Chine: le Pape lâche les catholiques persécutés

Le sec désaveu du cardinal Zen par un communiqué du Vatican. Récapitulatif des derniers développements, et le jugement sévère de Riccardo Cascioli (2/2/2018)

 

Le 25 janvier, rare parmi les médias, au moins français à s'en faire l'écho (comme j'ai déjà eu l'occasion de le souligner ICI), <la Bussola> relayait une information inquiétante:

La situation dans les négociations entre la Chine et le Vatican a toujours été nébuleuse, étant donné que les nouvelles vont dans les deux sens et qu'il est difficile de confirmer ce qui est vrai et ce qui ne l'est pas. Mais, donnée par une source fiable, la nouvelle publiée par John Baptist Lin sur AsiaNews le 22 janvier dernier (publiée par les médias nationaux et internationaux) a été accueillie avec beaucoup d'inquiétude, faisant état de la requête d'une délégation du Vatican au vieil évêque de Shantou Mgr Zhuang Jianjian, reconnu par le Saint-Siège, de céder sa place à l'évêque de l'Église patriotique (càd qui dépend du Parti Communiste chinois et non du Saint-Siège) Huang Bingzhang, déjà excommunié et membre de l'Assemblée nationale du Peuple, autrement dit le parlement de la Chine communiste. Mgr Zhuang a rejeté la demande. En outre, la même source de presse cite le cas de Mgr Guo Xijin, évêque titulaire de Mindong (un des bastions de l'Eglise chinoise loyale à Rome) reconnu par le Saint-Siège (et qui a même subi l'emprisonnement pour sa fidélité) qui a été prié par la même délégation de céder sa place à un évêque auxiliaire ou coadjuteur de Zhan Silu, évêque de l'Eglise patriotique et donc soumis au gouvernement communiste.

A ce moment, l'information n'était encore qu'une rumeur, qu'il était possible, en cas de nécessité, de déclasser en simple fake new.

Dans l'intervalle, le 29 janvier, Sandro Magister faisait état d'une audience que le cardinal Zen, qui avait fait tout exprès le voyage à Rome, malgré son grand âge, avait réussi à obtenir du Pape, le 10 janvier, et publiait la très émouvante lettre ouverte qu'il avait adressée aux médias pour confirmer la "rumeur", et rendre compte publiquement de sa démarche

Le bon cardinal Zen avait voulu naïvement attribuer au Pape de "bonnes intentions", citant la réponse de ce dernier à ses interrogations: «Oui, je leur ai dit [à ses collaborateurs du Saint-Siège] de ne pas créer un autre cas Mindszenty». Et dans une interview à <La Bussola>, le 26 janvier, il confiait: «J'ai eu l'impression que le Saint-Père n'était pas favorable à cette reddition complète, à ces compromis sans fondement».

Mais François est coutumier du fait. Quand il accepte, contraint et forcé, de recevoir des hauts prélats venus lui confier leurs inquiétudes, il commence par leur donner, en privé, des gages censés les rassurer, avant que ses actes publics ne viennent contredire sa bienveillance apparente (le cardinal Burke, par exemple, en avait fait l'expérience lors du conflit maltais, même chose pour le cardinal Pell, à propos de la réforme des finances du Vatican, cf. benoit-et-moi.fr/2017/...double-jeu-avec-le-card-burke)
Cette fois encore, le sec communiqué, en date du 30 janvier de la salle de presse du Saint-Siège (dont le ton témoigne suffisamment de l'agacement, pour ne pas dire de la colère, du Pape), est venu balayer les illusions du cardinal Zen, sonnant clairement comme un désaveu sans appel de la part du Pape lui-même:

« Le Pape est en contact constant avec ses collaborateurs, en particulier de la Secrétairerie d’Etat, sur les questions chinoises, et il est informé par eux de façon fidèle et détaillée sur la situation de l’Eglise catholique en Chine et sur les étapes du dialogue en cours entre le Saint-Siège et la République populaire de Chine, qu’il accompagne avec une sollicitude spéciale. Il est surprenant et regrettable que des personnes d’Eglise affirment le contraire, et que soient ainsi alimentées tant de confusions et de polémiques».


Et aujourd'hui, Riccardo Cascioli, qui cache de moins en moins le malaise que suscitent en lui les décisions du locataire de Sainte Marthe, réagit vivement:

La longue marche du Vatican vers la capitulation devant la Chine

Prétendre surmonter le scandale d'une Église "indépendante" en la reconnaissant comme légitime tout court, ce n'est pas de la miséricorde, c'est une capitulation inconditionnelle, c'est de la trahison.


Riccardo Cascioli
www.lanuovabq.it
2 février 2018
Ma traduction


La nouvelle selon laquelle la délégation du Vatican a demandé à deux évêques légitimes de démissionner pour faire place à deux évêques de l'Association patriotique est vraie. Et le pape François connaît et partage tous les mouvements de ses diplomates en Chine. Voilà ce que l'on peut déduire de la sèche réaction du Saint-Siège en réponse à l'évêque émérite de Hong Kong, le cardinal Joseph Zen Ze-kiun: d'abord avec le communiqué de presse du 30 janvier, puis avec la longue interview à Vatican Insider du secrétaire d'État, le cardinal Pietro Parolin.

La nouvelle retentissante de la demande de destitution des deux évêques légitimes avait été annoncée par l'agence Asia News puis confirmée par le cardinal Zen qui, d'abord à la Nuova BQ et ensuite dans son blog, avait rendu compte également de son voyage à Rome pour remettre au Pape François la lettre douloureuse de l'un des deux évêques, Mgr Zhuang Jianjian de Shantou. De la rencontre avec le Pape, le Cardinal Zen avait tiré la conviction qu'il n'avait aucune intention de se diriger vers une reddition totale au régime communiste chinois, comme la délégation du Vatican le laissait au contraire supposer.

Et voilà qu'arrive, ponctuel, le communiqué de la Salle de presse pour rappeler que «le Pape est en contact permanent avec ses collaborateurs, en particulier le Secrétariat d'Etat, sur les questions chinoises, et qu'il est informé par eux de manière fidèle et détaillée sur la situation de l'Eglise catholique en Chine et sur les étapes du dialogue en cours entre le Saint-Siège et la République populaire de Chine, qu'il accompagne avec une attention particulière». Communiqué qui ne cache pas l'agacement envers le cardinal Zen à qui est dédiée la conclusion aigre: «Le fait que le contraire soit affirmé par des gens d'Église alimentant ainsi confusion et polémique, suscite surprise et regret».

Aucune allusion, en revanche, aux deux évêques - confirmation indirecte de la véracité des faits. Renforcée par l'interview du Cardinal Parolin qui, derrière de nombreuses paroles de compréhension et d'appréciation des souffrances endurées par la dite Église souterraine, confirme que c'est cette Église qui devra payer le prix de la normalisation des relations diplomatiques avec le régime chinois. On pourrait déjà trouver à redire au langage excessivement diplomatique du Secrétaire d'Etat qui parle avec la langue de Pékin («Nouvelle Chine» est la définition de la Chine communiste) et, en laissant de côté les dizaines de milliers de catholiques (évêques, prêtres et laïcs) tués ou emprisonnés et torturés dans les Laogai (le goulag chinois), liquide avec un «de graves oppositions et des souffrances aiguës» la scission de l'Eglise due à l'initiative du régime chinois de créer une Eglise nationaliste, détachée du Pape, avec la formation de l'Association patriotique des catholiques chinois.

Parolin s'en prend à ceux qui utilisent des mots comme capitulation, trahison, compromis, qui ont une saveur politique alors que l'Église, dit-il, n'agit que pour des raisons pastorales; c'est pourquoi un autre vocabulaire devrait être utilisé: service, dialogue, miséricorde, pardon, réconciliation, etc.
Personne [?] ne veut nier les bonnes intentions de la Secrétairerie d'Etat, mais le Cardinal Parolin doit aussi se rendre compte que même si les motivations du Saint-Siège sont pastorales, ce que le Saint-Siège conduit est une négociation politico-diplomatique. Et le terme "capitulation" est plus qu'approprié pour ce à quoi nous assistons, parce que le Saint-Siège accorde au régime communiste chinois le pouvoir de nommer des évêques catholiques (ce qui est déjà grave en soi) sans rien avoir en échange, compte tenu du fait que le gouvernement a intensifié sa répression des communautés catholiques ces derniers mois et qu'à partir d'aujourd'hui, 1er février, un nouveau règlement sur les activités religieuses entre en vigueur, qui donnera un tour de vis supplémantaire.

Le cas des deux évêques à destituer est encore plus grave parce que les remplaçants voulus par le gouvernement chinois et approuvés par le Saint-Siège sont à ce jour «non-réconciliés» avec Rome. Autrement dit, ils ne font même pas partie de ceux qui, bien qu'ayant adhéré à l'Association patriotique, ont demandé ces dernières années à être accueillis dans la communion avec l'Église universelle. Un mépris total envers les catholiques qui ont souffert pendant des décennies pour leur fidélité au Pape, et une source de grave confusion. Parce qu'il est légitime de se demander alors si, pour le Saint-Siège, ce sont les évêques, les prêtres et les laïcs qui ont aussi accepté le martyre pour rester fidèles à l'Église qui se sont trompés.

D'autant plus que le Cardinal Parolin lui-même reconnaît que dans les relations avec Pékin «le choix des évêques est crucial», comme il l'a du reste toujours été: en fait, il s'agit du cœur même de la division entre l'Association patriotique, contrôlée par le Parti communiste, et l'Église clandestine.
Bien que depuis les années 90 le Saint-Siège ait eu une attitude très ouverte et dialoguante envers Pékin (contrairement à ce que le Cardinal Parolin soutient), on note aujourd'hui un tournant radical. Jusqu' à présent, l'obstacle était en effet considéré comme l'Association patriotique et la prétention du régime communiste de nommer des évêques, mais aujourd'hui on comprend que pour le Saint-Siège, l'obstacle est malheureusement représenté par l'Église souterraine.

Le Cardinal Parolin cite la mémorable lettre de Benoît XVI aux catholiques chinois (27 mai 2007) pour revendiquer la continuité de la ligne actuelle avec celle des pontificats précédents. Il est vrai que Jean-Paul II et Benoît XVI avaient tous deux clairement exprimé la nécessité d'un chemin de réconciliation entre catholiques et le désir de normaliser les relations avec la Chine; ils avaient clairement assuré que l'Église ne s'intéressait pas au conflit politique et qu'il était possible et nécessaire d'être catholique romain et de bons citoyens chinois, mais dans une référence claire à des principes qui ne peuvent être ignorés et à la valorisation de la souffrance de l'Église persécutée.

Le Cardinal Parolin cite à juste titre le passage de la lettre de Benoît XVI, lorsqu'il dit que «la solution des problèmes existants ne peut être recherchée à travers un conflit permanent avec les autorités civiles légitime»; il oublie cependant de citer la deuxième partie de la phrase:

« ... dans le même temps, une complaisance envers ces mêmes Autorités n'est cependant pas acceptable quand ces dernières interfèrent de manière indue dans des matières qui concernent la foi et la discipline de l'Église».


Et plus loin, se référant à l'Association patriotique, il dit:

«Même la finalité déclarée desdits organismes de mettre en œuvre "les principes d'indépendance et d'autonomie, d'autogestion et d'administration démocratique de l'Église" est inconciliable avec la doctrine catholique qui, depuis les antiques Symboles de foi, professe que l'Église est "une, sainte, catholique et apostolique"».


Et si ce n'était pas encore clair:

«La communion et l'unité — que l'on me permette de le répéter — sont des éléments essentiels et partie intégrante de l'Église catholique: c'est pourquoi le projet d'une Église "indépendante" du Saint-Siège, dans le cadre religieux, est incompatible avec la doctrine catholique».


Prétendre surmonter le scandale d'une Église "indépendante" en la reconnaissant comme légitime tout court, ce n'est pas de la miséricorde, c'est une capitulation inconditionnelle, c'est de la trahison.

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