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Trump/Nixon: l'histoire peut-elle se répéter?

La dernière pièce

Passionnante analyse de Federico Dezzani qui nous reporte un demi-siècle en arrière, avec un président des Etats-Unis lui aussi haï par le système (24/1/2017)

>>> Voir aussi, du même auteur
¤ Trump, l'autre face du "système" (I)
¤ Trump, l'autre face du "système" (II)

Pour ceux qui se demandent la logique qui se cache derrière les manifestations anti-Trump, c'est un peu comme la "dernière pièce"!

Quiconque ambitionne d'entrer ou est entré à la Maison Blanche, doit se rappeler que "l'homme le plus puissant du monde" répond à une puissance supérieure (qui n'est pas Dieu): celui qui ose lui désobéir, court le risque sérieux de tomber victime d'une conjuration.

L'establishment contre: le précédent de Richard Nixon

20 janvier 2017
Federico Dezzani
Ma traduction

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Donald Trump a prêté serment comme 45e président des Etats-Unis, entre festivités et manifestations. L'establishment Atlantique, celui de l'élite anglophone qui vit entre la East Coast et Londres et dirige la politique étrangère américaine depuis l'époque de Woodrow Wilson, ne parvient pas à avaler sa défaite, furibonde à l'idée que le néo-président démantèle ce qui reste de l'ordre mondial "liberal" post-1945. Il est certain que les "atlantistes" ne se résigneront pas à l'administration Trump et essayeront par tous les moyens de la liquider avant la fin de son échéance naturelle de 2020. Les États-Unis ont une longue histoire de querelles pour le pouvoir, mais la comparaison la plus appropriée est certainement celle avec Richard Nixon, évincé de la Maison blanche pour son approche "realpolitiker" en politique étrangère et son protectionnisme dans le domaine économique. Henry Kissinger 93 ans, est évidemment pro-Trump.

UN "DANGEREUX" PROTECTIONNISTE ET REALPOLITIKER: DONALD TRUMP? NON, RICHARD NIXON
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Nous avons récemment discuté de la nature de la démocratie en traitant le thème des "populismes" (cf. federicodezzani....): il existe un groupe consistant d'économistes et de sociologues qui estiment que l'institution démocratique est en fait une chimère, et que, soumise à une analyse plus poussée, elle ne serait rien d'autre qu'une forme occulte d'oligarchie. On connaît la formule célèbre: «Qui dit démocratie dit organisation, qui dit organisation dit oligarchie, qui dit oligarchie dit démocratie»

Même les États-Unis d'Amérique, encore souvent appelés «la plus grande démocratie du monde» au détriment de l'Inde, ne semble pas échapper à cette loi de la société: derrière les deux partis américains historiques, républicain et démocrate, se cacherait en réalité un establishment unique qui, élection après élection, année après année, resterait solidement au pouvoir en dépit de l'alternance de façade.

L'oligarchie en question est souvent qualifiée d'"atlantique" dans nos articles, car elle repose sur l'axe Londres-New York et rassemble les gros bonnets de la City anglaise et de Wall Street: c'est l'élite anglophone, "liberal", mondialiste, qui dirige les principales banques d'investissement et depuis le XVIIIe siècle, contrôle les destinées du Royaume-Uni. Dépositaire du libéralisme économique et de la mondialisation, génétiquement allergique aux puissances continentales (Allemagne, Russie et Chine) susceptibles de prendre la place de son hégémonie sur les mers, cette oligarchie est animée par le rêve d'un gouvernement mondial (ou "universel", pour utiliser le terme maçonnique plus approprié) dans lequel devraient également se diluer les États-Unis d'Amérique.

C'est l'oligarchie atlantique qui, en plus de grands centres financiers du monde, contrôle également les "cuirassés" de l'information: cela commence avec The Times, fondé à Londres en 1785 et s'achève avec CNN né à Atlanta en 1980. Tout en disposant d'un outil d'influence déjà ramifié et aussi influent que la franc-maçonnerie, à partir de la deuxième décennie du XXe siècle, cette élite fonde une série d'organisations ad hoc, conçues pour permettre à ses éléments de pointe de rester en contact et de discuter des principales problématiques: c'est ainsi que naissent en 1920 Chatham House pour l' Angleterre, en 1921 le Council on Foreign Relations pour les États-Unis, en 1954 le groupe Bilderberg pour l'Europe et les Etats-Unis, en 1973 la Commission trilatérale pour les USA-CEE-Japon, en 2007 l’European Council on Foreign Relations pour l'Union européenne.

Derrière la démocratie américaine se cache donc une oligarchie pluriséculaire et tentaculaire, toujours prête à défendre ses intérêts sans le moindre scrupule: même si nous survolons l'argument, l'histoire des États-Unis est en fait aussi un sombre récit, où ne manquent ni les assassinats politiques ni les violentes querelles médiatico-judiciaires. On compte d'innombrables aspirants à la Maison Blanche tués avant même la campagne électorale (comme le populiste, rival Franklin D. Roosevelt et critique fervent de la Fed, Huey Long, assassiné en 1935), et quatre présidents éliminés au cours de leur mandat (Abraham Lincoln, James Garfield, William McKinley, John Kennedy).

Quiconque ambitionne d'entrer ou est entré à la Maison Blanche, doit se rappeler que "l'homme le plus puissant du monde" répond à une puissance supérieure (qui n'est pas Dieu): celui qui ose lui désobéir, court le risque sérieux de tomber victime d'une conjuration. Il ne fait aucun doute que le "populiste" Donald Trump rentre dans les statistiques des "désobéissants" et qu'il est exposé à quelque danger: il a échappé à peu de gens la menace à peine voilée de CNN qui, à la veille de l'investiture du prochain président, s'est demandé dans le reportage "Disaster could put Obama cabinet member in Oval Office" ce qui se passerait si Trump et son vice-président étaient assassinés le jour de l'inauguration.

Comme nous l'avons souligné dans la dernière analyse, le prochain président n'est pas un candidat tout à fait étranger au système: dans son ascension vers la Maison Blanche, Donald Trump s'est servi d'une série d'alliances qui seront certainement utiles pour y rester. Nous pensons avant tout au Premier ministre israélien Benjamin Netanyahu et à la droite israélienne, qui avaient mal digéré les ouvertures vers l'Iran de l'establishment "liberal", ses accusations de discrimination contre les Palestiniens et la stigmatisation des nouvelles colonies en Cisjordanie et à Jérusalem-Est. Il en est ainsi émergé une alliance entre "nationalistes" américains et "nationalistes" juifs aux dépens de l'establishment atlantique, alliance par ailleurs également "bénie" par la Russie de Vladimir Poutine, dans l'optique d'une partition du Moyen-Orient et de l'Europe en zones d'influence respectives. Pétroliers et survivants de la vieille économie (construction, sidérurgie et industrie légère) ont également accueilli avec joie la victoire du candidat "populiste", attirés par la perspective de normes et de droits moins contraignants.

Mais le fait demeure que la partie prépondérante du système étatsunien, la déjà citée oligarchie "atlantique", est restée frustrée par la victoire de Trump: sa volonté de liquider les deux bastions de l'ancien ordre "liberal", l'OTAN et l'UE, effraie, tout comme effraient le désir de répartition du monde avec les autres superpuissances, le rejet de la mission messianique / universaliste des États-Unis en faveur d'une realpolitik plus concrète, l'intention de démanteler la mondialisation déjà ébranlée à coups de droits et de barrières, l'accent mis sur le binôme industrie-inflation, opposé à celui finance-déflation si cher à l'élite de la City et de Wall Street.

La rage contre l'élection du Trump est palpable dans les propos récents de George Soros, un représentant de l'élite financière "liberal" qu'au cours des dernières années, nous avons rencontré dans presque chaque dossier: dans l'affaire Regeni, dans la déstabilisation de l'Egypte, dans le coup d'Etat ukrainien,dans la panique migratoire, dans l'assaut spéculatif contre la Deutsche Bank, etc. etc. Invité au Forum économique mondial de Davos, Soros a lancé une attaque frontale à vingt-quatre heures de l'investiture du Président:

«Donald Trump est un imposteur, un tricheur et un dictateur potentiel. Il n'est pas en faveur d'une société ouverte, mais d'une dictature, d'un état-mafia. Le Congrès doit être un bastion pour protéger les droits américains et il y a une coalition bipartite à ce sujet. Je suis personnellement convaincu que Trump va échouer, pas parce qu'il y a des gens comme moi qui l'espèrent, mais parce que ses idées sont si contradictoires qu'elles s'incarnent déjà dans ses conseillers».

Cela résonne presque comme une déclaration de guerre, lancée par un membre de l'oligarchie qui sent ses intérêts gravement menacés.

Donald Trump doit-il craindre un coup à bout portant comme celui qui a assassiné Abraham Lincoln ou une embuscade paramilitaire comme celle de Dallas?

À notre avis, le nouveau président devrait étudier la parabole d'un autre républicain lui aussi détesté de l'establishment, accusé d'être un dictateur et un fasciste, realpolitiker en politique étrangère et défendant un programme économique qui présente une forte similitudes avec le programme de Trump. Nous nous référons au président Richard Nixon (1913-1994), évincé de la Maison Blanche en 1974 avec le célèbre scandale médiatico-judiciaire qui a souvent été réexhumé au cours des derniers mois, tissant un parallèle avec la présumée interférence russe dans la campagne électorale: le Watergate. «Un Watergate signé Russie: des hacker volent des données [sur] Trump au Parti démocrate» titrait la Repubblica en Juin 2016.

* * *

Originaire de Californie et étranger aux cercles de l' élite de l'East Coast (Henry Kissinger rappellera dans ses mémoires l'aversion du président pour ces milieux, qui explosait parfois en véritable haine), Richard Nixon obtint l'investiture républicaine pour la Maison Blanche, en battant la concurrence qui s'appuyait sur Nelson Rockefeller. Se présentant comme le candidat de la loi et de l'ordre (idem pour Trump) et faisant appel à la "majorité silencieuse" (la même que celle qui a échappé à l'automne dernier aux sondeurs et a porté Trump à la Maison Blanche), Nixon remporta les élections de Novembre 1968, héritant d'un pays en difficulté (bien que dans des conditions bien meilleures qu'aujourd'hui). L'économie est faible (elle entrera en récession peu après), mais surtout, deux fardeaux pèsent sur les États-Unis:

¤ la compétitivité croissante de l'Europe (Allemagne et Italie en tête) et du Japon , qui érode l'appareil productif américain;
¤ l'insoutenable quantité de ressources absorbées par l'appareil militaire et, en particulier, par la guerre du Vietnam.

Les parallèles avec les États-Unis de 2016 sautent immédiatement aux yeux: d'un côté, l'infrastructure industrielle restante a été presque complètement "vidée" depuis le début des années 90 par la concurrence asiatique, de l'autre le déploiement des forces armées américaines dans les pays d'ex-Union soviétique et d'Extrême-Orient implique une ponction sur les ressources que les États-Unis ne peuvent plus se permettre compte tenu des contraintes financières.

Face à cette situation, Richard Nixon opte donc pour une recette que Donald Trump, consciemment ou non, semble suivre à 50 ans de distance avec son «America first»: plus de protectionnisme, dévaluation du dollar, inflation, défense de l'industrie nationale, désengagement militaire à l'étranger et une partition du globe en zones d'influence avec les deux autres superpuissances, la Russie et la Chine. Fort des conseils d'Henry Kissinger comme secrétaire d'État, Nixon agit comme suit:

¤ il enterre en 1970 les accords de Bretton Woods, détache le dollar de l'or, et le laisse se déprécier par rapport aux autres monnaies, afin de revigorer les exportations américaines ( «le dollar trop fort nous tue» , a déclaré il y a quelques jours Trump);
¤ il adopte une série de mesures protectionnistes en défense de l'industrie nationale («Trump chooses protectionist-leaning trade representative» a écrit le Financial Times au début de l'année, en commentant le choix du nouveau représentant du commerce américain);
¤ Il adopte une approche realpolitiker et "isolationniste" en politique étrangère, réduisant les interventions à l'étranger aux seules situations où les intérêts nationaux américains sont en danger réel. Il effectue ainsi le voyage historique à Pékin en 1972, suivi de près par la première visite officielle d'un président américain à Moscou («Trump and Vladimir Putin to hold summit within weeks» écrivait The Guardian il y a quelques jours);
¤ grâce à l'intermédiation chinoise, il obtient avec les Accords de Paris un retrait décent du Vietnam où les Etats-Unis avaient gaspillé une quantité croissante d'hommes et de ressources ( «Trump says NATO is obsolete», titrait Reuters le 16 Janvier);
¤ il relance le cycle économique avec d'importants déficits et des investissements publics, au prix d'une inflation plus élevée («Trump mise sur un grand plan de dépenses en infrastructure» [selon Il Sole 24 Ore]).

Quel cadre émarge ainsi de la politique Richard Nixon? Des États-Unis plus protectionnistes et isolationnistes, qui veut défendre l'industrie nationale. Une reconnaissance des intérêts légitimes de l'URSS et de la Chine. Une économie moins "globale" et plus "régionalisée". La primauté de la nation américaine sur l'élite atlantique. La Nixonomics (la "loi de Nixon") ne semble-t-elle pas le précurseur de la Trumponomics [pour l'ulisation du suffixe "nomics" en anglais, cf en.wikipedia.org)?

La crainte que le processus de mondialisation entre dans une impasse est telle qu'en 1973, l'oligarchie atlantique se hâte de fonder la déjà citée Commission trilatérale pour relancer les relations de plus en plus effilochées entre les Etats-Unis, la CEE et le Japon. Cependant, il reste le problème de comment se débarrasser de Richard Nixon.

Une série presque interrompue de manifestations, sur fond de guerre du Vietnam, accompagne le premier mandat de Nixon: peu importe si le président est l'architecte des Accords de Paris qui permettent le retrait des troupes. Puis, en concomitance avec le début de son second mandat, il y a le coup final: le pays est traversé par des manifestations massives contre sa réélection à la Maison Blanche. Cent mille personnes à Washington et des milliers à Los Angeles et Chicago. “Nixon killer”, “Nixon fascist”, “Nixon liar”: le but est de délégitimer le président sorti vainqueur de l'élection avec les manifestations et les slogans, comme George Soros et ses manifestants stipendiés le font depuis le 8 novembre dernier.

L'assaut décisif contre Nixon, coïncide cependant avec le fameux scandale Watargate: l'accusation d'avoir mis sous surveillance le siège du Comité National Démocrate (le même qui aurait été «hacké» par les Russes en 2016 au profit de Donald Trump). L'enquête monte mois après mois, avec un goutte-à-goutte continu de nouvelles et de révélations, révélant la présence d'un metteur en scène attentif et professionnel qui suit l'opération: encerclé par la presse et isolé de son propre parti, Richard Nixon, pour éviter la procédure d'impeachment, remet spontanément sa démission le 9 août 1974.

Leonid Brejnev le regrette, sûr qu'il a perdu un bon "ami" à la Maison Blanche, tandis que se réjouit l'oligarchie atlantique qui, après la «régence» de Gerald Ford, se réinstallera solidement à la Maison Blanche en 1977 avec Jimmy Carter .

Les accusations d'ingérence russe dans la campagne électorale seront-elles le «Watergate» de Donald Trump? De son côté, il y a la faiblesse objective de l'oligarchie atlantique: diminuée par la défection de la droite israélienne rangée du côté du président, sonnée par le Brexit, effrayée par la marée montante du populisme à l'échelle internationale, l'élite "liberal" est maintenant plus que jamais sur la défensive. Répéter l'opération de 1974 pourrait même lui être fatal si elle entamait une confrontation avec le nouveau président dans les rues et devant les tribunaux.

Quelqu'un qui a confiance dans le succès de Donald Trump, c'est évidemment l'ex-secrétaire d'Etat de Richard Nixon. À 93 ans, Henry Kissinger, le champion de la Realpolitik qui a gardé ouverts les canaux avec Vladimir Poutine, même dans les moments les plus sombres de l'administration Obama, a admis:

«Donald Trump is a phenomenon that foreign countries haven’t seen. So, it is a shocking experience to them that he came into office. At the same time, extraordinary opportunity. I believe he has the possibility of going down in history as a very considerable president»

Si c'est Kissinger qui le dit ...