'interprétations du magistère de Pierre» (cf. inodo2015.lanuovabq.it).

Ce qu'a dit Mgr Watroba est sans aucun doute vrai: du temps du pape Wojtyla, il n'y avait pas besoin de nombreuses interprétations; ses interventions étaient généralement claires. Même s'il n'y a pas lieu d'être surpris que parfois, quelque éclaircissemnt fût peut-être nécessaire. Par exemple, après la publication de la Lettre apostolique Ordinatio Sacerdotalis (22 mai 1994), aussi clair que fût son contenu, une intervention de la Congrégation pour la Doctrine de la Foi (CDF) fut nécessaire pour définir le caractère infaillible de l'enseignement qu'elle contenait (Réponse à un dubium du 28 Octobre 1995). Le CDF existe aussi pour cela: pour clarifier, si nécessaire, d'éventuels doutes dans le domaine de la doctrine et de la morale.

La doctrine de l'Eglise sur le mariage a toujours été assez claire et a été confirmée, précisément pendant le pontificat de Jean-Paul II, lors du Synode de 1980 et dans l'Exhortation apostolique qui l'a suivi, Familiaris Consortio du 22 Novembre 1981. Pour cette raison, je n'ai jamais compris quel besoin il y avait de revenir sur cette question après seulement quelques années, à travers une procédure inhabituelle et lourde (un consistoire, deux synodes et une exhortation apostolique), et surtout constellée d'un nombre non négligeable d'anomalies au cours de son long périple. Avec quel résultat? Que ce qui était clair hier est devenu aujourd'hui confus.

OK, ne dramatisons pas. Ce sont des choses qui peuvent arriver. Il y a toujours la possibilité d'y remédier: il suffit d'essayer d'identifier les points litigieux et de les clarifier à travers une interprétation authentique. N'oublions pas que ce processus est essentiel, si l'on veut qu'Amoris laetitia ait un caractère contraignant: depuis que le monde est monde, lex dubia non obligat.

Eh bien, peu de temps après la publication d'Amoris laetitia, François a proposé à plusieurs reprises comme le meilleur interprète d'AL le cardinal Christoph Schönborn, archevêque de Vienne, lequel avait été appelé à présenter l'Exhortation apostolique au Vatican le 8 Avril 2016 (chiesa.espresso.repubblica.it).

En Septembre, les évêques de la Région pastorale de Buenos Aires (attention: non pas la Conférence épiscopale argentine, mais une conférence épiscopale régionale) ont publié certains «critères de base pour l'application du chapitre 8 d'Amoris laetitia», et le Pape leur a écrit que «le texte est très bon et explique en détail le sens du chapitre VIII d'Amoris laetitia . Il n'y a pas d'autres interprétations» (Settimo Cielo).

Ces derniers jours, le cardinal Francesco Coccopalmerio, président du Conseil pontifical pour les textes législatifs (PCTL), a publié une brochure «Il Capitolo ottavo della esortazione apostolica post sinodale “Amoris laetitia”», qui est présenté par certains comme la réponse aux doutes soulevés par le document (sinodo2015.lanuovabq.it) (*).

Alors tout va bien? Tout est clair, finalement? Non, parce qu'il s'agit d'interventions, certes faisant autorité (deux cardinaux influents et le pape lui-même!), mais totalement insignifiantes pour vice de compétence ou de forme. Le cardinal Schönborn, pour autant qu'il jouisse de l'estime du pape, et ait été appelé à présenter l'Exhortation apostolique, n'a aucun titre pour en être l'interprète authentique. Le cardinal Coccopalmerio n'est pas intervenu en qualité de Président de la PCTL et, même s'il l'avait fait, ce n'était pas à lui d'interpréter avec autorité un texte qui a un caractère doctrinal / pastoral et non juridique (le PCTL s'est déjà prononcé officiellement sur le problème de la communion pour les divorcés remariés avec la déclaration du 24 Juin 2000 et à cette occasion , il l'a fait d'une manière authentique, portant sur l'interprétation du can. 915). Au moins le Pape - dira-t-on - a le droit d'interpréter les textes écrits par lui-même! Sans aucun doute, à condition qu'il le fasse de la bonne façon. Il ne suffit pas de laisser filtrer indirectement sa pensées. S'il est vrai que l' un des critères d'interprétation de la loi est la mens du législateur, il est également vrai que celle-ci ne s'identifie pas avec ses vues personnelles. Le Pape - en tant que tel et non pas comme «docteur privé» - doit exprimer clairement son intention réelle; et il a tous les moyens juridiques pour le faire.

Nous vivons à une époque où l'on a tendance à donner peu de valeur à la «forme»: il suffit de prononcer ce mot pour être immédiatement taxé de formalisme. Mais on oublie que la forme est souvent la substance: le non-respect de la forme peut rendre un acte invalide. Il suffit de penser à la Cour de cassation qui annule les sentences sans examiner le fond, mais en relevant simplement des irrégularités de procédure. Dans le contexte sacramentel aussi, le respect de la forme est ad validitatem: pensons aux ordinations anglicanes, déclarées nulles pour defectus formae, ou au mariage, valable seulement s'il est contracté selon la forme canonique (can 1108). L'infaillibilité ppntificale elle-même ne subsiste que sous certaines conditions formelles.

Eh bien, toutes les interventions rapportée ci-dessus sont viciées soit par incompétence, soit par défaut de forme. Le seul organe compétent en la matière (en plus du Pape, bien sûr) est la CDF, laquelle, cependant, ne s'est pas prononcée à ce jour (les interviews accordées récemment par le cardinal Müller expriment seulement un point de vue personnel, et sont donc également sans importance). Interviews, conférences de presse, articles, livres, lettres personnelles ne sont pas des actes du Magistère; ils ont la même valeur que peut avoir le billet que vous lisez.

Il est temps que l'exercice de l'autorité dans l'Église redevienne respectueuse de la «forme», si l'on veut que ladite autorité soit prise au sérieux et que se crée autour d'elle ce climat de consensus et de coopération que chacun espère. Il est inutile de se plaindre que «même les marins appelés à ramer dans la barque de Pierre rament dans la direction opposée» (Discours du Pape à La Communauté de "La Civiltà Cattolica", 9 Février 2017), si ensuite les règles ne sont pas respectées. Ce n'est pas une question de vain formalisme; il s'agit de simple respect envers ceux dont on attend, à juste titre, collaboration et obéissance.

NDT

(*) A ce sujet, voici ma traduction d'un article du canoniste américain Phil Lawler.

Les folies du Vatican, suite
15 février 2017
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D' abord le Vatican convoque une conférence de presse pour annoncer la publication d'un livre du cardinal Coccopalmerio. Les oreilles branchées sur le moulin à rumeur, les journalistes couvrant le Vatican disent que ce livre sera une réponse aux dubia - d'où l'excitation.
Mais ensuite le cardinal Coccopalmerio ne se présente pas à la conférence de presse, ce qui induit certains observateurs à se demander s'il [le livre] est vraiment important (ndt: d'autres ont supposé que le cardinal s'était défilé pour ne pas avoir à répondre aux questions gênantes des journalistes).
Néanmoins , dans son livre le cardinal dit que l'enseignement du pape dans Amoris Laetitia est parfaitement clair, ce qui semble vouloir dire qu'il n'y a pas d'ambiguïté.
Mais l'éditeur du livre - le directeur de la LEV (librairie éditrice du Vatican) - dit que sur l'interprétation d'Amoris Laetitia, «le débat est encore ouvert».

Pour résumer: Le livre est la déclaration la plus autorisée à ce jour sur une question controversée, mais l'auteur ne pense pas qu'il est plus important que ses autres rendez-vous et l'éditeur ne pense pas qu'il soit définitif. Le livre répond à toutes les questions possibles, sauf qu'il ne peut y avoir aucune question possible. Le livre clôt le débat, sauf dans la mesure où le débat reste ouvert.

Tout est clair maintenant?