Benoit-et-moi 2017
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La question de la vérité chez Benoît XVI

A quelques jours de l'entrée dans la Semaine Sainte, Aldo Maria Valli relit Benoît XVI, et en particulier son "Jésus de Nazateth" (7/4/2017)

Une très belle réflexion, qui confirme ce que disait son frère Georg dans sa "carte d'anniversaire" que j'ai traduite hier (90ème anniversaire: les souhaits de Georg):

Beaucoup de personnes trouvent dans tes paroles force et orientation, et les accueillent avec curiosité et ouverture.

La dernière autorité qui, sur la question de la vérité, nous a interpelés directement, nous mettant face au drame qui naît du fait de renoncer à sa recherche, a peut-être été le pape Benoît XVI.

Au cours de son pontificat tout entier, le pape émérite actuel n'a cessé de combattre une bataille pour la vérité. Non seulement pour montrer que la vérité existe, et a le visage de Jésus, mais pour demander à chacun de ne pas renoncer à sa recherche. Parce que, nous a-t-il dit, l'homme qui cesse de chercher la vérité n'est plus authentiquement humain, mais il l'est moins. Parce que quand nous soutenons qu'à travers la raison humaine, nous ne pouvons pas lever le regard vers un horizon de vérité, mais seulement nous contenter d'un compromis entre des fragments de vérité, c'est comme si nous nous amputions nous-mêmes des facultés les plus précieuses et les plus belles que nous avons.

Pour retrouver le désir de l'infini.

Aldo Maria Valli
6 avril 2017
Ma traduction

* * *

«Is Truth Dead?». La question, en lettres rouges sur un fond noir, remplit toute la couverture de «Time».
«La vérité est-elle morte?».

Après la défaite d'Hillary Clinton et l'élection de Donald Trump, aux Etats-Unis, les médias ont certainement réfléchi à ce sujet. Les organes de presse les plus influents ont non seulement soutenu Hillary, mais ils ont dépeint Donald Trump comme inadéquat et imprésentable. Sauf que les électeurs ont choisi Donald. Faisant ainsi piètre figure, plaçant le système d'information sur le banc des accusés et poussant Arthur Sulzberger jr., éditeur du «New York Times» à l'avant-garde dans le soutien d'Hillary, à présenter publiquement des excuses aux lecteurs pour la mauvaise couverture de la course à la Maison blanche.

Mais, au-delà de la situation politique et sociale des États-Unis, la question de «Time» a une portée qui offre un point de départ pour une réflexion plus générale.

Dans ce monde si riche d'informations et si connecté, pouvons-nous vraiment prétendre connaître la vérité? Et même, croyons-nous encore à la possibilité de connaître la vérité?

Il n'est pas difficile de s'apercevoir que le résultat le plus paradoxal de l'abondance d'informations et de l'interconnexion croissante est précisément le sentiment, très répandu, que la vérité nous échappe. Devant chaque fait, surtout quand il nous touche beaucoup du point de vue émotionnel pour son caractère dramatique, désormais la première question qui vient à l'esprit est: mais les choses se sont-elles vraiment passées comme on nous le raconte? Toutefois, la question ne nous incite pas à devenir des chercheurs de la vérité. Puisqu'au fond de nous, nous pensons que la seule réponse que nous puissions donner est que la vérité n'existe pas, nous renonçons dès le départ à l'entreprise.

La question de la vérité est au cœur de la pensée de chaque homme, à chaque époque. Mais aujourd'hui, au moins en ce qui concerne la culture occidentale, c'est comme si nous avions levé le drapeau blanc. Dominés par le subjectivisme (pour lequel n'est «vrai» que ce que l'individu éprouve à un moment donné), soumis au relativisme (qui nous dit que la vérité absolue n'est pas imputable à la raison humaine, qui peut seulement se contenter d'une médiation difficile entre des vérités multiples et diverses), bombardés d'informations qui s'accumulent, la plupart du temps de façon chaotique, et appelés à stocker une quantité sans précédent de faits, nous arrivons à une seule conclusion, décourageante: la vérité non seulement n'existe pas, mais tout simplement n'est pas pour nous. Nous devons nous résoudre à vivre dans l'obscurité.

La dernière autorité qui, sur la question de la vérité, nous a interpelés directement, nous mettant face au drame qui naît du fait de renoncer à sa recherche, a peut-être été le pape Benoît XVI.

Au cours de son pontificat tout entier, le pape émérite actuel n'a cessé de combattre une bataille pour la vérité. Non seulement pour montrer que la vérité existe, et a le visage de Jésus, mais pour demander à chacun de ne pas renoncer à sa recherche. Parce que, nous a-t-il dit, l'homme qui cesse de chercher la vérité n'est plus authentiquement humain, mais il l'est moins. Parce que quand nous soutenons qu'à travers la raison humaine, nous ne pouvons pas lever le regard vers un horizon de vérité, mais seulement nous contenter d'un compromis entre des fragments de vérité, c'est comme si nous nous amputions nous-mêmes des facultés les plus précieuses et les plus belles que nous avons.

Dans quelques livres consacrés à l'enseignement de Benoît XVI («La verità del papa», en 2010, et «Il pontificato interrotto», de 2013), j'ai essayé d'illustrer la bataille de Joseph Ratzinger à l'appui du droit-devoir de s'interroger généreusement sur la vérité. Dans ses discours, en fait, la question revient encore et encore, comme on peut le voir, par exemple, dans le livre «Jésus de Nazareth. De l'entrée à Jérusalem à la Résurrection», dont la lecture est particulièrement appropriée en ces jours, tandis que nous nous préparons à vivre le dimanche des Rameaux et la Semaine Sainte.

Devant la question du pragmatique Pilate «Quid est veritas?» posée avec tout le scepticisme typique du politique qui ne croit pas aux absolus mais seulement à l'opportunité concrète d'un choix, Benoît XVI se demande à son tour: «Qu'est-ce que la vérité, alors? Pouvons-nous la reconnaître? Peut-elle entrer comme critère, dans nos pensées et notre volonté, dans la vie de l'individu et celle de la communauté?» (éd. du Rocher, 2011, pp 219 et suivantes).

Face à la la question fatale, répond Ratzinger, l'homme d'aujourd'hui, désormais, s'appuie seulement sur la science empirique. Étant donné que la pensée est devenue faible ou très faible, et que les idéologies politiques elles-mêmes apparaissent désormais comme des ombres sans consistance, que nous reste-t-il? Mais la science, en réalité, que nous garantit-elle?

Dans le livre, Benoît XVI cite le cas du généticien Francis S. Collins, chef de l'équipe de chercheurs parvenus au grand objectif de déchiffrer le génome humain (p. 222). Nommé par le même Ratzinger membre de l'Académie Pontificale des Sciences, Collins est un croyant pour qui l'évolutionisme d'empreinte darwinienne est insuffisant pour expliquer l'homme dans sa totalité de corps et d'âme. C'est vrai, dit le scientifique américain, que nous avons tous quelque chose en commun avec les singes anthropomorphes, mais à l'origine de tout, il y a beaucoup plus: il y a un Dieu qui dès le début a créé non seulement les choses, mais les lois de la vie. Il a créé la vie pour qu'elle soit justement telles qu'elle est.

Ce que fait Collins, c'est une tentative précieuse de réunir science physique et métaphysique, science empirique et mystère de l'âme. Toutefois, note Benoît XVI, nous devons admettre que la possibilité de lire dans le code génétique, «la mathématique grandiose de la création» ne nous met pas en face de la vérité. On peut dire, tout au plus, que la «vérité fonctionnelle» est devenue visible, mais la vérité profonde sur nous-mêmes, sur qui nous sommes, d'où nous venons, dans quel but nous sommes au monde et sur ce qui est le bien et le mal, «celle-là, malheureusement, on ne peut pas la lire de cette façon». Et même, commente Ratzinger, «la connaissance croissante de la vérité fonctionnelle semble plutôt aller de pair avec un aveuglement croissant pour la "vérité" elle-même, pour la question sur ce qui est notre vraie réalité et ce qui est notre but réel».

Alors?

La réponse de Benoît XVI est nette. Si Pilate, le pragmatique et sceptique Pilate, que nous pouvons voir comme l'image de nous-mêmes, estime que la question de la vérité est insoluble (ce qui explique pourquoi, dans l'action politique, il se fie à la logique du pouvoir, de son point de vue unique vérité), le chrétien doit affirmer que non seulement la vérité existe, mais qu'elle est reconnaissable. La vérité est Dieu qui s'est fait reconnaître en Jésus-Christ, car «en Lui, Dieu est entré dans le monde, et a ainsi dressé le critère de la vérité au coeur de l'histoire» (p. 222).

C'est une affirmation sur laquelle on ne réfléchira jamais assez. Parmi les chrétiens eux-mêmes, on insiste, et à juste titre, sur le fait que Dieu, qui s'est rendu reconnaissable en Jésus, est témoin d'une logique opposée à celle du monde (la faiblesse à la place de la force, le sacrifice de soi à la place de la domination, la bonté à la place de la cruauté), mais celle-ci, après tout, est une conséquence d'ordre moral par rapport à la nouveauté fondamentale de la venue de Dieu au milieu du monde.

La nouveauté fondamentale est qu'avec Jésus nous est donnée la clé de lecture de tout. Grâce à Lui, qui est Dieu qui s'est rendu visible, nous ne sommes plus aveugles. Grâce à Lui nous avons une carte d'identité qui nous dit non seulement qui nous sommes, mais pourquoi nous le sommes.

Tel est le sens profond de la rédemption, un concept qui dans l'Eglise d'aujourd'hui est peut-être laissé un peu trop au second plan.

Benoît XVI le souligne efficacement: «Disons-le: la non-rédemption du monde consiste précisément dans la non-déchifrabilité de la création, dans la non-reconnaissance de la vérité, une situation qui conduit alors inévitablement à la domination du pragmatisme, et de cette manière, fait en sorte que le pouvoir du fort devienne le dieu de ce monde».

Je le répète: c'est un point sur lequel nous ne réfléchirons jamais assez. Parfois, nous croyants, apeurés ou, au moins, rendus timides et désorientés devant la prévalence du subjectivisme et du relativisme, finissons par soutenir un discours d'ordre moral (la solidarité opposée à l'égoïsme, le sentiment de fraternité opposé à celui de l'hostilité, l'esprit du pardon opposé à celui de la vengeance) qui est extrêmement important, mais risque de rester sans fondement s'il n'est pas centré sur le discours lié à la vérité de Dieu. Vérité qui, en Jésus et avec Jésus, s'est rendue reconnaissable à l'homme et est devenu la clé de lecture de l'histoire, entendue à la fois comme l'histoire de chaque personne et la grande histoire du monde. Ainsi, privée de son fondement sur la vérité, la proposition chrétienne risque facilement de tomber dans une certaine forme de moralisme.

Aujourd'hui, comme le père et le grand-père que je suis, je me demande: comment puis-je faire, je ne dis pas pour enseigner la vérité, mais au moins pour essayer de transmettre le goût de la recherche de la vérité? Comment puis-je faire pour dire aux plus jeunes que moi qu'il vaut la peine de s'engager dans la recherche, et que renoncer au départ n'est pas une victoire, mais une défaite de la raison?

Pour répondre, je renvoie à nouveau à Benoît XVI, et en particulier au discoursqu'il adressa, le 14 Décembre 2012, à plusieurs nouveaux ambassadeurs accrédités auprès du Saint-Siège.

Ce jour-là, après avoir soutenu que l'éducation occupe une place de premier plan parmi les défis de notre temps, que la famille et l'école, face à la diffusion des réseaux sociaux, ne semblent plus le terrain naturel où vivre le processus éducatif, que l'autorité est contestée partout et que, malheureusement, la compétence de certains enseignants «n'est pas exempte de partialité cognitive et de carence anthropologique», Papa Ratzinger parvient à la conclusion, en termes non équivoques, qu' «il est donc nécessaire d'éduquer dans la vérité et à la vérité».

Je crois que chaque éducateur doit assimiler ces mots. La rectitude du cœur et de l'esprit, dit Benoît XVI, est certainement très importante, mais les jeunes, avant tout, ont besoin d'être aidés à élever le regard, à la recherche de la vérité sur eux-mêmes, sur la création, sur la vie.

«Il faut leur apprendre que tout acte que pose la personne humaine doit être responsable et cohérent avec son désir d’infini, et que cet acte accompagne sa croissance en vue de la formation à une humanité toujours plus fraternelle et libérée des tentations individualistes et matérialistes».

Le désir d'infini. Quelle expression magnifique!

Voilà ce qui fait vraiment la différence. Voilà ce que l'éducateur, certes sans arrogance mais aussi sans se plier au sentiment commun, devrait chercher à transmettre. Parce que le désir de l'infini existe chez l'homme. Il ne s'agit pas de l'insérer de force: nous devons seulement le susciter.

Et je le vois bien. dans les yeux de mes enfants, et même dans ceux de mon petit-fils de deux ans et de ma petite-fille d'un an et demi.