Conversation entre deux catholiques exemplaires

Il s'agit d'Alessandro Gnocchi et d'Aldo Maria Valli: le premier interroge le second à l'occasion de la sortie d'un recueil des billets écrits par celui-ci pour son blog, sur le Rapport Vigano, dont il a été l'un des destinataires-diffuseurs choisis par l'auteur (23/10/2018)

>>> Le livre est disponible ICI en version Kindle

J'ai traduit dans ces pages plusieurs de ces billets:

 

C'est le second entretien entre les deux hommes durant le mois d'Octobre.
Dans le premier, c'était Aldo Maria Valli qui interrogeait Alesssandro Gnocchi. Cette fois, la situation est inversée.
Le Père Scalese, qui avait lu l'échange, et l'avait prolongé sur son site commentait à juste titre :

Il faut reconnaître que la situation actuelle de l'Église, si critique qu'elle peut paraître terminale, a aussi des implications positives, comme, par exemple, celle de faire se retrouver sur un terrain commun, que l'on pourrait qualifier de "médian", des personnes intellectuellement honnêtes, provenant de rivages opposés, sur des positions qui semblaient inconciliables entre elles jusqu'à récemment. Je parle d'Aldo Maria Valli, d'extraction "progressiste" (autrefois partisan convaincu du cardinal Martini), et d'Alessandro Gnocchi, depuis toujours sur des positions "traditionalistes". Eh bien, ces deux journalistes se sont rencontrés hier pour une interview extrêmement intéressante, qui vaut la peine d'être lue...

On peut dire exactement la même chose de ce second entretien.

L'affaire Viganò raconté dans un livre d'Aldo Maria Valli.
Entretien avec l'auteur - par Alessandro Gnocchi


www.riscossacristiana.it
Ma traduction

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Les éditeurs font généralement la grimace lorsqu'on leur demande de publier un recueil d'articles ou d'essais publiés dans des journaux ou des magazines. Il est vrai qu'aujourd'hui, les éditeurs font la grimace lorsqu'on leur demande simplement de publier un livre, mais dans le cas des recueils, ils ont souvent raison. Je ne sais pas si Giovanni Zenone, c'est-à-dire <Fede & Cultura> [l'éditeur, ndt], l'a fait quand Aldo Maria Valli lui a proposé de rassembler dans un livre ce qu'il a écrit sur les révélations de Mgr Viganò sur la couverture par le Vatican des scandales sexuels qui ont secoué l'Eglise américaine. En tout cas, voici, tout juste sorti des presses "Il caso Viganò. Il dossier che ha svelato il più grande scandalo all’interno della Chiesa (L'affaire Viganò, le dossier qui a révélé le plus grand scandale au sein de l'Eglise). Il ne s'agit pas d'un simple recueil d'articles publiés du 26 août à aujourd'hui sur un sujet d'actualité brûlant, mais c'est une partie de l'histoire de l'Église qu'à compter de ce jour, les historiens ne peuvent ignorer. Mais c'est aussi l'histoire écrite par un chrétien qui peut et doit être lue par tout chrétien, même avant de l'être par les historiens, car elle a un mérite rare: celui d'être écrite avec l'amour pour la vérité, avec toutes les difficultés que cela comporte. C'est précisément de cela que je voulais parler avec Valli pour dire ce qu'est le livre, mais surtout qui est l'auteur.


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AG: Partons de l'abc du métier: le contrôle des sources. Tu as déjà raconté tes rencontres avec Mgr Viganò. Mais j'aimerais savoir ce que ton instinct de journaliste t'a immédiatement dit et ce que tu as fait quand tu t'es retrouvé avec la nouvelle en mains.

AMV: Plus que d'un instinct de journaliste, je parlerais d'un simple instinct humain. Par nature, j'ai tendance à faire confiance aux gens, mais je pense que j'ai aussi un certain flair qui me permet de reconnaître le mal, la méchanceté et le mensonge. Je te dirais même que quand je sens la présence du mal, il s'agit pour moi d'un sentiment très physique, alors dans ces cas-là, sais-tu ce que je fais? Je fuis! C'est vrai: je m'en vais, je m'éloigne de ce que je sens être la source du mal. Je pourrais te raconter quelques épisodes, mais je ne veux pas que ce soit trop long.
Or, dans le cas de Mgr Viganò, au contraire, j'ai immédiatement senti en lui une charge de vérité. Tu vois, l'ex-nonce n'a pas un caractère facile, il ne sait pas être "empathique", comme on dit aujourd'hui. Et il n'a rien fait pour s'attirer ma sympathie. En lui, j'ai été frappé par la souffrance et la crainte évidentes de Dieu, une denrée rare aujourd'hui, même chez les prélats. Il n'a pas décidé de parler, comme certains l'ont insinué, pour se venger, par amertume parce qu'il n'a pas été promu cardinal. Il a dit : "Je suis vieux, j'approche de la mort; je ne m'intéresse pas au jugement des hommes, mais à celui du Père, et quand le Père me demandera ce que j'ai fait pour l'Église, je veux pouvoir lui dire que j'ai tout fait pour la sauver". Non, je n'ai pas vu en lui un homme rancunier, mais un serviteur de l'Église peiné, je dirais prostré. Et puisque moi aussi, quand il est venu me chercher, j'étais dans des conditions similaires, c'est comme si nous nous étions reconnus dans la commune prostration.
Quand ensuite le monseigneur m'a donné son premier témoignage, il a voulu que je la lise immédiatement, à côté de lui, pour que je puisse immédiatement lui poser des questions et lui signaler tout doute ou perplexité. Il s'est rendu totalement disponible pour moi, et bien sûr, les questions ne manquaient pas. Dates, noms, circonstances. Je crois que je l'ai soumis à un authentique interrogatoire, et il n'a même pas reculé un instant, et il n'a jamais été confus ni ne s'est contredit. Mais, honnêtement, il me disait parfois : "Je ne me souviens pas de cela". En outre, comme je l'ai déjà raconté ailleurs, j'ai voulu que nos deux premières rencontres aient lieu chez moi, en présence de ma femme et de nos enfants, parce que je voulais qu'il y ait un retour de la part des personnes que j'aime et qui ont à bien des égards la même sensibilité que moi, et je dois dire que nous avons tous eu la même impression: devant nous il y avait un homme qui parlait de sa mort, du jugement de Dieu, de la vie éternelle, un homme profondément amer, pas pour lui-même, mais pour l'état de l'Église.
Je me souviens que quand le monseigneur est parti, après lui avoir dit au revoir, j'ai dit à ma femme: "Pense à ce qu'il doit éprover à présent. Toute sa vie a été consacrée à l'Église. Quelqu'un qui, comme lui, est formé dans la carrière diplomatique, a un attachement particulier pour le pape. L'esprit d'abnégation de ces personnes est total. Eh bien, si un tel homme, avec une telle éducation, a décidé de révéler ce qu'il sait, cela signifie qu'il est mû par des raisons extrêmement graves.

AG: Je voudrais que tu fasses un bref portrait de Monseigneur Viganò, pour faire comprendre aux lecteurs pourquoi tu as décidé de lui rendre hommage, de publier son mémorandum et de continuer à le soutenir.

AMV: Je t'en ai déjà un peu parlé. J'ajouterais que le monseigneur sait être, quand il le faut, un véritable administrateur et un vérifable dirigeant. Avec une obstination, un soin et, je dirais, un sens du devoir qui est (ou du moins était) un trait typique des Lombards, Viganò prend chaque engagement avec un sérieux extraordinaire. Et il n'est jamais accommodant.
Quand il a été chargé du gouvernorat, tous ont sauté sur leurs chaises. Il voulait tout vérifier et mettre son nez partout: contrats, collaborations, factures. Et lorsqu'il se rendit compte de fautes professionnelles et de magouilles, il passa immédiatement à l'action, sans se poser de problèmes d'opportunité et sans craindre de marcher sur les plates-bandes de quelqu'un. Tellement qu'il s'est fait beaucoup d'ennemis. Si tu poses la question au Vatican, ils s'en souviennent encore: pas même une épingle ne pouvait être achetée sans que le monseigneur vérifie la nécessité réelle de l'acheter et compare les différentes offres. Lorsqu'il s'aperçut que même des travaux très importants étaient confiés à des "amis", sans demander de devis différents, il resta abasourdi et changea les règles. En fait, il fit économiser beaucoup d'argent au Vatican. Et aux États-Unis, il se comporta de la même manière, réussissant à combiner les qualités de l'administrateur avec celles du diplomate.
Ceux qui disent: "Mais lors d'une rencontre publique avec le Cardinal McCarrick, il n'a rien dit contre lui et l'a même salué cordialement" me font sourire. Ceux qui parlent ainsi ne savent pas ce que signifie être nonce, c'est-à-dire le représentant diplomatique du pape, un rôle qui implique la capacité de distinguer ses propres réactions privées et son comportement public, surtout si nous parlons, comme dans ce cas, d'un gala devant des centaines d'invités. Bien sûr, Viganò n'est pas parfait non plus, il ne manquerait plus que cela. Il m'a confié qu'il avait fait beaucoup d'erreurs. Mais je pense pouvoir dire que c'est un homme, pas un médiocre, pas un demi homme ni un moulin à parole.

AG: N'as-tu eu aucune perplexité avant de publier tout ce que tu avais appris?

AMV: J'en ai eu surtout deux. La première: cette dénonciations sera-t-elle vraiment utile? La seconde: est-il vraiment nécessaire, de la part de Viganò, de demander la démission du pape? La première perplexité était, et est, motivée par la conscience du fait que l'Église, au cours des siècles, en a tellement vu et a toujours été habituée à faire, pour ainsi dire, de la résistance passive: laisser passer la tempête, sans réagir. La deuxième perplexité était, et est, motivée par une question: puisque le pape, même lorsqu'il se trompe, reste toujours malgré tout vicaire du Christ et garant de l'unité de l'Église, demander qu'il s'efface, n'est-ce pas exagéré? Et n'y a-t-il pas le risque de donner l'impression qu'il y a un ressentiment personnel de la part de l'archevêque envers le pape ?
Je dois dire que les deux préoccupations sont encore vivaces en moi. Mais, dans le cas de la seconde, également sur la base de ce que m'a expliqué le monseigneur, je crois qu'il voulait que l'exagération souligne que l'Église n'est pas au pape, mais au Christ. De cette façon, il voulait aussi répondre à une certaine "papolâtrie" qui aujourd'hui passe pour la plupart mais qui n'a rien de catholique, parce que le pape est servus servorum Dei, il n'est pas le "maître" de l'Église.

AG: Il est arrivé à beaucoup de ceux qui font notre métier d'écrire quelque chose en sachant qu'après, rien ne serait plus comme avant. Le moment où l'on décide de le faire est libérateur, mais c'est seulement un instant... Pour toi, que s'est-il passé ensuite ?

AMV: Ecoute, je suis timide. Mais, comme tu le sais, les gens timides seront parfois très décidés. Alors, une fois qu'après avoir prié et consulté ma femme et mes enfants, j'ai pris la décision de publier, je suis sorti directement dans la rue et j'ai ressenti une grande sérénité. Je savais que je paierai avec ma personne, de différentes façons, mais je n'ai plus eu d'hésitation. C'est encore le cas aujourd'hui, deux mois après la publication du premier mémorandum.
On m'a demandé: "Tu es sûr de ne pas avoir été instrumentalisé? Sûr que tu n'étais pas aussi motivé par le désir de faire un scoop?" Instrumentalisé, je ne crois pas. Viganò ne m'a jamais forcé et il répondu à toutes mes questions et à toutes mes perplexités. Quant à l'envie d'un scoop, je ne pense pas avoir cette maladie. Je suis d'accord avec ce qu'a dit un jour Benny Lai, l'un de nos maîtres à nous autres vaticanistes: "Un scoop vatican, ce n'est pas anticiper une nouvelle. C'est plutôt donner la bonne lecture d'une nouvelle. Aujourd'hui, peu de gens sont capables de le comprendre". Eh bien, je suis content non pas quand je suis le premier à doner une nouvelle , mais quand je peux donner au lecteur les clés de la lecture. C'est ce que j'essaie de faire dans mon blog Duc in altum et toi aussi sur Riscossa cristiana, puisque tu as la gentillesse de reprendre mes articles. Je crois qu'aujourd'hui l'une des tâches les plus importantes pour nous, vaticanistes, c'est de faire de la contre-information par rapport à un certain "récit" que non seulement l'institution, mais aussi la grande presse essaient d'imposer.

AG: Je pense que quelqu'un qui écrit avec conscience doit dire toute la vérité sans péché par omission. Mais je suis aussi convaincu que ce grand marécage bureaucratique qu'est devenu l'Église catholique est capable de tout phagocyter. Est-il possible, selon toi, d'enclencher un mécanisme qui donne un quelconque espoir ?

AMV: Honnêtement, je ne sais pas. Il y a des jours où j'ai de l'espoir et d'autres où, au contraire, il me semble que le marais est capable d'engloutir et de tout recouvrir sous des eaux noires et impénétrablex. Un grand encouragement, cependant, me vient des lecteurs, qui me remercient et me demandent d'aller de l'avant. Ils sont, avec la foi, mon véritable propulseur. Bien sûr, je reçois aussi beaucoup d'insultes, souvent terribles, mais je me suis rendu compte que ceux qui m'attaquent n'ont jamais d'arguments: il se contente de coller des étiquettes ("traditionaliste", "ultra-traditionaliste", "traître") sans jamais développer une logique digne de ce nom.

AG: Quelle idée t'es-tu faite sur l'origine de ce qui s'est passé?

AMV: L'origine réside de manière décisive dans un manque de foi. "J'ai vu Dieu dans un homme", a dit un pèlerin après avoir rencontré le curé d'Ars. Eh bien, disons qu'aujourd'hui, voir Dieu dans un homme d'Église n'est pas si évident. "Celui qui veut être un ami de ce monde devient un ennemi de Dieu" (Jc 4, 4), lisons-nous dans les Écritures. Au contraire, nous voyons beaucoup de pasteurs qui veulent être amis de ce monde. Je cite à nouveau le saint Curé d'Ars: "Quand on se laisse guider par Dieu, quand on fait ce qu'Il veut, on ne peut se tromper... L'œil du chrétien qui fait la volonté de Dieu voit jusqu'au bout de l'éternité". Eh bien, aujourd'hui, nous avons des pasteurs qui parlent en tant que sociologues, économistes, psychologues, mais qui parlent rarement de Dieu et de l'éternité. Tous les problèmes, jusqu'aux extrêmes de l'abus, découlent de ce dramatique manque de foi.

AG: Selon toi, de quoi devrait-on partir pour porter remède à cette situation?

AMV: Avant tout, il faudrait se décider à regarder la réalité en face, aussi effrayante soit-elle. Trois éléments sont maintenant clairs et doivent être pris en compte: a) la pourriture et la corruption morale ne sont pas épisodiques, mais systématiques et répandues; b) le lobby gay joue dans tout cela un rôle décisif; c) le silence de nombreux "bons" qui ne parlent pas pour "le bien de l'Église" permet en fait de laisser les mauvais agir sans être dérangés. Sur la base de cette prise de conscience, il faudrait commencer à reconstruire en partant de la figure du prêtre et de la centralité de l'Eucharistie. Tout le reste doit être élagué. Et les pasteurs devraient redevenir des pasteurs. Ils devraient redevenir des hommes de Dieu, ce qui implique qu'ils aient la crainte sacrée de Dieu. Précisément ce que je vois chez Viganò et chez très peu d'autres.

AG: La stratégie et l'attitude de la curie romaine face à une bombe comme celle larguée par Monseigneur Viganò sont-elles celles auxquelles tu t'attendais?

AMV: Malheureusement oui, et je dis malheureusement parce que c'est une attitude, à mon avis, erronée. Sauf de rares exceptions, je ne vois pas de réaction sincère et surtout je ne ressens pas un réel désir de conversion spirituelle. On parle de "plans d'action", de "commissions", de "protocoles", mais on ne va pas à la racine: la foi en Dieu, l'intimité avec Lui, le rejet du péché. Le pape lui-même, en identifiant la racine du mal dans le "cléricalisme", n'aide pas à affronter le problème, parce qu'il se réfère à une abstraction. C'est un peu comme quand, face à tout ce qui ne va pas dans le monde, nous disons que c'est la faute de la société. Cela ne veut rien dire. Et puis il y a cette insupportable chappe de silence, de couverture. On n'a pas compris qu'à l'ère de la communication, cette stratégie ne paie pas. On parle beaucoup de transparence, mais on n'agit pas en conséquence. L'idéologie du secret et du subterfuge n'est plus applicable. Au contraire, elle affaiblit l'Église parce qu'elle mine sa crédibilité.

AG: Quels sont le fait et la considération qui te font le plus peur dans cette affaire ? Et quelles sont, au contraire, ceux qui te réconfortent le plus?

AMV Je ne peux pas dire que j'éprouve de la peur, parce que je suis sûr que le Seigneur, s'il nous envoie une épreuve, le fait pour notre bien, pour le salut de notre âme. Mais ce qui me préoccupe, c'est le silence des pasteurs, leur ambiguïté, le manque de clarté, la confusion toujours plus répandue dans l'Église et les profondes divisions entre frères dans la foi. Ce qui me préoccupe, c'est que depuis quelque temps, je me rends compte que je ne peux même plus faire confiance au pasteur suprême. J'en ai vu et entendu tellement, et j'ai reçu tellement de nouvelles, que désormais la culture du soupçon s'est insinuée en moi, et je n'aime pas cela. C'est comme si une certaine innocence avait été perdue à jamais. La consolation vient de la prière et de l'amitié de nombreuses personnes qui m'expriment leur proximité et leur affection et me demandent d'aller de l'avant. Malgré les déviations et les infidélités des pasteurs, le peuple de Dieu conserve la foi d'une manière vraiment surprenante.

AG: Tes critiques à ce pontificat ne datent pas d'aujourd'hui. Si tu regardes ton histoire, ta relation avec la foi et avec l'Église, que t'enseigne cette affaire?

AMV: je me rends compte qu'aujourd'hui, par rapport à autrefois, il y a seulement quelques années, je regarde davantage l'essentiel et j'abandonne tout ce qui est autour. L'essentiel, c'est la Parole de Dieu, c'est la relation avec Jésus, c'est la foi. Je me laisse beaucoup moins influencer par les questions d'opportunités et de respect humain. Je pense beaucoup plus au jugement de Dieu et à la vie éternelle. C'est pour ces raisons que, malgré toutes mes limites, je ressens de plus en plus le besoin de soumettre à vérification ce qui vient du Magistère, pour voir si et dans quelle mesure il me confirme dans la foi.
Le tournant, en ce qui me concerne, est arrivé après Amoris laetitia. J'avais déjà quelques perplexités, mais ce document les a mises à découvert. Quand j'ai compris qu'il y avait une tentative d'introduire le subjectivisme dans la pensée de l'Église et de le codifier, j'ai senti le besoin d'intervenir. Parce qu'à ce moment-là, il n'y a plus seulement une évaluation humaine, mais il y a la loi divine elle-même. Il y a une tentative de mettre l'homme à la place de Dieu. Le fait que dans Amoris laetitia cette tentative se fasse de manière subreptice, par l'utilisation sournoise de quelques notes de bas de page, m'a encore plus alarmé. J'y ai vu une malice (l'exhortation apostolique a été rebaptisée Amoris furbitia) qui n'appartient pas, ne peut pas appartenir à notre mère l'Église.
Plus généralement, je vois un grave danger dans ce miséricordisme insidieux, qui sépare la pastorale de la doctrine, met dans l'ombre la question du jugement divin et réduit la foi à un facteur sentimental, un instrument pour le bien-être psychophysique et non pour le salut de l'âme. Je vois qu'on va jusqu'à théoriser un prétendu devoir de Dieu de pardonner face à un prétendu droit de la créature à être pardonnée. On ne parle plus de conversion et de crainte de Dieu. Le concept même de péché est opacifié à cause d'un relativisme de plus en plus évident. Cela ne peut pas me laisser indifférent.

AG: Que peut faire aujourd'hui un journaliste qui aime l'Église ?

AMV Donner les nouvelles! Et, crois-moi, ce n'est pas une blague. Trop souvent, nous, les journalistes, ne faisons plus notre métier. Et dans l'histoire de Mgr Carlo Maria Viganò, j'ai remarqué encore plus. Souvent, le problème n'est pas la censure ou le conditionnement de l'extérieur, mais l'autocensure. De plus, il faut toujours proposer, à côté des nouvelles, des clés de lecture, afin que le lecteur puisse s'orienter. Comme je l'ai déjà dit, il s'agit essentiellement d'un travail de contre-information par rapport à une vision qui est tenacement imposée par la grande presse. Cela implique beaucoup d'étude et la disponibilité de sources multiples, y compris au niveau international, parce qu'en Italie, ayant le Vatican chez nous, nous avons tendance à être très "papistes". Enfin, il faut argumenter et ne jamais tomber dans le piège de la confrontation frontale entre "partis", confrontation qui se nourrit d'insultes et qui, peu à peu, nous empêche de développer de vrais raisonnements.

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