Benoit-et-moi 2017
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Une lecture "spirituelle" du message de Benoît XVI

Loin de toutes les polémiques et les insinuations mesquines de certains vatianistes, Aldo Maria Valli propose un très beau commentaire au message envoyé par le pape émérite pour les obsèques de son ami Meisner. (21/7/2017)

>>> Voir aussi:
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Obsèques de Meisner: l'adieu de Benoît XVI
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Obsèques de Meisner: l'adieu de Benoît XVI (II)

Aldo Maria Valli ne fait aucune allusion à une quelconque dimension polémique du message - impliquant la situation ACTUELLE de l'Eglise et donc, implicitement, une critique à son successeur (cf. La barque de Pierre dans la tempête).
Il évite aussi le piège consistant à dénoncer la "pathétique tentative" des ennemis de François d'"instrumentaliser" les propos du Pape émérite à leur profit (cf. Le pompier dans ses oeuvres).
Ce qui est certain, c'est que durant les huit années de son Pontificat, les propos de Benoît XVI ont très souvent été interprétés sur le court terme, en faisant référence à l'actualité récente (un exemple éloquent, ses propos sur Fatima - relevés par le même Valli cf. Fatima et les paroles des 3 papes -, lors de son pélerinage de 2010; mais je me souviens qu'a chaque angélus, les journalistes italiens s'évertuaient à trouver des résonnances dans la "petite" chronique politique italienne du moment), alors que la réflexion du Saint-Père va presque toujours bien au-delà de l'immanent pour se projeter dans l'éternité.
Il n'y a d'ailleurs pas forcément de contradiction entre la lecture "immanente" et celle, d'une grande spiritualité, proposée par Valli. Sachons lui donc gré d'avoir débarrassé le lumineux message de sa gangue polémique, en lui restituant ce qui est sans doute sa vraie portée.

Le souvenir de Meisner et les signaux de Ratzinger

Aldo Maria Valli
19 juillet 2017
Ma traduction

* * *

Je ne sais pas si vous êtes d'accord, mais je trouve que le message de Benoît XVI en mémoire de son ami Joachim Meisner, en plus d'être très beau par la simplicité, la profondeur et l'élégance, contient plusieurs messages que Joseph Ratzinger a voulu communiquer et dont la portée va bien au-delà de la mémoire d'un pasteur si apprécié par le pape émérite.

Tout en exprimant sa profonde affection pour le cardinal mort le 5 Juillet, Ratzinger nous invite à réfléchir sur certains points qui nous disent aussi beaucoup sur lui, Benoît XVI, sur la façon dont il voit l'Eglise aujourd'hui, la façon dont il traverse cette phase de sa vie et les priorités que les fidèles doivent avoir à l'esprit.

Alors lisons les paroles de Joseph Ratzinger, puis mettons en évidence certains points.

Le message de Benoît XVI

En cette heure, alors que les fidèles de l'Eglise de Cologne, et bien au-delà, font leurs adieux au cardinal Joachim Meisner, mon cœur et mes pensées sont avec vous et je suis heureux d'envoyer, à la demande du cardinal Wölki, quelques mots en souvenir.

Quand, mercredi dernier, j'ai appris par un appel téléphonique la mort du cardinal Meisner, tout d'abord je n'ai pas pu le croire. La veille nous avions parlé au téléphone. Sa voix était pleine de gratitude parce qu'il était désormais en vacances, après que le dimanche précédent il eût participé, à Vilnius, à la béatification de l'évêque Teofilius Matulionis. Il a toujours été caractérisé par l'amour des Églises des pays voisins d'Europe de l'Est, qui ont subi la persécution communiste, et par la gratitude pour le courage avec lequel elles ont enduré ces épreuves à l'époque. Ce n'est donc pas une coïncidence si la dernière visite de sa vie a été consacrée à un témoignage de foi dans ces terres.

Ce qui m'a particulièrement frappé dans les récentes conversations avec le défunt cardinal, c'est la sérénité, la joie intérieure et la confiance qu'il avait acquises. Nous savons que pour lui, voué avec passion au soin des âmes, il était difficile de quitter son office, et justement en un moment où l'Église a besoin de pasteurs qui savent résister à la dictature de l'esprit du temps ("Zeitgeistes"), et vivre et penser avec décision en conformité avec leur foi.

Mais j'ai été encore plus ému par le fait que, dans la dernière période de sa vie, il ait appris à prendre les choses plus sereinement et qu'il vive de plus en plus dans la conviction profonde que le Seigneur n'abandonne jamais son Eglise, même si parfois la barque s'est remplie presque au point de chavirer.

Deux choses l'ont rendu de plus en plus heureux et confiant dans la dernière période de sa vie: d'une part, il m'a répété combien cela le remplissait d'une joie profonde de voir des jeunes, surtout de jeunes hommes, faire l'expérience de la grâce du pardon dans le sacrement de la confession - le don d'avoir trouvé cette vie que seul Dieu peut leur donner.

L'autre chose qui le touchait toujours à nouveau et lui donnait une grande joie, c'est la diffusion silencieuse de l'Adoration Eucharistique. Aux Journées Mondiales de la Jeunesse à Cologne, sa principale préoccupation était l'Adoration Eucharistique, un moment où seul le Seigneur parle au cœur. Plusieurs experts en travail pastoral et en liturgie pensaient qu'un tel moment de contemplation du Seigneur ne pouvait pas être réalisé avec un si grand nombre de personnes. Certains considéraient même l'adoration eucharistique en tant que telle comme obsolète, parce que le Seigneur veut être reçu dans le Pain Eucharistique et non pas contemplé.

Mais le fait que ce pain ne puisse pas être mangé comme un aliment ordinaire, et que « recevoir » le sacrement de l'Eucharistie implique toutes les dimensions de notre existence - que le recevoir doit être l'adorer - est devenu de plus en plus clair.

Ainsi, le moment de l'adoration eucharistique au cours des Journées mondiales de la jeunesse est devenu une expérience intérieure qui est restée inoubliable, et pas seulement pour le cardinal. Cet évènement est resté pour toujours présent en lui, comme une grande lumière.

Quand, le dernier matin, le cardinal Meisner n'a pas paru pour la messe, il a été retrouvé mort dans sa chambre. Le bréviaire avait glissé de ses mains. Il est mort en priant, les yeux tournés vers le Seigneur, dans le dialogue avec lui. La mort qui lui a été accordée, nous montre une fois encore comment il a vécu: en présence du Seigneur et en conversation avec lui.

Remettons donc avec confiance son âme à la bonté de Dieu.
Seigneur, nous Te remercions pour le témoignage de Ton serviteur Joachim. Puisse-t-il intercéder pour l'Eglise à Cologne et dans le monde entier.
Requiescat in pace.

Je crois que dans ce message Benoît XVI nous dit beaucoup sur lui-même, ainsi que sur ses préoccupations et ses espoirs pour la foi et l'Église. Chaque mot devrait être analysé, mais je vais me limiter aux concepts qui m'ont le plus frappéé.

À un certain, Joseph Ratzinger dit que «ce n'est pas une coïncidence si la dernière visite de sa vie a été consacrée à un témoignage de foi ».

Confesser la foi, surtout dans les moments les plus difficiles, quand tout semble perdu: ici, il y a un mandat. Si ce n'est pas possible avec les mots et les gestes, si les circonstances empêchent une profession publique, la vie même d'une personne, avec sa fidélité et sa cohérence, peut devenir confession. Spécialement à une époque comme la nôtre, marquée par un processus de sécularisation qui affecte l'Eglise elle-même, c'est le témoignage qui compte, et il faut que les fidèles prêtent attention aux signes que Dieu envoie aux hommes à travers les témoins de la foi.

Je me souviens qu'à cet égard, dans «Jésus de Nazareth», Benoît XVI parle des «signaux faibles que Dieu envoie dans le monde et qui de cette façon rompent la dictature de l'habitude». Ce sont des signaux qui sont non seulement doivent être reçus, mais aussi recherchés, et pour ce faire, il faut garder vivante la sensibilité adaptée. Les personnes en mesure de capter des signaux faibles de Dieu, écrit Benoît XVI dans le livre, «scrutent autour d'eux à la recherche de ce qui est grand, de la vrai justice, du vrai bien», ce sont des personnes «qui ne se contentent pas de la réalité existante et n'étouffent pas l'inquiétude du coeur, cette agitation qui renvoie l'homme à quelque chose de plus grand et le pousse à entreprendre un chemin intérieur».

Un deuxième point important se trouve là où Joseph Ratzinger, parlant de Meisner, met l'accent sur «la sérénité, la joie intérieure et la confiance qu'il avait acquises» dans la vieillesse. Une sérénité, une paix et une confiance que Benoît XVI a certainement cherchées après la renonciation à la papauté, mais que peut-être, pour de nombreuses raisons, il n'a pas encore pleinement atteinte. C'est un trésor que le pape émérite regarde avec un grand désir et continue de chercher dans la prière, la proximité au Seigneur et avec la contribution de personnes amies.

Et ici, lié au précédent, il y a un troisième point important. Il est clair que quand Joseph Ratzinger parle des pasteurs «dqui savent résister à la dictature de l'esprit du temps, et vivre et penser avec décision en conformité avec leur foi», il pense à lui-même et à son expérience de pasteur suprême. Sans vouloir forcer la pensée de Benoît XVI, il semble presque qu'affleure une question: ai-je été capable d'accomplir cette tâche? Ai-je été suffisamment résolu en un temps où l'Eglise a tant besoin d'authentiques pasteurs? Et mon choix d'abandonner le trône de Pierre aura-t-il été utile à cet égard?

Immédiatement après, la figure de Ratzinger lui-même émerge avec clarté. Quand Benoît XVI se dit impressionné par son ami qui, dans la dernière période de sa vie, a appris «à prendre les choses plus sereinement et qu'il vive de plus en plus dans la conviction profonde que le Seigneur n'abandonne jamais son Eglise, même si parfois la barque s'est remplie presque au point de chavirer», là, il semble que, bien qu'à contre-lumière, nous voyons Benoît XVI, et nous le voyons justement au moment à la fois dramatique et libérateur du renoncement, un choix fait avec une totale confiance dans le Seigneur qui n'abandonne jamais l'Eglise, même si le désastre, d'un point de vue humain, semble si proche.

La référence à la barque renvoie directement aux paroles prononcées par Joseph Ratzinger le 18 Avril 2005, dans la «Missa pro eligendo romano pontifice» dans ce qui, à la veille du conclave, s'avérera presque être le «manifeste électoral» du futur pape:

«Combien de vents de la doctrine avons-nous connus au cours des dernières décennies, combien de courants idéologiques, combien de modes de la pensée... La petite barque de la pensée de nombreux chrétiens a été souvent ballottée par ces vagues - jetée d'un extrême à l'autre: du marxisme au libéralisme, jusqu'au libertinisme; du collectivisme à l'individualisme radical; de l'athéïsme à un vague mysticisme religieux; de l'agnosticisme au syncrétisme et ainsi de suite. Chaque jour naissent de nouvelles sectes et se réalise ce que dit saint Paul à propos de l'imposture des hommes, de l'astuce qui tend à les induire en erreur (cf. Ep 4, 14). Posséder une foi claire, selon le Credo de l'Eglise, est souvent défini comme du fondamentalisme. Tandis que le relativisme, c'est-à-dire se laisser entraîner "à tout vent de la doctrine", apparaît comme l'unique attitude à la hauteur de l'époque actuelle. L'on est en train de mettre sur pied une dictature du relativisme qui ne reconnaît rien comme définitif et qui donne comme mesure ultime uniquement son propre ego et ses désirs».

La barque est ballottée par les vagues, elle semble à la dérive, mais le Seigneur ne permet pas le naufrage et n'envoie jamais une épreuve sans donner la force pour l'affronter. Juste au moment où le naufrage semble le plus proche, il faut bien élever les antennes, à la recherche de ces «signaux faibles» que Dieu ne se lasse pas d'envoyer, et c'est le devoir de tous, religieux et laïcs, et tous doivent s'aider à devenir «radio- amateurs» de l'âme, capables de se mettre sur la longueur d'onde de Dieu.

Et maintenant, nous arrivons à l'adoration eucharistique. Aux Journées Mondiales de la Jeunesse 2005 à Cologne, j'étais présent en tant qu'envoyé spécial, et je me souviens bien de ce soir-là: l'adoration aucharistique de centaines de milliers de jeunes réunis pour la veillée sur l'esplanade de Marienfeld fut un fait sans précédent. Le silence était total, le recueillement absolu. Ces garçons et ces filles lancèrent un message puissant. Agenouillés, en prière, ils démontrèrent de la façon la plus efficace que l'adoration eucharistique n'est pas quelque chose de dépassé, mais est au cœur de l'expérience de la foi, et ils démentirent les prétendus experts en liturgie et pastorale selon lesquels l'expérience échouerait.

Mais pourquoi Benoît XVI, évoquant à nouveau cette veillée de prière avec les jeunes à Cologne, tient-il à souligner à propos de l'Eucharistie «que ce pain ne puisse pas être mangé comme un aliment ordinaire, et que "recevoir" le sacrement de l'Eucharistie implique toutes les dimensions de notre existence - que le "recevoir" doit être l'adorer - est devenu de plus en plus clair» ?

Ces annotations, synthétiques mais précises, sont à leur tour des signaux que Benoît XVI envoie. Et ils nous rappellent une autre intervention de Joseph Ratzinger. Je me réfère à la brève allocution prononcée a braccio le 28 Juin de l'année dernière, à l'occasion du soixante-cinquième anniversaire de son ordination sacerdotale [cf. benoit-et-moi.fr/2016/benot-xvi/65e-anniversaire-de-lordination].
Ce jour-là, il n'était pas prévu qu'après les paroles de François, Benoît XVI parle aussi, mais le Pape émérite (qui retournait au palais apostolique pour la première fois depuis la renonciation) parla et à un certain point, proposa une réflexion centrée là aussi sur l'Eucharistie. Rappelant le mot qu'un ami ordonné le même jour (il s'appelait Berger) voulut sur son image commémorative, «Eucharistomen» dit-il:

«"Eucharistomen": en cet instant, l'ami Berger a voulu faire allusion non seulement à la dimension du 'merci' humain, mais naturellement à la parole plus profonde qui se cache, qui apparaît dans la Liturgie, dans l'Écriture, dans les mots «gratias agens benedixit Fregit deditque». "Eucharistomen" nous renvoie à cette réalité de l'action de grâce, à cette nouvelle dimension que le Christ a donnée. Il a transformé en action de grâce, et ainsi en bénédiction, la croix, la souffrance, tout le mal du monde. Et ainsi fondamentalement, il a transsubstantié la vie et le monde et nous a donné et nous donne chaque jour le pain de la vraie vie, qui dépasse le monde grâce à la force de Son amour. A la fin, nous voulons nous insérer dans ce «merci» du Seigneur, et ainsi recevoir réellement la nouveauté de la vie et aider à la transsubstantiation du monde: que ce soit un monde non de mort , mais de vie; un monde dans lequel l'amour a vaincu la mort».

Je me suis toujours demandé toujours pourquoi ce jour-là, avec tellement de précision, Benoît XVI a voulut se focaliser sur l'Eucharistie et la transsubstantiation. Et maintenant, dans le message pour l'ami Meisner, voilà une nouvelle référence au pain eucharistique qu'«on ne peut pas manger comme un aliment quelconque» et devant lequel on ne peut renoncer à l'adoration. Une insistance qui ne peut pas être fortuite.

J'ai vu que certains commentateurs, non sans malice, se sont demandés si le message en mémoire de Meisner avait été écrit par Benoît XVI. Pour moi, non seulement je suis tout à fait sûr qu'il est de son cru, mais je pense qu'il est très important de nous interroger sur les signaux que Ratzinger a voulu nous envoyer.