L'au revoir du Père Scalese

(29/8/2019)

 

Le blog du Père Scalese, barnabite italien, a été ouvert en janvier 2009 sous le titre familier "Senza peli sulla lingua" (sans poil sur la langue), une expression idiomatique qui dit bien ce qu'elle veut dire. Après une interruption assez longue, il a changé de nom (mais pas de ton, quoiqu'avec plus de recul dans l'analyse et une prédilection compréhensible pour les sujets théologiques) et repris ses publications en janvier 2016 de façon plus sporadique avec un nouveau nom: Antiquo robore (cf. benoit-et-moi.fr/2016...bon-retour-pere-scalese).
J'ai assisté à ses débuts quasiment en direct (dès février 2009), et j'ai traduit nombre de ses articles (voir le moteur de recherche). Voici ce que j'en disais alors: benoit-et-moi.fr/2009-I.
Neuf ans plus tard, je n'ai pas changé d'avis. La qualité de la réflexion fait que même les articles les plus anciens, si on laisse de côté l'actualité du moment qui les inspirait (on était en plein pontificat de Benoît XVI, avec les crises qui se succédaient sans répit), n'ont pas pris une ride, et contiennent de nombreuses réponses aux questions que nous nous posons aujourd'hui.
Ce qui continue à m'intriguer, c'est que beaucoup de blogs catholiques de professionnels, avec lesquels il dit aujourd'hui ne pas pouvoir lutter à armes égales et qui pourtant ne lui arrivent pas à la cheville (à quelques rares exceptions près - ce sont les noms qui reviennent le plus souvent dans ce blog), ont une audience infiniment supérieure à la sienne dans les milieux catholiques, du moins si l'on en juge par les occurrences de son nom dans les recherches sur internet. Mystère de la renommée. Ou bien goût des gens pour le sensationnel..?

Cela faisait plus d'un mois que le Père Scalese restait silencieux (son dernier article, "Un Pape hérétique", était daté du 13 octobre).
Et voilà qu'avant-hier, il revient avec "Un mot d'explication", qui résonne comme un adieu, même s'il se termine sur une note laissant supposer que "ce n'est qu'un au revoir". Le Père Scalese se justifie brillamment, et ses arguments pourraient inspirer la réflexion de beaucoup de blogs "amateurs", dont le mien, évidemment. Mais pour le moment, je garde cette réflexion pour moi...
Personnellement, tout en respectant sa décision, je la regrette. Son site était vraiment une boussole, qui permettait aux lecteurs de s'orienter dans la jungle de l'information sur l'Eglise. En partant, il laisse le champ libre à "ceux qui crient le plus fort", et qui souvent ajoutent la confusion à la confusion.

Hasta luego, Père Scalese. Et espérons (malgré tout!) que vous reviendrez bientôt.

Un mot d'explication


Père Giovanni Scalese CRSP
28 novembre 2018
querculanus.blogspot.com
Ma traduction (caractères gras de moi)

* * *

J'ai reçu plusieurs messages de lecteurs me demandant de rendre compte de mon silence prolongé. Je pense qu'il est de mon devoir de leur donner un mot d'explication.

Tout d'abord, je tiens à les rassurer: il n'y a, Dieu merci, aucune raison de santé ou d'interventions supérieures qui m'ait empêché de mettre à jour le blog. La décision dépend exclusivement de moi, pour un certain nombre de raisons que je vais brièvement essayer de cerner.

Tout d'abord, j'ai l'impression que les espaces pour un blog personnel non professionnel sont de plus en plus restreints. Mon blog est né il y a dix ans, alors qu'on était au début de cette nouvelle expérience de communication et que les voix catholiques sur le net étaient encore relativement peu nombreuses. Aujourd'hui, également grâce à la diffusion des réseaux sociaux, les possibilités de faire entendre sa voix se sont multipliées: certaines interventions se caractérisent par un notable professionnalisme, d'autres trahissent une certaine improvisation. Il est évident que les blogs professionnels, en particulier ceux des journalistes qui, pour une raison ou une autre, se sont mis à leur compte, le font plus ou moins en maîtres. Et c'est compréhensible: ils peuvent compter sur l'abondance et la fiabilité de l'information, la régularité de la publication, la compétence professionnelle, etc. Vous, qui êtes encore un bleu (malgré un âge qui n'est plus jeune), vous avez peut-être des idées géniales, mais vous ne pourrez jamais prétendre rivaliser avec certains monstres du journalisme.

En second lieu, j'ai remarqué qu'en dehors des gourous précités (qui, même lorsqu'ils sont de parti pris, s'efforcent de maintenir une certaine modération), parmi les "dilettantes", les positions se radicalisent: si vous voulez que quelqu'un vous écoute, il faut "crier" : plus vous les sortez grosses (peut-être en ne vous fondant que sur quelques rumeurs) et plus vous avez d'audienc. Il n'y a pas beaucoup de place pour une réflexion calme et objective. L'équilibre ne paie pas.

Dans ce contexte de polarisation radicale, nous assistons, d'une part, à l'arrogante autoréférentialité du parti au pouvoir aujourd'hui dans l'Église. Une fois parvenus au sommet et occupant tous les espaces du pouvoir, ceux qui autrefois considéraient comme une expression de prophétie le fait de contester l'autorité, aujourd'hui sont indifférents à toute critique, se fichent de ce que pensent les autres et vont de l'avant dans la mise en œuvre de leur programme, comme si de rien n'était.

Sur le versant opoosé (celui traditionnel, pour nous comprendre), nous assistons à une involution non moins alarmante. Ce qui se passe aujourd'hui dans l'Église ne les scandalise pas plus que cela; et même, ils y voient la démonstration de la justesse de leurs positions : l'"Église nouvelle", selon eux, n'est que le résultat des prémisses établies par le Concile Vatican II. Ils ne comprennent pas qu'il s'agit de la revanche du parti qui avait été vaincu au Concile et qui avait continué à travailler en sous-terrain pendant les pontificats suivants. Non, pour eux, il y a une continuité totale entre le Concile, Paul VI, Jean-Paul II, Benoît XVI et le Pape François; il était évident que cela devait finir ainsi. Ils semblent presque heureux qu'on en soit arrivé là. La situation d'un certain traditionalisme actuel n'est pas moins préoccupante que celle du parti au pouvoir: les dérives hérétiques ne manquent pas des deux côtés (les réactions de certains traditionalistes à la canonisation de Paul VI sont significatives).

Certainement pas hérétique, mais non moins inquiétante pour autant, l'opposition au pontificat actuel se répand dans les milieux conservateurs, pas nécessairement traditionalistes (je pense en particulier aux laïcs nord-américains), qui, devant l'inefficacité de la critique doctrinale pratiquée jusqu'ici (pensez aux dubia ou à la correctio filialis), se sont jetés sur le thème de la corruption ecclésiale, espérant ainsi forcer le pape à démissionner. Non pas que le problème des abus ne soit pas un problème réel et grave que l'Eglise doit se décider à affronter sérieusement et efficacement, mais le fait de l'instrumentaliser pour des raisons "politiques" ne semble pas très correct. Une instrumentalisation similaire avait été faite à l'époque de Benoît XVI, précisément dans le but d'obtenir le renoncement du Pape: le résultat, dans ce cas, a été atteint; mais il n'est pas certain que l'utilisation de la même arme produise cette fois le même effet, vu les personnalités différentes des deux papes.
Ce qui, à mon avis, n'est pas suffisamment pris en compte, en soutenant l'intervention du pouvoir civil dans la sphère ecclésiastique, ce sont les conséquences dévastatrices et irréversibles que cela pourrait avoir sur la liberté de l'Église.

Si telle est la situation, un pauvre blogueur sans affiliation se demande: à quoi bon continuer à crier dans le désert, quand personne ne vous écoute? Ce que vous aviez à dire, vous l'avez dit; ajouter d'autres mots peut devenir, non seulement inutile, mais nuisible. Il est peut-être temps d'arrêter de parler et de commencer à prier. Le dernier post, précédant celui-ci, se terminait par les paroles de l'Évangile : «Dieu ne rendra-t-il pas justice à ses élus, qui crient jour et nuit vers lui ? Va-t-il les faire attendre longtemps? Je vous le dis, il leur rendra justice promptement» (Lc 18,7). La situation de l'Église est si grave qu'il ne reste plus qu'à espérer une intervention divine. Nous ne sommes rien pour prétendre sauver l'Église: elle appartient à son Seigneur, et c'est lui qui doit la sauver. C'est à nous, en plus de prier et de souffrir pour elle, de pourvoir à notre propre sanctification personnelle. On a beaucoup parlé récemment de "l'option bénédictine[/Benoît]». Il est peut-être temps de commencer à la mettre en œuvre: se retirer en bon ordre et commencer à travailler sur nous-mêmes, laissant le Seigneur faire le reste.

Mon salut aux lecteurs n'est pas destiné à être un adieu final. Je sais que les situations peuvent changer et je veux laisser la porte ouverte à de possibles futurs changements d'avis. Je préfère donc terminer par un simple "à la prochaine, si et quand Dieu le veut".

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