Benoit-et-moi 2017
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Joseph le géant

Vittorio Messori revit pour nous ses rencontres avec Joseph Ratzinger puis Benoît XVI (19/4/2017)

Trois rencontres, qui marquent trois périodes de la vie de Benoît XVI. Elles ont déjà été évoquées dans ces pages:
¤ En 1984, le cardinal et le journaliste se rencontraient à Bressanone, dans le Sud Tyrol, pour préparer ce qui devait devenir "Le Rapport Ratzinger" (alias "Entretiens sur la foi"): benoit-et-moi.fr/2008-II.
¤ En 2008, Vittorion Messori saluait au cours d'une audience générale le pape Benoît: l'occasion était la présentation d'un livre qu'il venait d'écrire avec Andrea Tormielli, "Perchè credo": benoit-et-moi.fr/2008.
¤ En 2015, Vittorio Messori se rendait à Mater Ecclesiae pour y rencontrer le Pape émérite: benoit-et-moi.fr/2015-II/benot-xvi/un-matin-dans-lermitage-du-pape-emerite.

Joseph le géant

Gente
(via www.vittoriomessori.it)
16 avril 2017
Richard Caniato
Ma traduction

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Seize Avril 2017: exactement le jour de Pâques, Joseph Ratzinger a 90 ans.

Gente confie ses vœux au pape émérite à Vittorio Messori, le journaliste et l'écrivain le plus qualifié , - né lui aussi un 16 Avril, en 1941 - auquel demander un portrait de l'homme, avant même que du pontife qui a gouverné l'Eglise catholique d'Avril 2005 à la fin de Février 2013.

S'étant imposé en 1976 avec Hypothèses sur Jésus (près de deux millions d'exemplaires vendus uniquement en Italie), Messori a été en effet le premier vaticaniste à publier un livre à quatre mains avec un Pape (Franchir le seuil de l'espérance, écrit avec Jean-Paul II en 1993), précédé en 1985 par un autre record, le livre-interview à l'époque impensable avec le préfet la Congrégation pour la Doctrine de la foi, impénétrable jusque là: le cardinal Ratzinger justement. «Le Rapport Ratzinger - Entretiens sur la foi - a été le résultat de trois jours en contact étroit avec Joseph Ratzinger, qui ont établi un lien jamais rompu entre nous» , dit l'écrivain.

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Quels souvenirs avez-vous de ces jours?

Le préfet de l'ex-Saint Office m'a convoqué à Bressanone pour le soir de l'Assomption de 1984.
Joseph Ratzinger passait ses vacances d'été au séminaire local, se partageant entre l'étude et la méditation. Quand je suis arrivé, avant le dîner, on m'a dit que Son Eminence était encore dehors, pour les confirmations. Il arriva à bord d'une vieille Volkswagen immatriculée à Munich. Il en sortit habillé en cardinal, tout en rouge pourpre, et je fus frappé par le contraste engendré par sa figure austère et intelligente et la pauvreté exprimée sa voiture, et le vieux prêtre vêtu d'une simple chemise noire à col romain qui la conduisait. J'ai appris plus tard que c'était son frère (?).
Avec le recul, cette image en dit long sur le malentendu dont Ratzinger a été victime un peu tout au long de sa vie.

Pouvez-vous mieux expliquer?

Quand vous le rencontrez, il suffite de quelques réparties pour percevoir sa stature humaine. La sagesse et l'étendue de la culture, pas seulement doctrinale, de la personne, et vous vous sentez un nain en comparaison. De nombreux ennemis de l'Eglise, bien conscients qu'ils avaient devant eux un cheval de race capable de placer la foi dans la perspicacité de la raison, ne pouvant rivaliser sur le front des arguments, en ont faussé certains aspects, à commencer par sa nationalité et sa profonde timidité, pour créer un stéréotype médiatique. L'image du « berger allemand », du « Grand Inquisiteur », du « panzer cardinal » ou du « préfet de fer » sont filles de cette légende noire.

Et au contraire?

Au contraire, Joseph Ratzinger est l'une des plus personnes les plus aimables, discrètes et bonnes que j'aie jamais connues. Comme tous les vrais savants, il ne se vante pas et sait écouter les autres. Et il est également doté d'humour, y compris envers lui-même. Savez-vous que quand nous nous rencontrions dans une trattoria près du Vatican, il me demandait de lui raconter les blagues circulant à son sujet? Il riait de bon coeur. Je me demande ce qu'auraient dit ses détracteurs à le voir aussi.

Mais Papa Ratzinger est rappelé aussi pour les principes non négociables et la fermeté de certaine positions ...

C'est certainement un homme qui ne déroge pas à la vérité. Quand je lui remis les épreuves du livre, j'insistai pour qu'il les relise en personne parce qu'il avait fait des déclarations explosives et il y avait une condamnation très ferme à propos d'une certaine contestation post-conciliaire et de nouveaux courants de pensée comme la théologie de la libération. Mais il ne corrigea presque rien, et n'adoucit pas les positions les plus dures. Il resta surpris de mon inquiétude: «Des polémiques?», me demanda-t-il en allemand, me scrutant de ses yeux bleus innocents. «Warum? Et pourquoi?». Et là, on devine cette transparence évangélique qui l'a caractérisé aussi comme Pape, pour laquelle on est surpris que l'annonce de la vérité suscite des polémiques.

Mais les polémiques n'ont pas manqué, comme après le discours de Ratisbonne sur la foi et la raison avec le fameux passage sur l'islam et la violence.

Si c'est pour cela, même quand il était cardinal, il fit discuter. Pour les condamnations dont je viens de parler, il a été menacé de mort. Pour sa sécurité, on l'a forcé à loger à l'ambassade des États-Unis près le Saint-Siège, et quand il m'invitait chez lui, je devais me soumettre au contrôle des marines . Mais l'appareil de sécurité contrastait avec l'homme que je rencontrais dans le calme serein de sa maison.

Dites-nous quelque chose de plus sur la délicatesse humaine de Joseph Ratzinger.

Pour en revenir à l'habit, à Bressanone, je ne l'ai pas revu en uniforme: il avait endossé la pourpre en hommage à la liturgie et par respect pour les confirmants qui attendaient avec impatience de rencontrer un prince de l'Eglise. Mais immédiatement il se changea, me mettant à l' aise avec un informel clergyman un peu usagé.
Pendant le séjour, ensuite, nous travaillions toute la journée et le soir, nous relisions ensemble les notes avant d'aller nous coucher.
Infatigable, Ratzinger se réveillait bien avant moi pour célébrer la messe et le soir, il se tenait dans la chapelle pour le rosaire, tandis que je me retirais dans ma chambre pour préparer les questions du lendemain. Il n'a jamais insisté pour que je m'adapte à ses rythmes. Quelques mois plus tard, à Rome, après qu'une plus grande confiance eût mûri, je lui révélai en souriant qu'à Bressanone, j'avais fait un grand sacrifice, renonçant à fumer pendant trois jours par peur de le gêner. Il fut consterné et me dit avec sincérité: «Mais pourquoi ne me l'avez-vous pas dit? Je ne fume pas, c'est vrai, mais j'aime le parfum du tabac qui brûle». Je suis certain que ce n'était pas vrai, mais pour lui, c'était un moyen de ne pas me blesser.

Vous mangiez ensemble?

Bien sûr, si l'on peut dire. J'avais un peu plus de quarante ans et à table il me poussait à manger plus, tandis que lui se contenait. Chaque après-midi, il se souciait d'organiser une pause autour d'un merveilleux strudel préparé par les religieuses tyroliennes qui nous servaient. Je ne mis pas longtemps pour me rendre compte que la collation était conçue spécialement pour moi, puisque Joseph Ratzinger se faisait apporter de l'eau qu'il sirotait lentement, me donnant ainsi le temps de terminer. Je lui demandai pourquoi il ne goûtait pas ces délicieux gâteaux, mais il se déroba courtoisement, avançant un petit mensonge: «Vous voyez, cher docteur, il est préférable que je ne mange pas de pâtisseries». Exigeant et austère avec lui-même, mais plein d'attention aux autres qui ne remarquent presque jamais sa capcité constante de mortification: il est comme cela, Joseph Ratzinger.

Quand a eu lieu votre première rencontre avec lui après l'élection comme pape?

Lors de l'audience sur la place Saint-Pierre. Il m'avait invité après la publication du livre Perché credo, écrit avec Andrea Tornielli. Il me donna l'accolade et je trouvai le courage de lui demander si le temps n'était pas venu de mettre à jour Entretiens sur la foi. «Mais comment ferons-nous?» me demanda-t-il. «Comme la dernière fois» ai-je dit. «Sainteté, si vous me donnez trois jours ... ».
« Vittorio» m'interrompit-il en souriant, «comment puis-je vous donner trois jours, si personne ne laisse trois heures de trêve au pape? ».

Et la dernière rencontre?

Il y a quelques mois, en tant qu'émérite. Encore une fois, l'occasion a été la publication d'un livre de moi et l'initiative est de lui, parce que depuis qu'il est pape, je n'ai pas trouvé le courage de faire le premier pas. Il m'a reçu à Mater Ecclesiae, le petit bâtiment dans les jardins du Vatican où se trouvait le couvent de religieuses cloîtrées souhaitées par Jean-Paul II.

Comment vit Benoît XVI à présent?

Parmi ses livres, le piano, la musique: Mozart, Beethoven, Bruckner ... il reçoit quelques hôtes et s'occupe de la correspondance qui lui arrive du monde entier. J'ai vu aussi deux journaux sur son bureau: le Corriere della Sera, et le quotien bavarois Süddeutsche Zeitung. Le soir, il regarde TG1. La petite villa est un lieu lumineux, plein de fleurs, qui communique la paix. Benoît XVI est entouré de respect et d'affection.
Avec lui , il y a toujours les memores domini de C&L et son secrétaire, Mgr Georg Genswein, quand il n'est pas occupé avec le Pape François.

C'est justement le père Georg qui l'an dernier, alarma un peu tout le monde en disant que Benoît XVI est comme une bougie qui s'éteint lentement.

Dans notre dernière rencontre, nous nous sommes entretenus jusqu'après 13 heures. J'espérais que nous pourrions déjeuner ensemble, au contraire, j'ai été congédié pour ne pas le fatiguer et je ne sais pas s'il mange, et quoi. Benoît, aujourd'hui, est très maigre, même à la maison il s'appuie sur un déambulateur, et pour prendre un peu l'air dans le jardin , il est poussé sur un fauteuil roulant (??). Mais dans le dialogue entre nous, il s'est réaffirmé comme un homme à l'esprit hors du commun, à la conversation lucide, passionnée et attachante. Ce n'est pas par hasard si l'année dernière, il a suivi de près la publication d'un livre-interview et d'une biographie.
La métaphore avec la bougie colle bien, mais, aussi frêle qu'elle soit, la lumière qui en émane est toujours éblouissante.