Benoit-et-moi 2017
Vous êtes ici: Page d'accueil » Actualité

Un boomerang appelé "réseaux sociaux"

Ils étaient censés assurer le panurgisme planétaire, et voilà que les utilisateurs échappent à leurs créateurs. Aujourd'hui, ceux-ci crient haro sur internet!! (14/11/2017)

Pas de téléphones portables, a dit le Pape lors de la dernière audience générale Place Saint-Pierre (8 novembre 2017).
Certes, il parlait des innombrables smartphones brandis durant les messes par lui célébrées, et son irritation peut paraître légitime ("la messe n'est pas un spectacle" on ne peut qu'être d'accord sur ce point). Benoît XVI, qu'on disait lui aussi agacé par les appareils photos tendus sur son passage, n'a pourtant jamais fait le moindre reproche public à ce sujet.
D'autant plus que cette remarque (qu'on ne s'attendrait pas à voir prendre place dans une catéchèse du Successeur de Pierre) résonnait comme une énième philippique adressée aux catholiques (1). Venant d'un pape si friand de se mettre en scène et si indulgent pour les fautes les plus graves, on peut le trouver bien sévère pour les peccadilles. Sans parler de la condamnation implicite de l'outil, c'est-à-dire de son usage en cascade (partage -> réseaux sociaux -> "fake news"), qui s'inscrit dans un mouvement général qu'Antonio Socci développe ici:

D'abord, ils ont inventé Internet: le big brother planétaire. Ils en ont tiré de richissimes multinationales. Et maintenant, après le Brexit, ils diabolisent le Réseau parce que les gens l'utilisent contre les élites ...

Antonio Socci
13 novembre 2017
Ma traduction

* * *

D'abord, ils ont inventé Internet: le Big Brother planétaire. Ils en ont tiré de richissimes multinationales. Et maintenant, après le Brexit, ils diabolisent le Réseau parce que les gens l'utilisent contre les élites .
Le vent a changé. Tout à coup, la main invisible des maîtres de la pensée a "tourné le pouce vers le bas" sur Internet et les réseaux sociaux [ndt: allusion au geste du peuple romain, pour décider du sort d'un gladiateur: le pouce vers le bas signifiait la mort du gladiateur].
Ces messieurs du Mainstream ont décidé que le Réseau - jusqu'à hier un symbole de l'admirable destin, des progrès ("le magnifiche sorti e progressive" - allusion au poème de Leopardi "La ginestra") de l'humanité - est devenu la terrible menace qui pèse sur nous, «le côté obscur de la force» qui peut nous détruire.

Sean Parker lui-même, inventeur de Napster, l'un des premiers collaborateurs de Mark Zuckerberg sur Facebook, tire à boulets rouges sur les réseaux sociaux: «ils profitent des vulnérabilités de la psychologie humaine», produisant une dépendance d'internet et «Dieu seul sait ce qu'ils font à l'esprit des enfants».
Il n'y va pa de main morte: «on est en train d'exploiter une vulnérabilité de la psychologie humaine. Les créateurs, les inventeurs, comme moi, Mark, Kevin Systrom d'Instagram, nous l'avions parfaitement compris. Mais nous l'avons fait quand même».

Ce n'est pas le premier. Depuis un an maintenant, c'est l'air qui souffle par ici dans les Palais du pouvoir. C'est tout un tam tam, à qui pointe internet du doigt, échafaude des plans de guerre. On peut le voir dans les médias. A l'improviste, de nouvelles cibles polémiques sont apparues et de nouveaux mots d'ordre se répètent. Il suffit de passer les journaux en revue.
Il y a par exemple, depuis quelques mois, une campagne hystérique sur la "menace" des fake news, qui sucite dans les Palais du pouvoir des projets de bâillonnage et de censure, et alimente une propagande alarmiste jusque dans les écoles (comme si tous les pouvoirs et les régimes n'avaient pas depuis toujours fricoté avec les fausses nouvelles).
Il y a ensuite la croisade emphatique et larmoyante contre le hate speech, le discours de haine, c'est-à-dire les insultes via le web dont ils ne se rendent compte que maintenant, dans les Palais, parce que c'est eux qu'on insulte (oubliant que pendant des décennies, on a professé une idéologie sinistre, devenue hégémonique et qui avait fait de l'insulte, de la diabolisation et de la haine de classe une pratique politique de masse).
Autres thèmes du nouveau tam tam médiatique: cela va de la résurrection mythologique du Spectre appelé "hackers russes" à la dénonciation comique de l'"ingérence" du Kremlin dans les élections américaines (si vous n'êtes pas au courant, ils nous disent que des post "russes" sur Facebook auraient déterminé la victoire de Trump, un truc à s'étouffer de rire).
(..) Il y a même eu l'anathème soudain sur les téléphones portables lancés ces jours-ci par un roi du selfie tel que Bergoglio (1).

Depuis un certain temps, les journaux sont remplis de gourous du brassage de vent.
Seule la ministre Fedeli [Valeria Fedeli, (catastrophique) ministre PD - càd socialiste - de l'enseignement de l'université et de la recherche... , sans avoir le moindre titre universitaire!) la plupart du temps déphasée, n'a pas compris qu'il y avait eu un "contre-ordre, camarades" et en septembre a lancé l'idée d'autoriser l'utilisation des téléphones portables à l'école: bien sûr, elle a été enterrée sous les sifflets et s'est retirée en bon ordre.

Mais, me direz-vous, vous ne vous rendez pas compte qu'il s'est créé désormais une dépendance de masse à l'égard de ces appareils électroniques que nous portons toujours avec nous? Bien sûr, que je m'en rends compte, à tel point que j'ai écrit sur ces choses en des temps non suspects, précisément dans ces colonnes, essayant de comprendre le besoin profond d'"être connecté", c'est-à-dire d'être présent, qui s'agite dans l'âme.
L'article a été publié le 5 juin 2016. Mais à cette époque, il y a à peu près un an et demi, personne n'avait encore "tourné le pouce vers le bas" sur les téléphones portables, les réseaux sociaux et internet. C'était encore l'âge d'or d'internet.
Que s'est-il passé depuis un an et demi pour renverser le sentiment dominant des Palais sur Internet? La réponse est très simple: le Brexit à Londres et la victoire de Trump aux Etats-Unis (en Italie, peut-être pourrait-on ajouter le phénomène M5S - [le mouvement 5 étoiles, de Beppe Grillo]).

Le Brexit et la victoire de Trump - deux tournants historiques, totalement inattendus et inacceptables pour l'establishment - ont soudainement fait ouvrir les yeux au pouvoir: ils avaient créé le réseau comme le Big Brother planétaire et il a fonctionné magnifiquement pour l'uniformisation, l'alignement et le contrôle.
Mais ensuite, à l'improviste, les gens se sont mis à utiliser internet tout seuls, et dans le but opposé: se soustraire à la pensée unique, échapper aux récits officiels, chercher des nouvelles et des explications "différentes" et plus exhaustives qui peuvent circuler gratuitement.
De là Trump. Et cela a provoqué la panique dans les Palais, et la diabolisation du réseau.

Ils avaient créé "le réseau" comme nouveau "pays des jouets" [ou "pays des merveilles", paese dei balocchi, allusion à un épisode du roman de Carlo Collodi (et non du dessin animé éponyme de Walt Disney!) "Pinocchio"], en le présentant comme le monde du futur. Avec lui, le turbo-capitalisme - celui qui en un clin d'œil déplace le capital d'un bout à l'autre de la planète, déclarant la vie ou la mort des peuples et des États - s'est envolé.
C'est ainsi que sont nées les nouvelles multinationales d'Internet, les nabbabs de l'immatériel, qui règnent sur la planète, avec des gains stratosphériques, qui essaient éventuellement de payer le moins d'impôts possible, champions de l'idéologie "politiquement correcte", qui est le nouvel impérialisme idéologique.
Le nouveau modèle anthropologique s'est ainsi imposé: des être globaux et numériques, connectés et cosmopolites. Bref, en phase avec la pensée unique.
Le réseau a mis KO des secteurs entiers, des journaux à certains secteurs du commerce, mais - nous ont-ils dit - c'est le progrès, c'est l'avenir.

Ce n'est évidemment pas pour cela que l'alarme a sonné, au contraire: c'était la new economy, c'était le business. Même la censure et l'usage idéologique des réseaux sociaux se sont trouvés en accord avec les maîtres de la pensée.
Ce qui a déclenché leur terreur, en revanche, c'est quand ils ont remarqué qu'ils ne contrôlaient plus le jouet. Trump, Brexit et même Poutine sont arrivés.

Horreur! Et maintenant, tout le monde crie «haro!» (2)

NDT

(1) Pour avoir participé plusieurs fois à des célébrations de Benoît XVI, j'aurais tendance à partager l'analyse de Bertrand du Boullay sur Boulevard Voltaire hier :

Si l’on comprend [le] pape François, «la messe n’est pas un spectacle», a-t-il dit, ce en quoi il a parfaitement raison – on reste un peu surpris! Le père universel de l’Église sait que les fidèles qui se rendent à Rome en pèlerinage, en famille même, participent au Saint Sacrifice sur la place Saint-Pierre pour marquer leur union et leur attachement à l’Église… Une, Sainte, Catholique, Apostolique… Et Romaine, ajoute-t-on in petto.
On y photographie le mouvement liturgique d’une infinie délicatesse et le plus saint qui soit – celui du plus grand des sept sacrements. On admire la beauté de la nature et des œuvres humaines offertes à Dieu, l’art floral, la passementerie, le travail des orfèvres, etc. Qui plus est, les revues liturgiques fourmillent de splendides photos des grandes célébrations. Et l’on voudrait interdire aux pèlerins de garder souvenir d’un voyage – souvent le seul – et de le partager ? Ce voyage qu’à jamais ils garderont dans leur cœur et leur mémoire?
Voir ces habitus avec une charité débonnaire serait bonne chose. Même les prêtres qui viennent de loin et que le Saint-Père associait dans son «reproche», doivent être reçus comme effectuant le voyage de leur vie.

(2) L'Union Européenne s'en mêle très officiellement: je lis à l'instant que «Bruxelles a créé un "groupe d'experts de haut niveau" qui devra formuler des pistes pour "lutter contre la diffusion de fausses nouvelles"» .
Cf. www.lexpress.fr