Feu vert de Mgr Paglia à l'euthanasie

Le président de l'Académie Pontificale pour la Vie a accordé une interview "surréaliste" à une revue italienne, légitimant l'arrêt de l'assistance respiratoire au petit Alfie. Et l'instrumentalisation des propos du Pape pour ôter la vie (10/3/2018)

>>> L'épisode précédent: Les mots du Pape, pour justifier l'euthanasie

>>> Et l'interview à Tempi en vo: www.tempi.it


La Bussola d'aujourd'hui réserve à cette interview l'éditorial du directeur Riccardo Cascioli, et Tommaso Scandroglio nous propose une réfutation minutieuse et systématique des arguments du prélat déjà tristement connu pour d'autres affaires évoquées à différents endroits dans ces pages, nommé au poste de défenseur de la vie (!!) par François lui-même.

Paglia ne peut plus diriger l'Académie Pontificale pour la Vie


Riccardo Cascioli
10 mars 2018
lanuovabq.it
Ma traduction

* * *

Dans l'interview à Tempi.it, Mgr Paglia approuve l'euthanasie (qualifée de refus de l'acharnement thérapeutique) et légitime l'instrumentalisation du Magistère par le juge qui a mis Alfie à mort. Autrement dit: Paglia ne peut pas rester à la tête de l'Académie Pontificale pour la Vie.
Dans le passé, les discours et les décisions de Mgr Vincenzo Paglia ont déjà fait à maintes reprises l'objet de polémiques, mais jamais - comme dans l'interview à Tempi.it - ils n'étaient allés jusqu'à exprimer des thèses incompatibles avec le rôle de défenseur de la vie qui est le sien. Et il ne s'était jamais trouvé qu'un homme important de la Curie approuvât publiquement l'instrumentalisation du Magistère de l'Église pour des intérêts partisans, comme, par exemple, ceux du juge qui a condamné le petit Alfie Evans à mort en débranchent son respirateur.

Nous sommes donc sur le point d'assister, impuissants, à l'euthanasie pratiquée sur un nourrisson, avec l'approbation du Saint-Siège.

Après la sentence prononcée le 20 février dernier, quand le juge Anthony Hayden a utilisé le message sur la fin de vie adressé en novembre dernier par le Pape François à Mgr Paglia - lors d'une conférence organisée par l'Académie Pontificale pour la Vie - pour justifier sa décision de mort, le standard téléphonique de Sainte Marthe a été pris d'assaut des jours durant, par des fidèles qui demandaient une intervention du Pape pour réfuter l'instrumentalisation de ses propos. Mais aucune réponse n'est venue du Saint-Siège, de cette Salle de presse qui, en d'autres occasions, a été tellement réactive et tellement brutale pour corriger même certains cardinaux.

Les mots de Mgr Paglia dans l'interview nous font comprendre pourquoi. Et du reste, après avoir lu la brillante analyse de notre Thomas Scandroglio, nous comprenons que le coup de force du juge Hayden est nul et non avenu par rapport à l'interprétation créative du Magistère offerte par Mgr Paglia. Les mots restent les mêmes, mais le sens est maintenant très différent. Le concept d'acharnement thérapeutique, si clairement défini dans le Catéchisme, on l'étend à l'euthanasie passive. Dans la pratique, nous devons penser que pour Mgr Paglia, on ne commence à parler d'euthanasie que quand la mort est provoquée par une piqûre, comme pour les condamnés à mort.

Certes, comme le souligne Paglia lui-même dans l'interview, sa position est loin d'être isolée, mais il n'en demeure pas moins qu'elle contredit gravement ce que l'Église a toujours enseigné. Et cela fait de Mgr Paglia une personne absolument inapte à diriger une Académie Pontificale pour la Vie que saint Jean Paul II avait voulue à de tout autres fins.

Feu vert de Mgr Paglia au meurtre d'Alfie


Tommaso Scandroglio
10 mars 2018
www.lanuovabq.it
Ma traduction

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Dans une interview surréaliste, le président de l'Académie Pontificale pour la Vie légitime les décisions des médecins et des juges britanniques qui ont décidé de débrancher le respirateur qui maintient en vie le petit Alfie Evans. Et, de façon incroyable, il est d'accord avec l'instrumentalisation des paroles du Pape que le juge a utilisées pour justifier sa décision aux deux parents catholiques.

Alfie Evans, 21 mois, a une pathologie neurodégénérative grave probablement d'origine génétique. A Alfie, il reste peu à vivre, non pas tant parce que sa pathologie a presque complètement vidé le sablier du temps qui lui reste, mais parce que, comme dans le cas de Charlie Gard, la Haute Cour de Londres a décidé que le bébé devrait être tué en débranchant l'appareil respiratoire qui le maintient en vie. Le juge Hayden a conclu l'affaire: «Je suis convaincu que le soutien continu d'un respirateur n'est plus dans l'intérêt d'Alfie». Les parents s'y sont opposés, mais jusqu'à présent sans succès.

Sur l'affaire du petit patient anglais, <Tempi.it> interviewe Mgr Vincenzo Paglia, président de l'Académie Pontificale pour la Vie. Pour Mgr Paglia, il ne s'agit pas d'euthanasie, c'est-à-dire de meurtre, mais de refus d'acharnement thérapeutique: «Parler de "suppression" n'est ni correct ni respectueux. En effet, si les consultations répétées des médecins ont réellement montré qu'il n'y avait pas de traitement valable dans la situation où se trouvait le petit patient, la décision prise ne visait pas à raccourcir sa vie, mais à suspendre une situation d'acharnement thérapeutique. Comme le dit le Catéchisme de l'Église catholique, il s'agit d'une option avec laquelle on n'entend pas "procurer la mort: on accepte de ne pas pouvoir l'empêcher" (CEC 2278)» .

Donc, pour le président de l'APV, permettre à un patient de continuer à vivre dans une condition d'invalidité est de l'obstination thérapeutique.
Mais ce n'en est pas. La décision des médecins et des juges est une décision euthanasique.

On peut en trouver la preuve dans le document Iura et bona (en 1980, ndt) de la Congrégation pour la Doctrine de la Foi, cité par Paglia lui-même dans l'interview, document qui donne la définition suivante de l'euthanasie: «Par euthanasie, on entend un acte ou une omission qui, par sa nature ou dans ses intentions, cause la mort, afin d'éliminer toute douleur». Cette définition s'applique à la perfection au cas d'Alfie: on veut obtenir sa mort en déconnectant l'appareil respiratoire afin d'éviter la souffrance (psychologique?) de vivre dans cet état. C'est un meurtre à des fins piétistes (par pitié). Citons encore le Catéchisme de l'Église catholique: «Quels qu'en soient les motifs et les moyens, l'euthanasie directe consiste à mettre fin à la vie des personnes handicapées, malades ou proches de la mort». Définition qui semble avoir été conçue spécifiquement pour le cas d'Alfie.

D'autre part, garder en vie une personne dans un état de handicap n'est pas de l'acharnement thérapeutique, comme le dit Paglia, mais un acte légitime de traitement. C'est précisément le Catéchisme de l'Église catholique qui nous le dit de façon limpide, deux paragraphe avant celui cité par Paglia: «Ceux dont la vie est diminuée ou affaiblie réclament un respect spécial. Les personnes malades ou handicapées doivent être soutenues pour mener une vie aussi normale que possible» (CEC 2276). Les personnes handicapées comme Alfie doivent être soutenues, pas tuées.

L'obstination thérapeutique survient lorsqu'il y a disproportion entre les moyens appliqués et les résultats souhaités (CEC 2278). En fin de compte, il s'agit de traitements inutiles et futiles. Or, l'appareil respiratoire qui maintient Alfie en vie n'est pas un traitement disproportionné par rapport aux objectifs, mais absolument proportionné à son but, à savoir l'oxygéner et le maintenir en vie. Ce n'est pas l'appareil respiratoire qui cause sa mauvaise santé, mais sa pathologie. Mais étant donné que, pour reprendre les mots de Paglia, il a été constaté qu'«il n'existe pas de traitement valable dans la situation où se trouve le petit patient», alors la décision a été prise de le tuer.

On veut faire mourir le petit parce qu'il ne peut pas aller mieux, parce qu'il n y a pas de thérapies efficaces. Les décisions des médecins sont donc fondées sur le principe de la qualité de vie et non pas sur le respect de la dignité de la personne, y compris des personnes handicapées. Par conséquent, la citation que Paglia fait du n. 2278 du Catéchisme «on n'entend pas procurer la mort: on accepte de ne pas pouvoir l'empêcher» ne s'applique pas, parce qu'ici, on procure la mort en détachant le respirateur qui l'empêche, c'est-à-dire la diffère autant que ce qui est humainement possible, avant tout en n'interrompant pas la ventilation assistée. Ainsi, ce que dit Mgr Paglia est exactement le contraire de ce que dit le Magistère.

Puis Mgr Paglia cite un discours de Pie XII en 1957 «Aux membres de l'Institut Italien de Génétique 'Gregorio Mendel' sur la réanimation et la respiration artificielle» et affirme que «déjà Pie XII en 1957 affirmait qu'il y a des cas où il est légitime de suspendre la ventilation assistée».
En réalité, dans ce document, le Pontife traite, entre autres arguments, de la cessation de la ventilation mécanique dans le cadre des manœuvres de réanimation, cessation considérée comme moralement légitime lorsqu'elle constitue un traitement disproportionné. Mais la ventilation assistée à laquelle Alfie est soumis est absolument proportionnée à ses propres fins, selon les principes exprimés par Pie XII. Le rappel n'est donc pas adapté. En revanche, le passage suivant du même document de Pie XII s'applique au cas d'Alfie: «La raison naturelle et la morale chrétienne disent que l'homme (et quiconque est chargé de prendre soin de ses semblables) a le droit et le devoir, en cas de maladie grave, de prendre les mesures nécessaires pour préserver la vie et la santé».

Mgr Paglia s'aventure également sur le terrain juridique. A l'objection soulevée par le journaliste Valerio Pece concernant le fait que les juges anglais auraient exploité les paroles du Pape en les citant dans la sentence, Paglia, au contraire, développe une réflexion au goût vaguement théocratique, qui absout le travail des magistrats anglais: «Le juge, considérant que les parents sont catholiques, décide de prendre également en considération la position de l'Église. Et il se réfère à trois textes, en constatant une cohérence complète entre eux: le Catéchisme, le document sur l'euthanasie de la Congrégation pour la Doctrine de la Foi de 1980, le discours du Pape de 2017».
Mais les magistrats - justement selon la doctrine catholique - sont appelés à juger sur la base des lois civiles, certes inspirées par la loi naturelle qui est aussi patrimoine de l'Église catholique, et non sur la base du Catéchisme. L'opération que le juge a faite est donc fourbe et inique: instrumentaliser des documents de l'Église pour leur faire dire des choses, en prenant comme prétexte que les deux parents sont catholiques. A proprement parler, et d'après les applaudissements que le Président de l'APV adresse à cet expédient de jurisprudence de caractère théologique, nous devrions demander aux juges qui rendent des verdicts sur des affaires impliquant des citoyens musulmans d'appliquer le Coran et la charia. Cuius religio, eius ius.

Enfin, Paglia se prononce sur la récente loi sur le DAT [dispositions anticipées de traitement, ou "testament biologique" - en réalité loi sur la fin de vie]. L'intervieweur lui rappelle le jugement imprudent, car positif, sur la loi, formulé par le groupe d'étude jésuite sur la bioéthique et publiée dans Aggiornamenti Sociali (*), qui selon ce groupe contient «beaucoup d'éléments positifs et représente un point de médiation suffisamment équilibré pour être partagé». Paglia ne critique pas cette appréciation, mais au contraire la reprend et cite un jugement du Conseil d'administration de l'Union des juristes catholiques italiens: «La prétention de donner à la loi une lecture euthanasique est arbitraire et contraire à l'esprit de ladite loi». Ainsi, pour Paglia, la loi sur les DAT ne légitime pas l'euthanasie.

En conclusion, le Président de l'APV semble épouser à la fois la dialectique hégélienne et l'éthique phénoménologique: «Sur des thèmes qui requièrent des connaissances spécifiques et concernent tant la vie des personnes que la société, les idées mûrissent dans le dialogue et la confrontation, même au sein de la communauté ecclésiale. La diversité des opinions dans l'Église est une richesse. [..] Les lois d'un État représentent une médiation entre des positions différentes».
Il est vrai, comme le dit Paglia, qu'aujourd'hui les idées mûrissent souvent dans le dialogue, mais ce n'est pas pour autant que toutes les idées développées dans le dialogue doivent pas être acceptées. De même, les divergences d'opinions sont une richesse si elles sont toutes vraies et ne se distinguent que par la façon de vivre le bien. De manière analogue, il est incontestable qu'aujourd'hui, les lois représentent souvent une médiation, mais cette médiation n'est pas toujours acceptable, par exemple lorsque la loi veut appliquer le compromis sur des principes non négociables.
Bref, il semble que pour Paglia, le moment descriptif coïncide avec le moment prescriptif; autrement dit, sur la vie, il est bon que la décision revienne à la confrontation et au dialogue à l'intérieur et à l'extérieur du Parlement, parce que c'est ce qui se fait aujourd'hui. Mais le dialogue et la confrontation ne sont pas les sources de moralité indiquées par le Magistère (cf. CEC, §§ 1750).

NDT


(*) Mensuel (fondé en 1950) d'études et d'analyses sur les questions sociales, politiques, ecclésiales et internationales, composé de jésuites et de laïcs, cf. it.wikipedia.org/wiki/Aggiornamenti_sociali
Il vaut la peine de jeter un coup oeil sur la page d'accueil de leur site, c'est édifiant...

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