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Une lecture "historique" de Fatima

Fatima: les enfants et la vision de l'enfer

à la veille du centenaire de la première apparition, par le P. Riccardo Barile, prêtre et frère dominicain (12/10/2017)

>>> (Re)lire aussi à ce sujet: Dossier Fatima (en particulier le détournement du message de la Sainte Vierge, i.e. sa lecture "miséricordieuse" par François lors de son voyage à Fatima en mai dernier)

Notre-Dame entre les révolutions : Fatima nous sauve

Fatima, l3 octobre 1917: le miracle du soleil

Père Riccardo Barile
11 octobre 2017
www.lanuovabq.it
Traduction d'Isabelle

* * *

On peut écrire tant de choses sur Fatima, en restant, bien entendu, dans les limites des apparitions ou révélations « dont le Saint-Siège a permis qu’on les crût de foi purement humaine, sur les traditions qui les relatent, corroborées par des témoignages et des monuments dignes de foi » (Congrégation des Rites, 12 mai 1877). Il va de soi que l’auteur de ces lignes « y croit » et qu’il écrit pour ceux qui « y croient ».

L’anniversaire, cette année, du centenaire de la Révolution d’Octobre invite à considérer le fait que Fatima s’enchâsse entre deux révolutions : celle du Portugal et celle de la Russie. En réalité, au début des apparitions, le Portugal était arrivé au sommet d’un processus politique qui prévoyait sa déchristianisation ; par ailleurs, un mois après la dernière apparition avait lieu, en Russie, la Révolution d’Octobre qui, avec les mêmes intentions, avait un retentissement international plus important. Et peut-être la Sainte Vierge n’a-t-elle pas choisi par hasard les dates des apparitions.



ENTRE DEUX REVOLUTIONS

Au Portugal, à partir de 1833, le parti libéral devint de plus en plus fort. Le 5 octobre 1910 vit la chute de la monarchie, en la personne de Manuel II, neveu de la reine Maria Pia de Savoie. La même année, on promulgua la loi de séparation de l’Eglise et de l’Etat, qui porte la signature de Afonso Augusto da Costa (1871-1937), ministre de la justice puis premier ministre à trois reprises. En 1911 Costa déclara qu’en quelques décennies toute influence religieuse chrétienne disparaîtrait du pays.

Saint Pie X intervint le 24 mai 1911 avec l’encyclique Iamdudum in Lusitania (Depuis longtemps déjà au Portugal), qui dénonçait une « haine implacable envers la religion catholique ». Celle-ci de fait comportait la séparation de l’Eglise et de l’Etat ; la persécution des évêques et l’expulsion des religieux ; l’élimination des fêtes religieuses et de l’enseignement chrétien dans les écoles, avec des programmes athées ; des mesures bureaucratiques prises à l’encontre de l’aide économique aux paroisses et aux organisations laïques qui en assuraient la gestion ; des ingérences dans la formation et les programmes de cours des séminaristes ; des entraves à la circulation des documents romains ou pontificaux ; des avantages pour les prêtres qui se marieraient ainsi que pour leurs femmes et leurs enfants etc..

En 1917, Afonso Augusto da Costa dirigeait à nouveau le gouvernement pour un troisième mandat qui, curieusement, coïncida pratiquement avec la période des apparitions : celles-ci eurent lieu du 13 mai au 13 octobre et, dans le courant de la même année, Costa fut premier ministre du 25 avril au 8 décembre. Ensuite, après un nouveau coup d’état, il fut exilé à Paris et y mourut.

En Russie, en revanche, la Révolution d’octobre suivit d’un mois la dernière apparition du 13 octobre 1917, quand, avec l’insurrection des 7-8 novembre (25-26 octobre selon le calendrier julien en vigueur en Russie) les bolcheviks inaugurèrent le gouvernement révolutionnaire sous la présidence de Vladimir Lénine (mort en 1924). Après une guerre civile, ce gouvernement fut définitivement consolidé en 1921-1922. Commencèrent alors des années d’athéisme civil et culturel avec des persécutions de chrétiens : sous Lénine, alors qu’en 1922 le patriarche Tykhon avait invité à livrer les objets de valeur des églises pour venir en aide à la population, on mit à mort 2691 prêtres, 3447 moines, 2 métropolites et 40 évêques. Sous Joseph Staline (mort en 1953) on ferma une multitude d’églises de campagne et, en 1932, fut établi un plan quinquennal qui prévoyait ceci : « En date du 1er mai 1937, la notion même de Dieu sera effacée de l’esprit du peuple ». Sous Nikita Kroutchev (mort en 1971), fut instauré un climat de contrôle étatique qui conduisit à la fermeture d’environ 15000 églises, 5 séminaires et 55 monastères.



LES VOYANTS ET LA POLITIQUE

Aljustrel, le village natal de Lucie, Jacinta et Francesco, était un coin perdu où les bouillonnements culturels et politiques ne parvenaient qu’atténués. On ne s’apercevait de la présence du gouvernement que lorsque les jeunes gens étaient enrôlés pour aller à la guerre où ils risquaient de mourir. Beaucoup d’enfants, y compris, au début, les voyants, étaient analphabètes. Lucie aura des difficultés à dater certains événements de son enfance « parce que, disait-elle, à cette époque je ne connaissais même pas encore le jour des mois » (lettre du 18 mai1941). D’après les témoignages, il semble que les voyants ne se soient pas rendu compte de la politique maçonnique et anti-chrétienne du gouvernement et qu’ils n’aient pas su non plus où était la Russie.

En fait, les voyants subirent l’arrestation et la réclusion de la part du maire de Vila Nova de Ourèm, Artur de Oliveira Santos au milieu du mois d’août 1917. En 1918 ou 1919, Lucie fut empêchée de se rendre à Cova da Iria par deux soldats à cheval, parce que « le gouvernement ne voyait pas d’un bon œil le déroulement des événements » ; lorsqu’elle se trouvait à Lisbonne, elle soupçonnait toujours qu’elle était recherchée par le gouvernement (II Memoria). Ces quelques indices permettent seulement de constater l’existence d’une opposition à Fatima, sans que l’on perçoive une plus vaste politique maçonnique anti-chrétienne. Le 25 mars 1997 encore, lorsque, quatre-vingts ans après les apparitions, Lucie signe le livre Scritti e ricordi (Ed. Vaticana 2017), la description qu’elle fait du village de son enfance est idyllique quant à la foi chrétienne et sans la moindre référence à la situation politique. C’est pourquoi, si la Sainte Vierge en apparaissant aborda ce sujet, ce fut bien sa propre initiative et non pas celle des voyants.



L’INTERVENTION DE LA SAINTE VIERGE

Les apparitions de la Sainte Vierge furent précédées par trois apparitions d’un ange, en 1916. Au cours de la deuxième, l’ange demanda aux voyants des prières et des sacrifices qui avaient un objectif : « Faites venir ainsi la paix sur votre patrie. Je suis son ange gardien, l’ange du Portugal ». L’ange reprend la catégorie des « anges des nations » (Dn 10, 13), laissant entendre aux voyants que le destin de leur patrie n’était pas seulement entre les mains des gouvernants de l’époque. C’est dans le même sens que la Vierge promit le 13 juillet 1917 : « Au Portugal, on gardera toujours le trésor de la foi, etc. » (IV Memoria) ; une promesse qui supposait un danger réel pour la foi. Et ce fut le pèlerinage et la foi suscités à Fatima qui changèrent en mieux la situation (il est vrai que certains interprètent le « etc. » comme le prodrome de quelque chose qui n’a pas encore été manifesté.

Au cours de la même apparition du 13 juillet, celle du « secret » (rendu public par le Saint-Siège), la Sainte Vierge cite la Russie : « Je viendrai demander la consécration de la Russie, qui « se convertira et (les hommes) auront la paix ; si non, elle répandra ses erreurs dans le monde entier, en provoquant des guerres et des persécutions contre l’Eglise ». C’était la « politique » de la Sainte Vierge pour la Révolution d’octobre et ses conséquences ! Pie XII consacra la Russie par la Lettre apostolique Sacro vergente anno (7 juillet 1952) et saint Jean-Paul II par une Offrande de 1981, répétée en 1982 et 1984. Aux dires de Mgr Bertone, « Sœur Lucie confirma personnellement qu’un tel acte solennel et universel de consécration correspondait à ce que voulait Notre-Dame »; mais jusqu’à aujourd’hui, tous ne sont pas d’accord.

La Vierge prédit une seconde guerre mondiale et montra une procession qui se dirigeait vers une croix avec la mise à mort d’un évêque vêtu de blanc et d’autres prêtres et fidèles.



COMMENT ET POURQUOI LA VIERGE INTERVINT

Pourquoi la Vierge intervint-elle ? Parce que l’homme est un être social et que si une société, sa culture, son gouvernement etc. s’opposent à la foi, beaucoup risquent de voir s’éteindre leur foi. Aujourd’hui, à un moment où changent les formes de gouvernement, le risque est d’éloigner Dieu ; c’est ce qui s’est produit, lorsque le peuple a demandé un roi à Dieu et que Dieu dit à Samuel : « Ecoute la voix du peuple, tout ce qu’ils te disent, parce que, toi, ils ne t’ont pas rejeté, mais moi, ils m’ont rejeté pour que je ne règne plus sur eux » (1 Sam 8, 17). Certains changements politiques profonds sont opportuns et, parfois, nécessaires mais c’est justement là que s’insinue la concupiscence humaine (1 Jean 2, 16), comme désir de domination et d’oppression (Mt 20, 25), produisant aussi sur les autres « une affirmation de soi contre les impératifs de la raison » (CEC 377). Et de plus, c’est ici que se glisse l’action du démon.

La Vierge n’a soutenu aucun système politique, mais a demandé des réactions qui devaient corriger ce que nous avons décrit plus haut. Elle a demandé la communion réparatrice des premiers samedis du mois et, « d’une manière surprenante pour des personnes qui proviennent du milieu culturel anglo-saxon et allemand », la consécration de la Russie à son Cœur Immaculé et la dévotion de tous à ce Cœur, dans lequel la volonté de Dieu « devient le centre qui informe toute l’existence » (card. J. Ratzinger, Commento teologico). Elle a demandé la pénitence et la prière pour les pécheurs.

De cette manière, la société pouvait changer son aspect politique, mais en conservant la référence à Dieu. Surtout, on évitait d’absolutiser le changement et, tandis qu’il se produisait, les cœurs restaient fixés là où est la vraie joie : « Ibi nostra fixa sint corda, ubi vera sunt gaudia » (XXI Dimanche ordinaire). Sans oublier de prier et de se sacrifier, parce que « beaucoup d’âmes vont en enfer parce qu’elles n’ont personne qui se sacrifie et prie pour elles » (IV Memoria).



FATIMA, UN MESSAGE DE MALHEUR ?

Même si les révolutions provoquent des malheurs, il y a aux apparitions de Fatima un caractère foncièrement positif.

Le caractère positif du seul fait que la Vierge intervienne dans notre histoire, même politique, certes pas d’elle-même mais par initiative divine et pour reconduire au Père par le Christ dans l’Esprit.

Le caractère positif de l’apparition finale (13 octobre 1917), lorsque saint Joseph et Jésus, enfant puis adulte – Notre Seigneur – « semblaient bénir le monde » (IV Memoria).

Le caractère positif du « secret » (13 juillet 1917) qui, après la vision des souffrances et des martyrs sous une grande croix, se termine ainsi : « Sous les deux bras de la Croix, il y avait deux anges et chacun avait à la main un arrosoir de cristal, dans lequel il recueillait le sang des martyrs et en arrosait les âmes qui s’approchaient de Dieu » . Celui qui était alors le cardinal Ratzinger, dans le Commento teologico cité ci-dessus, en tirait la conclusion qu’« aucune souffrance n’est vaine, et que c’est justement une Eglise souffrante, une Eglise des martyrs qui devient signe qui oriente la recherche par l’homme de Dieu (…) ; de la souffrance des témoins dérive une force de purification et de renouvellement parce qu’elle est l’actualisation de la souffrance même du Christ et transmet, dans le présent, son efficacité salvifique » .

Tout cela au milieu des révolutions, mais vécues avec le message de Fatima.

Riccardo Barile