Euthanasie, ou acharnement thérapeutique?

Dans la malheureuse affaire du petit Alfie, le juge cite apparemment à tort une lettre du pape. Mais sur quoi, au juste s'était focalisé ce dernier? Formidable analyse du P. Scalese (12/3/2018)

>>> Feu vert de Mgr Paglia à l'euthanasie
>>> Les mots du Pape, pour justifier l'euthanasie

 

Un supplément de prudence


Père Giovanni Scalese CRSP
12 mars 2018
querculanus.blogspot.fr
Ma traduction

* * *

On a beaucoup discuté ces jours derniers de l'arrêt rendu par la Haute Cour de justice de Londres le 20 février, autorisant les médecins de l'Alder Hay Children Hospital de Liverpool à faire mourir le petit Alfie Evans en interrompant la ventilation et la nutrition.

La sentence a fait beaucoup jaser également parce que pour justifier sa décision, le juge Hayden se réfère entre autre au message adressé par le Pape François le 7 novembre 2017 à Mgr Vincenzo Paglia et aux participants au meeting régional européen de la World Medical Association sur les questions de la "fin de vie", organisée conjointement au Vatican par l'Académie Pontificale pour la Vie (ici).

Sans vouloir entrer dans le fond, il me semble opportun de réfléchir sur cet aspect: un juge en appelle aux paroles du Pape, pour justifier une décision qui va à l'encontre de la doctrine morale de l'Église. Comment est-ce possible? Ce que le Saint-Père a écrit dans son message n'est-il pas conforme au Magistère de l'Église? Il semble que si: si vous allez lire le texte, il y a des références au Catéchisme de l'Église catholique, à la déclaration du CDF sur l'euthanasie du 5 mai 1980 et à un discours de Pie XII de 1957. Par conséquent, le message ne fait que répéter certains aspects bien établis de la moralité catholique (on pourrait peut-être discuter de l'affirmation qui se trouve à la fin du message: «Au sein des société démocratiques, les arguments délicats comme ceux-ci sont abordés dans le calme : de manière sérieuse et réflexive, et bien disposés à trouver des solutions – y compris normatives – partagées le plus possible.», mais laissons tomber. Pourtant, ce message a été utilisé pour autoriser un geste condamné par la morale catholique. S'agissait-il d'un abus du tribunal ou le message était-il en fait une aide (assist) pour cette décision?

Il me semble qu'il s'agissait objectivement (c'est-à -dire, indépendamment des intentions, qu'il ne me revient pas de juger) d'un assist.
Pourquoi?
Parce qu' à une époque où, dans la société, le débat sur l'euthanasie est particulièrement passionné, le Pape, dans ce message, au lieu de parler d'euthanasie, a préféré parler ... d'acharnement thérapeutique. Non pas que la morale ne devrait pas elle aussi soulever cette question, mais je ne crois pas qu'en ce moment précis ce soit le problème de l'ordre du jour. Certes, ce que le Saint-Père dit au sujet de l'acharnement thérapeutique est juste, mais il n'a rien à voir avec le débat en cours.

Certains diront: Mais le Pape, dans son message, réaffirme aussi le jugement de l'Eglise sur l'euthanasie, «qui reste toujours illicite, en ce qu'elle se propose d'interrompre la vie, causant la mort». C'est vrai, mais c'est dit presque 'en passant' (en français dans le texte), dans un contexte où l'on parle exclusivement d'acharnement thérapeutique et de «proportionnalité des traitements». La référence au Catéchisme est également significative: celui-ci consacre quatre paragraphes à l'euthanasie (nn. 2276-2279); mais dans le message, seul le n. 2278 est mentionné, où l'on parle, comme par hasard, d'acharnement thérapeutique. Il me semble évident qu'un tel message ne pouvait manquer de fournir le point de départ pour justifier la décision du tribunal anglais.

J'ai l'impression que nous sommes confrontés à un des cas envisagés par le Pape François lui-même dans l'exhortation apostolique Evangelii gaudium:

Parfois, en écoutant un langage complètement orthodoxe, celui que les fidèles reçoivent, à cause du langage qu’ils utilisent et comprennent, c’est quelque chose qui ne correspond pas au véritable Évangile de Jésus Christ. Avec la sainte intention de leur communiquer la vérité sur Dieu et sur l’être humain, en certaines occasions, nous leur donnons un faux dieu ou un idéal humain qui n’est pas vraiment chrétien. De cette façon, nous sommes fidèles à une formulation mais nous ne transmettons pas la substance. (n. 41).


Parfois, il ne suffit pas de répéter des affirmations justes en soi, si elles ne sont pas placées dans le contexte le plus approprié ou si elles ne sont pas faites au bon moment et sans tenir compte de ce que les destinataires pourraient réellement percevoir. Parfois, peut-être, un "supplément de prudence" ne serait pas de trop.

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