Benoit-et-moi 2017
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Les blogs "de" Benoît XVI

Formidable réflexion d'Armin Schwibach, qui s'interroge en particulier sur la multitude de blogs éclos sous Benoît et qui ont aujourd'hui disparu (9/2/2017)

>>> Armin Schwibach sur mon site (en particulier ce très beau récit de sa visite à Mater Ecclesiae, en mars 2014: "Sur la montagne avec Benoît" )

>>> Voir aussi: Benoît XVI, les blogs, et la "réinformation" (Raffaella)

[Aujourd'hui] les articles et les commentaires sont très nombreux mais, au fond, parlent tous le même langage et celui qui en a lu un les a tous lus. Un blog qui se contente de reproduire des phrases cherchant à produire de l'effet n'a pas de raison d'exister.
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Là où Benoît XVI représentait l'incarnation de ce que le monde a combattu, avec pour conséquence que se rangeaient aux côtés du pape ceux qui tenaient à la vérité et qui s'appropriaient sa devise " Coopérateurs de la vérité " pour en faire le fondement de leur foi, François est le pape " qu'on connaît " parce que, de toutes façons, on connaît déjà le monde.

Naissance et déclin de la « blogocèse »

Si Jean-Paul II était l’homme des images et de la télévision, Benoît XVI devint rapidement le pape d’Internet. Aujourd’hui, on utilise plutôt Twitter.

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A. Schwibach
Original en allemand
Traduction par Isabelle

Le pontificat de Benoît XVI fut aussi l’époque où les catholiques, simples fidèles, prêtres et religieux, se sont mis à voler de leurs propres ailes sur internet. Une des raisons à cela est de nature purement extérieure : les possibilités techniques d’une présence dans l’océan, de plus en plus grand et de plus en plus insondable, du Web mondial se sont simplifiées. Chacun a pu, sans de trop grosses difficultés et à moindre coût, recourir à cette multiplicité de ressources. Ce qui s’annonçait, c’était l’interactivité et, plus uniquement, la simple consommation d’un contenu. Beaucoup de blogs ont vu le jour, d’abord comme des plateformes sur lesquelles on pouvait publier son propre avis, – et cela, dans les desseins les plus divers.

Très vite toutefois, une page d’internet, au départ très personnelle et destinée en fait seulement à un cercle restreint – famille, amis, connaissances et collègues – a pu devenir le lieu d’un échange et d’une réflexion de plus grande ampleur. On produisit des textes, de manière spontanée ou en réaction à des événements qui avaient lieu dans la société ou dans les médias traditionnels, les médias qu’on appelle « main stream ». Pour beaucoup de catholiques, cette réalité de l’internet devint une image d’Eglise : une relation engagée et intelligente avec autrui, toujours exposée au danger d’une trop grande et gênante présence de l’individu, des communautés qui se trouvaient. Très vite, on forgea pour cela – en combinant les mots « blog » et « diocèse » – le concept de « blogocèse », une communauté ecclésiale, née au sein d’internet, communauté de perspectives catholiques et de vie de foi concrète.

Ce sentiment communautaire s’est concentré au premier chef autour de la figure de Benoît XVI. Si Jean-Paul II avait été le pape des images et de la télévision, Benoît XVI, l’homme de la parole et du Logos, allait devenir très vite le pape d’internet, car ce qui était à l’avant-plan, c’était la doctrine de la foi. Internet permettait d’échapper aux frontières spatiales et idéologiques. On pouvait, d’une manière neuve mais profonde, exprimer ce que signifie réellement « être catholique » et ce que les catholiques croient vraiment. Avec Benoît XVI commença pour beaucoup un temps d’Aufklärung («Lumières») catholique, où se respirait à pleins poumons, l’air de liberté dans l’échange que le pape théologien allemand avait insufflé.

La liberté nouvelle de se pencher sur l’essence de la foi, de l’enseignement et de la vérité de l’Eglise catholique était liée alors aussi avec la liberté de se situer par rapport aux formes institutionnelles de l’Eglise qui, jusque-là avaient donné le ton sans retenue. Cela allait de la distance prise à l’égard du « comité central des catholiques allemands » (ZdK) avec ses vieilles rengaines libérales, proférées comme des mantras, jusqu’à la rédaction d’unepétition « Pro Ecclesia » en 2011, en réaction au mémorandum de 144 théologiens. Ce mémorandum, soutenu par des politiciens et des pans entiers de la hiérarchie ecclésiale allemande présentait encore une fois les vieux thèmes bien connus : suppression du célibat, communion pour les divorcés remariés, sacerdoce des femmes, reconnaissance des unions libres et de même sexe comme des formes de vie équivalentes au mariage chrétien, abolition d’une « unification centralisatrice » de la liturgie et bien d’autres.
En réaction à tout cela, « Pro Ecclesia » voulait faire entendre la voix de ceux qui jusqu’ici, pour la plupart, s’étaient tus ou qu’on n’avait simplement pas écoutés. Internet se révéla répondre parfaitement à cette exigence.

Benoît XVI fut un pape « à contre-courant ». Ce courant était poussé contre lui avant tout par le paysage médiatique séculier, qui avait commencé avec le « Panzercardinal » et poursuivi avec le « Rottweiler de Dieu ». On ne cherchait pas à présenter la substance de l’enseignement du pape, mais à donner une image déformée, une « légende noire » du pape allemand « conservateur et réactionnaire », qui devait être démoli, le plus vite et le mieux possible, en même temps que son œuvre. Cela commença avec le discours sur « Foi et raison » de Ratisbonne en 2006 et se poursuivit à travers les divers scandales, dont voici les maîtres-mots : affaire Williamson, abus sexuels dans l’Eglise et enfin Vatileaks I.

La presse mainstream était hostile et ne ratait aucune occasion d’attaquer le pape en tant que personne et en tant qu’institution. S’ajoutait à cela le fait que les services compétents du Vatican laissaient le pape tout seul. Ce n’est que bien tard que l’on comprit qu’à une époque d’information rapide, il ne suffit pas de ne pas réagir trop tard mais qu’il faut encore programmer et coordonner la communication. Ce vide dans la communication fut rempli, à travers le monde entier, par une multitude de blogs, visant chacun son propre pays mais qui avaient tous les yeux fixés sur le pape et sur Rome en ce temps agité de crises. Un combat s’engagea pour la perception vraie du pontificat.

Dans ce contexte, le « Papa Ratzinger Blog », désormais légendaire, a joué, y compris à l’échelle internationale, un rôle de première importance. Il a été fondé en 2007 par Raffaella, originaire du diocèse de Milan. Jour après jour, heure après heure et le plus souvent minute par minute, s’y trouvèrent collectés toutes les informations, articles, commentaires en provenance surtout d’Italie, qui étaient accessibles sur internet et avaient pour objet Benoît XVI et les événements de son pontificat. C’était une époque où les réseaux sociaux comme Facebook et Twitter n’avaient pas encore « explosé » et n’étaient pas encore devenus un phénomène social de masse, une époque où on prenait « le temps de lire ». Raffaella avait réussi à créer de grandes archives de presse qui, en se développant au fil du temps, devinrent un puissant instrument de travail. Des journalistes s’adressaient directement à elle. Ce qui l’intéressait: ne pas laisser se perdre dans le bruit le pontificat, son message et son enseignement et être prête à réagir lorsque les attaques devenaient brutales et en-dessous de la ceinture.

Raffaella avait pour cela une relation très étroite à Benoît XVI et à sa théologie ; cela lui permit de comprendre rapidement qu’un blog d’actualités seul ne suffisait pas. C’est ainsi que vit le jour toute une galaxie de blogs et sous-blogs, souvent avec des thèmes particuliers, qui se penchaient sur l’enseignement du pape, la théologie de Joseph Ratzinger et la vie de l’Eglise à « l’heure bénédictine ». Ces blogs font partie de l’héritage de Benoît XVI et offrent une quantité de matériaux, qui ne seraient, autrement, que difficilement accessibles. Une chose était claire : le journalisme seul ne pouvait venir à bout du pontificat d’un « docteur de l’Eglise », il fallait nécessairement un examen approfondi de sa substance.



Rafaella était au centre de ces blogs. La communauté de ceux qui fournissaient des informations et des utilisateurs qui déposaient un commentaire grandit de jour en jour. Au plus fort des crises, ce fut un instrument indispensable pour s’opposer aux vagues violentes, qui ne cessaient de déferler sur Benoît XVI. Il était, comme on l’a dit, le « pape de la parole ». C’est cela qui convenait aussi parfaitement à l’ère d’internet. Les médias traditionnels n’étaient plus suffisants. Car leurs « informations » n’étaient pas capables de saisir et d’accompagner la complexité du pontificat. Le travail de Raffaella devint une véritable contribution à la diffusion : informations, communication, substance, doctrine de la foi et foi vécue s’emboîtaient les unes dans les autres.



Maintenant, tout a changé, et ce changement a reçu une expression symbolique : le blog de Raffaella, qui pouvait cesser ses activités à partir du 13 mars 2013, a de fait cessé (fin définitive : les JMJ à Rio en 2013) [en fait, pas vraiment!], notamment à cause du lien personnel particulier qui l’attachait à Benoît XVI. Pour des raisons très différentes, cela ne vaut pas seulement pour Raffaella. François est le « pape des gestes », la star médiatique, le chouchou de la presse. Aussi Raffaella peut-elle dire aujourd’hui : « Un blog comme le nôtre a peu de sens en ce moment historique particulier. Les articles et les commentaires – et cela vaut aussi pour les émissions spéciales à la télévision – sont très nombreux mais, au fond, parlent tous le même langage et celui qui en a lu un les a tous lus. Un blog qui se contente de reproduire des phrases cherchant à produire de l’effet n’a pas de raison d’exister. Il y a twitter pour cela. Un espace pour des photos a encore moins de sens puisqu’il y a Facebook et Instagram. Des contributions qui viseraient à un approfondissement seraient très difficiles, vu la confusion que crée ce climat. Nous regardons ce qui se passe par la fenêtre et essayons de faire tout ce qui est possible pour conserver le souvenir du lumineux pontificat de Benoît XVI.

Ce qu’il y quatre ans encore on avait appelé « blogocèse » n’existe plus. A l’étranger aussi, de grands et celèbres bloggers se sont tus. Celui qui clique sur d’anciens liens peut constater combien les entrées s’y font rares. Et beaucoup de blogs ont purement et simplement disparu du net. Il y a encore ceux qui dans la situation nouvelle veulent continuer malgré tout et tentent de résoudre une sorte de quadrature du cercle, aussi bien en ce qui concerne ce qui se passe à Rome que la perception personnelle de ce qui se joue souvent dans l’Eglise néoromaine. Il y a une rupture qui crève les yeux dans l’image du pape imposée par les medias. Grossièrement dit : François a les medias de son côté. Ceux-ci s’intéressent toutefois de moins en moins à l’Eglise et à la foi, mais seulement à croquer le « révolutionnaire sur le trône pontifical ». Et, ce qui est « révolutionnaire » est identifié dans sa ressemblance à ce que le monde d’une certaine manière offre déjà. De « qui suis-je pour juger ? » en passant par les « lapins qui se reproduisent trop », jusqu’ au « Dieu qui n’est pas catholique » – le monde tire, pour le pape, un feu d’artifice, car « il est l’un de nous ».

Cette vision a-critique et indifférenciée implique que les contenus ne comptent pas, mais que l’efficacité des slogans passe avant tout. François est le pape sur lequel le monde projette sa vision purement horizontale. Toute tentative d’un exposé approfondi et adéquat est condamnée à échouer là-dessus : il n’est ni entendu ni voulu. Là où Benoît XVI représentait l’incarnation de ce que le monde a combattu, avec pour conséquence que se rangeaient aux côtés du pape ceux qui tenaient à la vérité et qui s’appropriaient sa devise « Coopérateurs de la vérité » pour en faire le fondement de leur foi, François est le pape « qu’on connaît » parce que, de toutes façons, on connaît déjà le monde. L’appel de Benoît XVI à aller aux racines du christianisme et de la foi a résonné et demeure déterminant pour « un petit reste ». L’histoire montrera en quelle direction s’avance la barque de l’Eglise, lorsque les thèses pseudo-révolutionnaires se seront évaporées dans le néant.