Aquarius: l'inacceptable chantage moral

L'analyse de Stefano Fontana (*), qui pose un certain nombre de questions nécessaires dont à ce jour nous pouvons seulement soupçonner les réponses (12/6/2018)

>>> La vérité sur l'Aquarius


(*) Stefano Fontana, universitaire, journaliste, écrivain est directeur de l'Observatoire International cardinal Van Thuan sur la doctrine sociale de l'Eglise. En 2007, Benoît XVI le nommait Consultant du Conseil Pontifical Justice et Paix pour le quinquennat à venir.

Le chantage moral est inacceptable.


Stefano Fontana
12 juin 2018
www.lanuovabq.it

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Des événements tels que celui du navire Aquarius et des ports italiens bloqués par le ministre Salvini nous sont présentés, en un chantage moral, comme des questions personnelles de conscience de chacun d'entre nous. Comme si nous étions sur une plage calabraise ou sicilienne et que soudain, nous voyions un réfugié qui, en gesticulant, nous appelle à l'aide. Il est évident que continuer à se promener sur la plage ou à prendre le soleil pendant que l'autre crie à l'aide est une attitude immorale et inhumaine. Un discours similaire est fait pour le navire Aquarius, comme si les Italiens étaient un peuple d'insouciants et d'égoïstes, allongés sur la plage pour prendre un bain de soleil, et qui ne veulent pas répondre à l'appel à'aide d'un groupe de pauvres naufragés.

Vue ainsi, la question se présente comme un chantage moral. Et aussi comme un chantage religieux, quand les ecclésiastiques, comme l'a fait par exemple le Cardinal Ravasi, s'en sont tirés avec un tweet de citation évangélique sur «J'étais un étranger et vous m'avez accueilli» pour condamner comme anti-chrétienne toute politique sérieuse de gouvernance de l'immigration.

Ce type de cadre moral est une distorsion des faits. Dans le cas de l'Aquarius (et pas seulement, nous en faisons l'expérience depuis un certain temps déjà), ceux qui cherchent de l'aide ne sont pas des naufragés comme dans l'exemple qui vient d'être donné, c'est-à-dire qu'il ne s'agit pas de personnes qui ont ont eu un accident soudain en mer, après quoi ils sont venus nous demander de l'aide. Ils ont été amenés là, devant nos côtes, comme beaucoup d'autres l'ont été avant eux.

Ils y ont été amenés par des organisations non gouvernementales qui se sont avérées de connivence avec la criminalité organisée. Dans de nombreux cas, des convois de ce type, qui naviguaient vers des plages autres que celles italiennes, comme la côte espagnole, ont été détournés par ces autorités vers nos côtes. Aujourd'hui, le nouveau président du Conseil espagnol, M. Sànchez, se dit prêt à  accueillir l'Aquarius à  Valence, mais dans le passé, ses prédécesseurs ont fait le contraire.

On peut être sûr que seule une partie minime du chargement humain de l'Aquarius est constituée de réfugiés (malgré le fait que les journaux les appellent ainsi pour mieux réaliser leur chantage moral), c'est-à-dire de personnes qui fuient une guerre ou une persécution politique et qui, dans leur pays, risquaient leur vie. Pourquoi les autres se sont-ils embarqués? Qui a organisé leur voyage, et pourquoi? Pourquoi les autorités des rives méridionales de la Méditerranée les ont-elles fait partir? Une fois accueillis, ils feront tous une demande d'asile, il nous faudra trois ans pour examiner les demandes et, entre-temps, ils seront allées ici ou là, à leur discrétion. On dit que 124 mineurs non accompagnés se trouvent à bord. Qui les a mis là? Qui a payé le voyage? Qu'est-ce qui leur a été promis et par qui? Où vont-ils aller? Une politique d'immigration sérieuse ne peut pas négliger ces aspects. Si elle le faisait, elle serait immorale, alors qu'elle est accusée d'être immorale si elle le fait.

Toute action morale a sa fin en elle-même. Cela signifie qu'on ne doit pas faire le bien dans un but spécifique, pour atteindre un objectif ou pour obtenir un résultat. Mais cela ne signifie pas que l'action morale doit être aveugle, impulsive ou sentimentale et qu'elle ne tient pas compte de la situation qui précède et qui suit l'action morale elle-même. Cela s'applique en particulier à l'éthique publique, dont s'occupe justement l'activité politique.

La politique d'immigration n'est pas comme l'action de quelqu'un qui est sur la plage et qui voit le naufragé agiter les bras et crier. Pour que l'action politique soit bonne, elle doit tenir compte du bien commun dans tous ses aspects. Si des groupes de malfaiteurs, dûment payés pour le faire amènent tous les jours devant ma maison des personnes qui feignent d'être des réfugiés et qui ne le sont pas, si mes voisins, au lieu d'en accueillir certains, envoient devant ma porte aussi ceux qui ont aussi frappé à la leur, alors à présent il y a une queue systématique devant chez moi alors qu'il n'y a personne devant chez lui; si dans cette queue on a infiltré à dessein des gens peu recommandables, des mineurs non accompagnés voués à un sort peu enviable, des femmes pour le trafic humain des marchés de la prostitution ou des jeunes destinés à travailler illégalement pour deux euros par jour.... continuer à ouvrir la porte et à accueillir dans ma maison toute la file d'attente ne serait responsable ni moralement ni politiquement. Il est vrai que notre prochain, ce n'est pas nous qui le choisissons, mais nous ne pouvons pas non plus permettre à quelqu'un d'autre de le choisir pour nous pour des raisons inavouables.

Considérer ce qui se cache derrière ces débarquement aventureux et ne pas seconder les manœuvres politiques et les intérêts qui les animent est un devoir moral qu'on ne peut passer sous silence lorsqu'il s'agit de décider des politiques d'assistance en mer ou d'accueil à terre. L'application du droit humanitaire en mer doit être exercée par tous les pays riverains de la Méditerranée et sans que cela couvre ou justifie le trafic illégal de personnes qu'on fait ensuite passer pour des réfugiés.

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