Benoit-et-moi 2017
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Un vaticaniste inquiet

Longue interview d'Aldo Maria Valli sur le site <www.lacrocequotidiano.it>. A lire absolument (12/1/2017)

>>> Voir aussi:
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Les questions respectueuses d'un fils de l'Eglise
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La méthode François (I)
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La méthode François (II)

On peut trouver que ces derniers temps, ces pages donnent une place peut-être excessive au vaticaniste de la principale chaîne publique italienne et à son dernier livre sur le Pape François, "266. Jorge Mario Bergoglio Franciscus PP" - alors que le vaticaniste en question n'est pas vraiment connu en France faute d'y avoir été publié, et que son livre ne sera probablement (et malheureusement), pas traduit en français. Que mes lecteurs se rassurent, il ne s'agit pas d'une foucade, encore moins d'une fixation. Mais il me semble que la démarche qui ressort du livre est exemplaire de l' évolution (qui devrait être) normale dans le jugement sur le cours du Pontificat actuel par un journaliste catholique, c'est-à-dire un médiateur d'information personnellement impliqué: un initié, donc, très au fait de l'actualité vaticane; et surtout un modéré (c'est important, car cela complique la tâche de ceux qui ont l'habitude de dicréditer l'opposition à François en la mettant sur le compte des excès de "l'extrême-droite"), sans préjugés anti-Bergoglio (ce qu'on pourrait reprocher aux néanmoins excellents Sandro Magister et Antonio Socci), peu suspect de sympathies traditionalistes (il suffit d'une brève recherche sur internet pour voir où vont ses sympathies politiques) et de surcroît grand admirateur du défunt cardinal Martini.

En 2013, l'écrivain prolixe qu'il est publiait un livre intitulé "Le sorprese di Dio. I giorni della rivoluzione di Francesco". Un titre qui se passe de commentaires, et qui exclut donc de sa part toute antipathie a priori.
Un peu plus de trois ans après, donc, il sort "266..." dont les bonnes feuilles que j'ai traduites dans ces pages (ici et ici) ne laissent aucun doute sur son évolution, pour ne pas dire sa désillusion. Mais pas dans le sens des progressistes qui s'impatientent en voyant que les réformes radicales attendues tardent à se manifester. Sa désillusion est au contraire celle d'un "fils de l'Eglise" sincère, et d'un père de famille attentif, qui constate la confusion actuelle, et s'en inquiète, et qui déplore d'être désormais privé de boussole.
Sans nécessairement partager toutes ses idées, beaucoup de catholiques de bonne foi - si l'on peut dire... - pourront se reconnaître dans ses "dubia".

Ici, ma traduction d'une très longue interview d'Aldo Maria Valli, sur le site <www.lacrocequotidiano.it>.
Plutôt que de me limiter à un titre unique (et donc réducteur) pour un article qui aborde de nombreux sujets importants, j'ai préféré insérer mes propres sous-titres, qu'on peut évidemment ignorer.
Le titre principal est celui choisi par "La Croce"

François selon Valli, un vaticaniste inquiet

10 janvier 2017
Entretien avec Giovanni Marcotullio
La Croce quotidiano
Ma traduction

* * *

On a vite fait de dire «miséricorde». Certes, tout le monde doit le dire, au moins actuellement. Mais c'est un mot. Justement: que signifie-t-il? Je suis allé en parler avec Aldo Maria Valli, dont le dernier livre - 266. Jorge Mario Bergoglio, Franciscus PP - m'a inquiété encore plus qu'un roman de Stephen King.

Son essai me semble, entre autres choses, la sonnette d'alarme d'un point critique dans le pontificat du Pape François: sauf surprise, c'est peut-être le début du déclin que va connaître le Pape, pris entre les feux croisés des détracteurs de toujours et de ceux qui, jusqu'à hier chantaient «hosanna» pour avoir brisé les schémas et aujourd'hui crient «crucifie-le» pour l'absence de conclusion dans les parties radicales. Pour l'instant, il reste au Pape une troupe de Zouaves [par référence aux "Zouaves Pontificaux" , institués en 1861 par Pie IX, pour défendre l'État pontifical dont l'existence était menacée par la réalisation de l'Unité italienne, ndt], mais - s'agissant de mercenaires - je ne serais pas surpris si pour accompagner François dans la parabole descendante, il ne restait que ceux qui d'emblée lui avaient rendu le loyal et difficile service de la parrhesia .
Alors, qu'est-ce que la miséricorde? Et quelle est sa relation avec la justice? Est-il possible aujourd'hui de remanier l'équilibre éternel de ces deux prérogatives divines? Le vaticaniste de la RAI nous propose, en exergue à son "266 ...", une maxime de saint Alphonse Marie de Liguori, prince et patron des moralistes, tirée de son "Apparecchio alla morte" (Préparation à la mort - Considérations sur les vérités éternelles"): «Dieu est miséricordieux envers ceux qui le craignent, non envers ceux qui se servent de sa miséricorde pour ne pas le craindre». Et c'est l'antienne la plus autorisée et la plus suggestive pour un texte qui cherche à refléchir sans langue de bois sur certains doutes de plus en plus répandus parmi les catholiques, qui veulent aimer cordialement le Saint-Père pour son ministère et qui, finalement, ont de plus en plus de mal à reconnaître la voix du Pasteur dans celle de son Vicaire.

LES VATICANISTES et le Pape

Question: Quand je me suis retrouvé avec ce livre dans les mains, je l'ai même emmené pour le lire au lit, en me disant: impossible qu'il soit d'Aldo Maria Valli! L'Aldo Maria Valli de la "Rivoluzione Francesco" ? Pour ma part, dans mon petit travail quotidien, j'ai cherché et je cherche à être un médiateur entre François et ses prédécesseurs, comme nous avons été très nombreux à l'essayer; mais je ne peux pas nier que certaines choses - d'abord, peu, ensuite un peu plus - ont commencé à me faire grincer des dents, et comme je ne suis pas un "normaliste" et ne veux pas passer pour tel, mais qu'on m'a appris à lire la continuité dans un sens ou un autre j'en arrive à un point où je préfère garder le silence et ne pas parler sur le sujet, parce que je me retrouve dans l'impossibilité de donner un jugement pacifié et cohérent. Qu'est-il arrivé, en revanche, à Aldo Maria Valli?

FIN DU PONTIFICAT DE BENOÎT XVI ET ESPOIR SUSCITÉ PAR l'élection de FRANÇOIS (CHEZ CERTAINS...)

Réponse: J'aimerais bien le savoir moi aussi. J'ai nourri de grands espoirs en François, parce que - comme nous nous sommes hâtés de l'oublier - nous provenions d'une situation où l'Église catholique était renvoyée dans les cordes comme un boxeur sonné, dans la dernière partie du pontificat de Benoît XVI (non par la faute de Benoît, mais pour une série d'opérations menées contre lui et contre l'Église), de sorte que la situation était presque désespérée. Et Benoît, avec sa décision de renoncer à la papauté, a rebattu les cartes et a trouvé une issue qui, incarnée par François, m'avait semblé une bonne voie de sortie: voilà - me suis-je dit - le Pape de nous avons besoin en ce moment. Les perplexités ont surgi au fur et à mesure: au début, j'ai noté une certaine superficialité, l'utilisation de certains mots génériques, d'expressions ambivalentes; mais elles ont émergé essentiellement dans Amoris laetitia, document que j'ai lu et relu et médité à plusieurs reprises, et envers lequel, à la fin, je n'ai pas pu cacher toutes mes réserves. C'est un document long et complexe: on peut y trouver tout et son contraire, selon l'endroit où on le prend. Par exemple, en ce qui concerne l'indissolubilité du mariage chrétien, il y a certes l'éloge de l'ouverture à la vie; mais par ailleurs, il y a aussi des mots qui semblent justifier un comportement qui va à l'encontre de cette ouverture. Bon, sans faire une exégèse chapitre par chapitre et aller au fond de la question: j'ai eu l'impression qu'AL légitime en fin de compte, le subjectivisme le plus extrême, c'est-à-dire cette éthique de situation selon laquelle il n'existe pas tant un bien objectif que, simplement, un bien subjectif, et que tout dépend de l'interprétation personnelle de la qualité de la situation que l'on vit à un moment donné. Et je me dis: si ce n'est pas du subjectivisme, je ne sais pas ce que c'est. A partir de ce moment, les préoccupations se sont amassées, et il semble vraiment que le relativisme est entré dans le Magistère de l'Eglise. Ce relativisme contre lequel Ratzinger nous avait mis en garde avec un tel soin, avec une telle passion, ... je pense que maintenant, il est entré. Je ne sais pas à quel point François en est conscient, parce que je me rends compte qu'il n'est pas un penseur systématique. Je me rends compte aussi de ses difficultés à s'exprimer en italien ... d'où cette argumentation quelque peu imagée. Mais il est difficile de ne pas se rendre compte que quelque chose ne va pas, par rapport à la doctrine , mais aussi dans le sentiment commun des fidèles catholiques.

NON, BERGOGLIO N'EST PAS MARTINI

Vous avez dit «relativisme» et rappelé la leçon de Benoît XVI qui commence avec l'homélie de la Missa pro Pontifice eligendo qui résonnait à l'époque comme un défi aux cardinaux de l'élire, et le discours d'ouverture du futur pontificat de Ratzinger. Pourtant, cela me rappelle un autre pasteur qui vous est si cher, Carlo Maria Martini: je me souviens que plus d'une fois - notamment dans l'homélie pour son XXVe anniversaire d'épiscopat - le Cardinal avait parlé d'un «relativisme chrétien» qui consisterait en gros à rapporter chaque réalité comme «relative à Jésus». C'était une citation que j'attendais, dans les dernières pages de votre livre, où vous parlez de «deux relativismes», dont «un bon» et « un autre mauvais». Mais la citation n'est pas venue. Permettez-moi de vous demander: qu'aurait dit le cardinal, de "266"?

Honnêtement, je ne sais pas. Je sais seulement qu'il aimait distinguer les gens entre les pensants et les non-pensants, donc je pense qu'il l'apprécierait comme il appréciait tout ce qui peut contribuer au débat et à l'inquiètude, à tour de rôle - «inquiétude» était un mot qui lui tenait beaucoup à cœur. D'autre part, je crois que ceux qui font un parallèle entre François et Martini font fausse route. Je rencontre souvent des gens qui me disent: «François est peut-être en train de réaliser concrètement ce que Martini avait demandé pour l'Eglise». Je ne pense pas que ce soit le cas. Chez Martini, il y avait une familiarité avec l'Écriture, très étroite, que je ne retrouve pas chez François. Et puis il y a chez François des accents de «populisme» religieux - voire dans un sens politique et social - que je ne retrouve nulle part chez Martini, lequel, au contraire était toujours très attentif aux distinctions et à l'utilisation avisée des mots. Notre génération, en particulier nous ambrosiens, a grandi avec Martini dans l'attention à chaque mot dans son sens précis. Rien à voir avec une certaine superficialité qu'on retrouve aujourd'hui avec le pape Bergoglio.

Bon, il y a aussi un autre pedigree académique: tous deux étaient des universitaires (????), mais Martini - qui est souvent, de façon réductrice, donné pour «bibliste» - était plus spécifiquement un "éditeur" (editore), quelqu'un qui connaissait sur le bout des doigts non seulement les Écritures, mais tous les textes spécifiques, sur papyrus et dans les codes anciens, avec leurs différences respectives. Ce sérieux était clairement devenu pour lui un mode de vie.

Et d'analyse de la réalité, avec une précision et une acuité difficiles à retrouver en général, mais surtout, je dirais, concernant le Pape actuel.

Mais pourquoi, à votre avis, l'un et l'autre ont-ils passé pour «ceux de l'ouverture»?

Pour ce qui concerne Martini, je pense que c'est parce qu'il y avait de sa part l'effort de se mettre dans la peau des autres. En bon jésuite, il nous disait: «J'aime la montagne parce que, quand je vais au sommet, j'ai la possibilité de voir les deux versants, et nous autres jésuites, nous aimons faire cela, voir le monde dans toute sa complexité». Et en effet, il cherchait cette confrontation: souvenons-nous de la chaire des non-croyants. Mais cela ne l'a jamais porté à des ouvertures inconditionnelles ou à diluer le message évangélique. Il a aussi été accusé de cela, mais à mon avis injustement: c'était au contraire sa recherche intellectuelle et humaine qui le conduisait à poser de nombreuses questions, conscient de la complexité de l'existence et de la variété des situations. Et concernant François, certains amis me disent: «Mais tu ne comprends pas, quand il réclame le discernement, dans Amoris laetitia, il va à la rencontre des personnes». Là, je trouve qu'il y a dans ces messages un caractère générique qui ne fait pas de bien aux hommes et aux femmes de notre temps. Je ne crois pas que nous avons besoin aujourd'hui de messages imprécis, superficiels, ambivalents ... "Discernement" pour quoi, pour qui, pour arriver où? Dans le livre, je vais jusqu'à dire: «Est-ce pour le salut de l'âme ou pour un bien-être psycho-physique générique?». Voilà, cette imprécision, je la trouve pernicieuse. L'expressiona même «périphéries existentielles» est très belle, tout comme est belle celle d' «l'hôpital de campagne», mais qui devons-nous guérir? Qui veut se laisser guérir dans l'hôpital de campagne? Quel traitement y donnons-nous? Je trouve cette indétermination pernicieuse: nous vivons déjà dans cette post-modernité dans laquelle nous ne savons plus à quoi nous raccrocher, en particulier sous l'angle moral. Je suis journaliste et je ne voudrais pas empièter sur les domaines purement philosophiques ou théologiques, qui ne sont pas les miens, mais en tant qu'homme, comme fidèle, comme quelqu'un qui regarde autour de lui, en mari, en père, en grand-père, je me rends compte que je n'ai pas besoin de cette consolation générique impalpable, j'ai besoin de vérités auxquelles me raccrocher, et je voudrais que quelqu'un me les montre, me les communique.

UN PAPE DÉPHASÉ (OU EN PHASE AVEC LES ANNÉES 60)

En effet, dans le livre, il y a un passage où l'on lit: «Le ministère pétrinien est celui de confirmer ses frères dans la foi, pas de provoquer la confusion».

Dans un article de mon blog, j'ai écrit il y a longtemps que «le pape est peut-être déphasé (fuori sincrono)», un autre article qui a fait du bruit et a suscité la consternation chez plusieurs de mes amis. Peut-être applique-t-il une recette, celle du Concile, qui pouvait marcher il y a cinquante ou soixante ans, quand nous venions d'une Église peut-être trop détachée de la réalité et trop isolée, qui refusait de prendre en compte ce qui était à côté d'elle; aujourd'hui, le problème est probablement l'opposé - une Église trop immergée dans le siècle, horizontale, qui n'est plus en mesure de lever les yeux vers ce qui compte vraiment et qui est incapable de nous montrer une transcendance. Ce que Benoît a essayé de faire, avec beaucoup de difficulté, et en étant largement incompris. Ce qui est regrettable, entre autres choses.

FAUSSE MODESTIE ET VRAIE VOLONTÉ DE PARAÎTRE

Vers la fin du livre, vous dites: «Je ne regrette pas les papes qui utilisaient le "nous"». Moi, en revanche, bien que je ne regrette absolument pas le 'plurale majestatis', j'ai la nostalgie de la précision chirurgicale avec laquelle Benoît XVI alternait la première personne du singulier, qu'il utilisait uniquement quand il disait des choses personnelles au sens strict, la première personne du pluriel, qui résonnait toujours comme un 'plurale modestiæ' où se retrouvait toute l'Eglise, et la troisième personne du singulier, dans laquelle il exprimait l'objectivité de l'Office pétrinien. Nous en sommes aujourd'hui au paradoxe de critiques qui accusent François - le pape humble, qui ne porte pas les chaussures rouges, achète ses lunettes tout seul et téléphone aux gens - d'être un autoritaire et «d'y mettre trop d'ego», à la fois dans la communication et dans gouvernement au sens strict.

Oui, cette façon de se mettre en avant, je la ressens moi aussi avec une certaine inquiétude: Je ne parviens pas à comprendre jusqu'à quel point c'est une fausse modestie, de la part de François.

UN MAGISTÈRE "LIQUIDE": À LA RECHERCHE DE LA BOUSSOLE PERDUE

C'est pour cela que le fameux «qui suis-je pour juger?» - phrase qui en attendant, devrait toujours être citée en entier - m'a beaucoup interrogé, si bien qu'à la fin, je me suis décidé à écrire ce livre: si même le Pape, si même le chef de l'Eglise catholique, va jusqu'à dire «qui suis-je pour juger?», cela signifie que le dernier bastion, celui qui disposait des cartes pour nous proposer un bien objectif, une Vérité avec un V majuscule, est tombé, et - je le répète, je dis cela encore une fois comme un humble croyant, homme de ce monde et de cette phase historique - que reste-t-il si même le Pape dit «qui suis-je pour juger?». Certains disent: «mais ce faisant, il se met à la suite de Jésus, qui n'a pas jugé». Mais il est vrai aussi que Jésus a dit: «Va, et ne pèche plus», il ne se limitait pas seulement à l'accueil. Et est-il vrai que le pasteur doit avoir cet instinct - il parle tellement de porter l'odeur de la brebis avec lui - et l'odeur de la brebis aujourd'hui, quelle est-elle? Est-ce celle d'un troupeau perdu à la merci du subjectivisme et du relativisme le plus débridé, d'absence totale de certitudes auxquelles nous accrocher, de manque d'éducation morale: nous nous inquiétons beaucoup d'accumuler des expériences, il semble que tout ce que nous pouvons donner à nos enfants - je parle maintenant comme père - est une série d'opportunités, d'expériences, et nous disons toujours «après, ils feront leurs propres choix». Sans nous rendre compte qu'«après» il sera trop tard si nous ne leur donnons pas des raisons objectives pour juger sur la base de critères valides. Alors, dans cette situation de liquidité - pour utiliser une expression désormais célèbre - avons-nous vraiment besoin de ce type d'enseignement, de Magistère, qui introduit d'autres doses massives de liquidités? Je ne crois pas, voilà pourquoi j'ai écrit «fuori sincrono». Sans même tenir compte des modalités d'expression: sommes-nous sûrs que l'interview - et l'interview avec des personnages comme Scalfari - est le mode de communication le plus approprié, pour le Pape? Je ne pense pas. Il y avait une raison si autrefois, les Papes se gardaient bien de descendre à ce niveau, parce que c'est un niveau glissant, surtout si ensuite vous ne vous exprimez pas dans votre langue maternelle. Il faut de l'attention et de la prudence, si vous êtes Pape, et vous ne pouvez pas brader cette autorité - qui vous a été donnée - et la dissoudre à votre gré dans un panorama déjà bien imprégné de superficialité.

NOSTALGIE OU FONDAMENTALISME?

Je dois avouer qu'à la lecture du livre, il m'est venu un doute: Valli deviendrait-il nostalgique? Parce que je vois que l'on cite Sarah et Burke et avec une certaine insistance - surtout Sarah -: deux «fondamentalistes», écrivez-vous, rapportant l'anecdote selon laquelle le premier s'est mis sur la poitrine l'insigne de «fondamentaliste», et celle avec laquelle le second, interrogé à ce sujet, a accepté avec un sourire de le porter. Nous avons donc besoin de fondamentalistes?

Euh ... oui. Voilà, nous devons nous entendre sur le mot «fondamentaliste». Si fondamentaliste désigne celui qui me donne une doctrine claire, certaine, sans ambiguïté, je pense que oui.

"DUBIA" = LIBERTÉ du Chrétien

Comment avez-vous jugé l'affaire des Dubia?

Je trouve que c'est légitime, de la part de ces cardinaux - qui sont d'ailleurs non pas quatre mais six, deux ne voulaient pas apparaître avec leur nom - et même, cela m'a semblé l'exercice de leur devoir particulier d'aider le pape, donc ils n'ont pas exercé seulement leur droit mais leur devoir. Et je pense qu'ils ont également exercé cette liberté chrétienne qui est fondamentale pour nous tous, les croyants.

Ne devaient-ils pas se limiter à envoyer la lettre en privé et se résigner à ne pas obtenir une réponse, sans monter ensuite une affaire dans l'agora médiatique?

Non, je ne suis pas de cet avis, car cela signifierait avoir peur de la confrontation entre nous, et cela non plus ne rentre pas dans la liberté du chrétien. Je cherche toujours à exercer un maximum de respect pour la figure du Pape, mais cela ne m'empêche pas de me questionner en tant qu'homme, en tant que croyant, sur ce qu'il propose, et je pense que la confrontation devrait être ouverte. Notre Seigneur nous a ordonné et commandé la parrhesia .

CONFUSION DANS L'EGLISE

Il s'est passé quelque chose, en décembre: en plus de votre livre, un film est également sorti - si parva licet ... - intitulé «Il n'y a plus de religion» (“Non c’è più religione” ) et le fait le plus intéressant, dans un film à ne pas manquer, c'est l'insistance constante sur le «nouveau cours ecclésial»: toutes sortes de gens d'Eglise faisant allusion, sans jamais prononcer le nom du Pape, à des règles qui ne sont plus ou ne seront bientôt plus valables. Et le ton est celui d'une lassitude résignée, comme on le ferait avec les caprices d'un souverain à la volonté insondable.

J'ai vu la bande-annonce, mais je ne vais jamais au cinéma parce que malheureusement je n'ai pas le temps. Si les comiques de l'establishment se moquent de l'«Église progressiste»... [rires], en sommes-nous déjà à l'interprétation ridicule? Le temps passe, effectivement. Je ne sais pas quoi dire. Ce que je peux voir, c'est qu'il y a une grande confusion dans l'Eglise actuelle. Je connais par la force des choses beaucoup de prêtres, beaucoup de religieux, et je constate qu'ils sont dans un état de confusion: ils ne savent pas, eux non plus, à quoi se raccrocher. Voilà un autre symptôme inquiétant de la liquidité dont nous parlions avant: Amoris laetitia peut être interprétée d'une manière ou d'une autre, de droite ou de gauche, d'en haut ou d'en bas, il est difficile de trouver une voie unique. Le concept même de discernement, on ne sait pas où et à quoi il doit conduire.

En réalité, Ignace lui-même, le Prince de discernement, spécifie que le discernement sert à «se vaincre soi-même et mettre de l'ordre dans sa propre vie».

Il y a une grande perplexité. Un curé que j'ai rencontré il y a quelques jours, mais aussi un autre qui m'a écrit hier, me demandant: «Que dois-je faire? L'évêque me dit: "Je pars à la retraite, ce sont vos affaires"». C'est une situation assez tragique, si on me passe l'expression. Si les pasteurs, ceux qui sont avec le troupeau tous les jours, ne savent pas où le conduire, à quoi se raccrocher?

THURIFÉRAIRES VS PAROLE DU PAPE moulinée et prédigérée par les MÉDIAS

D'un côté, nous avons les Dubia, mais de l'autre, nous avons - plus répandue et constitutionnellement moins bruyante - une attitude curiale, courtisane, selon laquelle vous voulez faire plaisir à ceux qui sont au-dessus de vous, ne sachant pas exactement comment faire pour ne pas vous faire remarquer.

... ou bien vous répétez quelques-uns des mots d'ordre qui sonnent bien, même si vous ne comprenez pas bien ce qu'ils signifient. Je remarque ce grand malaise. Et puis, sur l'autre plateau de la balance, il y a la parole de François, qui arrive aux gens - entre autres choses, hachée et manipulées par nous, des médias - lesquels gens s'en emparent et l'utilisent pro domo de manière inconcevable. J'ai été témoin de scènes dans une paroisse, où des gens arrivent en disant: «Maintenant, la voie est libre, les divorcés remariés vont communier, il n'y a plus de problèmes, François l'a dit». Ou des gens qui veulent être témoins à des baptêmes ou des confirmations, bien qu'ils n'aient pas les papiers en règle, et qui disent: «Monsieur le curé, vous n'êtes pas à jour: si François était ici, il le ferait tout de suite». Parce qu'ensuite, il faut faire faire face à la réalité qui est celle-ci: tous ne sont pas philosophes ou théologiens, pour se poser de grands problèmes. Finalement, en gros, ce qui se passe, c'est cela.

VOX populi

(...) Que dites-vous de la chute de l'audience pour la messe de Noël? Cette année, nous sommes autour de 2,9 millions de téléspectateurs; l'année dernière, nous étions à 3,5 millions.

Oui, c'est vrai, c'est constamment en baisse: cela, de façon continue, tous les ans, et c'est une tendance spécifique du pontificat de François. Je ne saurais même pas dire si et comment ces données sont analysées au Vatican, mais j'avais moi aussi remarqué le déclin: je laisse l'interprètation à qui de droit. Pour ma part, je peux seulement dire une chose: quand le pape attaque les prêtres, les évêques, la curie, et les accuse de toutes les atrocités, les maladies et les péchés de ce monde, on ne doit pas être trop surpris s'il y a un certain détachement de la part des gens.
Mais finalement, à propos des messages qui arrivent, voici ceux qui frappent le plus: tu es le pape bon, pauvre, sympathique, qui sort seul pour acheter des lunettes ... deux personnes sont venues ici hier, pour faire des travaux dans la pièce - deux personnes qu'on pourrait prendre comme échantillons de l'homme de la rue - et elles m'ont dit: «Oh, vous êtes vaticaniste: quelle chance vous avez d'être en contact avec ce pape si bon parce qu'il sort et va dans un magasin tout seul. Il paraît qu'il téléphone ... c'est vrai qu'il vous a téléphoné? ». Eh non, il ne m'a pas téléphoné [rires]. Vous comprenez que, si ce sont les catégories d'évaluation ... ça ne va pas. Et à la fin, qu'est-ce qui reste? A quoi nous raccrochons-nous? On ne va pas au-delà du slogan.

UN PAPE "FURBO" QUI ÉVITE DE S'IMMISCER DANS LA POLITIQUE... ITALIENNE!

À propos des messages contradictoires entre l'action et la parole du Pape, il y a un sujet sur lequel le pape régnant a été dur comme aucun de ses prédécesseurs, et je pense au gender. Benoît XVI n'aurait jamais osé comparer cette idéologie néfaste à la Hitlerische Jugend : François l'a fait, et à plus d'une occasion. A l'inverse, à l'occasion de la Journée de la famille en 2015 et 2016 ... silence. Et un silence qui n'est pas de complaisance. Parmi les organisateurs, le bruit courait que le pape craignait un flop, mais alors pourquoi n'en a-t-il même pas parlé après? Pas un mot ... à la Marche pour la vie, qui était une autre chose et à laquelle participaient, entre autres, un cardinal et une paire d'évêques, à peine un salut fugace depuis le Palais apostolique. Y avait-il vraiment un accord avec le gouvernement italien pour les unions civiles? Qu'est-ce qui s'est passé

Je ne sais pas, malheureusement, je n'ai aucun élément et aucune information pour pouvoir donner une réponse. La seule chose qui me vient à l'esprit, c'est cette phrase que François a souvent utilisée pour parler de lui: «Je suis un peu naïf et un peu fourbe». Je crois qu'il joue aussi avec la politique, ne voulant pas suivre de routes qui peuvent le lier du point de vue politique, l'exposer, la forcer à des parcours ... Bergoglio est très fourbe, de ce point de vue. Et il l'est même au prix de ne pas soutenir le peuple. Je vois une forte contradiction, en lui qui parle tellement de peuple, comme si c'était quelque chose de saint et d'infaillible en soi - combien de fois en a-t-il parlé en ces termes, à partir de son propre héritage sud-américain et péroniste - et ensuite, quand il y a eu une si forte manifestation de peuple, il ne l'a pas prise en compte? Alors, il y a de l'opportunisme politique. Clairement. Maintenant, je ne sais pas analyser dans quelle direction va cet intérêt, je n'ai pas d'éléments, cependant, dans ce fait, il y a une contradiction évidente par rapport à ce que le Pape dit habituellement.

Conclusion: APRÈS FRANÇOIS, QUI, QUAND, COMMENT?

Nous arrivons à la conclusion: après François. Tout d'abord: quand?

Comme disait Martini, nul n'est prophète. Je ne sais pas. Certains disent qu'il va démissionner lui aussi. Je ne pense pas, je vois qu'il aime beaucoup être Pape. Il semble une autre personne par rapport au cardinal Bergoglio que nous avons connu en Argentine, qui était un type plutôt sombre, qui riait rarement. Une personne presque "macérée" dans son rôle de commandement. Ici, au contraire, nous voyons un Pape heureux, populaire, souriant: le rôle l'a changé, il aime beaucoup ce qu'il fait. Je crois que les difficultés pour celui qui viendra après lui - je ne sais pas quand - seront énormes. Terribles. Parce que ce Pape laisse des marges d'incertitude tellement grandes qu'il sera très difficile de reconstruire.

J'en parlais avec un collègue, l'autre soir, qui me disait: «Avec le conclave qui s'annonce, tout "bergoglisé" qu'il est, il faut s'attendre à un pontificat conforme». Il me semble qu'on ne peut pas dire cela, et que la seule façon qu'a un Pape pour être sûr de son successeur, c'est de le nommer directement (chose déjà arrivée et toujours dans le pouvoir du Saint-Père), mais c'est quelque chose que je ne pense pas que François veuille faire. Je crains au contraire qu'il y aura une réaction, et même, vraisemblablement, très dure.

C'est prouvé historiquement: les conclaves sont imprévisibles. Quant à la restauration, c'est une possibilité concrète, un risque (??) actuel: à en juger par la confusion répandue - même parmi ceux qui ont soutenu Bergoglio, et qui ont pris conscience de la situation où nous sommes arrivés - je pense que c'est une possibilité à laquelle il faut réfléchir. Il semble que pour le moment, on ne sache plus bien ce qu'est le dépôt de la foi. Quand le 15 Décembre le Pape a reçu en audience la communauté de l'Enfant Jésus, puis lors de l'audience générale du 4 Janvier, il a déclaré: «Face au problème de la souffrance innocente, je n'ai pas de réponses» ... il a vraiment dit ça! Et puis il a ajouté: «Dans la croix il y a peut-être une voie de consolation». Ce sont des éléments déconcertants, devant lesquels on reste stupéfait. Certaines contorsions sont déconcertantes, venant de Pierre: «Tu es Pierre», tu ne peux pas jeter ta fonction comme cela.