Le P. Bergoglio durant la dictature argentine

Henri Sire - l'auteur de The Dictator Pope - reprend quelques épisodes en partie déjà connus sur l'attitude du futur pape durant la "guerre sale", en particulier l'accusation d'avoir livré deux jésuites alors qu'il était provincial de la Compagnie. (24/7/2018)

Selon Teresa, il s'agit d'un appendice écrit par l'auteur dans la mise à jour de la version en anglais de son livre.

Même si les faits en questions restent difficiles à prouver, ils forment un faisceau convergeant de preuves étayant le portrait plus sombre que celui diffusé par la vulgate, que ces cinq années de pontificat révèlent chaque jour davantage. Il est étrange qu'aucun media occidental (si curieux et réactifs quand ils veulent démolire quelqu'un) n'ait eu la curiosité d'enquêter en profondeur à ce sujet.

Les fidèles de l'Église sont mis au défi d'envisager la possibilité d'avoir comme pape une figure qui n'atteint pas les standards d'intégrité que nous en sommes venus à assumer pour cette fonction, et qui a mené avec succès une campagne de blanchiment minutieuse pour se présenter comme une figure spirituelle limpide, d'abord au public argentin et ensuite au monde entier.

Deux prêtres emprisonnés: Une étrange histoire datant de l'époque de François à Buenos Aires.


Henri Sire
onepeterfive.com
24 juillet 2017
Ma traduction

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La question des relations du P. Jorge Bergoglio avec le régime militaire argentin, au pouvoir de 1976 à 1983, a été traitée en 2005 par le journaliste Horacio Verbitsky, qui accusait Bergoglio d'avoir trahi délibérément deux de ses prêtres, les Pères Yorio et Jalics, auprès des autorités. Les accusations ont été rejetées, en grande partie à cause de la partialité marxiste et anticléricale de Verbitsky, et je ne suis pas ici pour revisiter les faits. Il est cependant utile d'étudier l'histoire que Verbitsky raconte, sur la base des récits des deux Jésuites, pour l'aperçu qu'ils donnent du caractère de Bergoglio.

Ce qui suit est un résumé d'un article publié par Horacio Verbitsky dans Salta, le 12 avril 2010, alors que Bergoglio était cardinal-archevêque de Buenos Aires. Le titre est : "'Mentiras y Calumnias'. Acusaciones de Yorio y Jalics contra el Cardenal Bergoglio" - Mensonges et calomnies. Accusations de Yorio et Jalics contre le Cardinal Bergoglio".
Le contexte de l'histoire est le suivant: en 1976, alors que le P. Jorge Bergoglio était provincial jésuite, un coup d'état établit une dictature militaire en Argentine. Deux des sujets jésuites du P. Bergoglio, le P. Orlando Yorio et le P. Francisco Jalics, étaient des prêtres de gauche en mission dans les bidonvilles du pays, où des actions terroristes avaient eu lieu dans les premiers jours du régime. Ils furent enlevés par l'armée et torturés avant d'être libérés. En 1995, après la chute du régime militaire, le P. Jalics a écrit un livre, Ejercicios de meditación, dans lequel il portait de graves accusations contre Bergoglio sans le nommer ouvertement. Dans le contexte de son arrestation, il notait que lorsque les prêtres de gauche travaillaient dans les bidonvilles, les sympathisants du régime militaire voulaient les dénoncer comme terroristes.

Et surtout:

Nous savions d'où venait le vent et qui était responsable de ces calomnies. Je suis donc allé parler à la personne en question et j'ai expliqué qu'il jouait avec nos vies. L'homme m'a promis qu'il ferait savoir aux militaires que nous n'étions pas des terroristes. Par des déclarations ultérieures d'un officier et par trente documents auxquels nous avons eu accès par la suite, nous avons pu découvrir sans le moindre doute que cet homme n'avait pas tenu sa promesse mais au contraire avait présenté une fausse dénonciation aux militaires.


Dans une autre partie du livre, Jalics ajoute que cette personne "a rendu la calomnie crédible, en utilisant son autorité" et "a affirmé aux officiers qui nous ont kidnappés que nous avions travaillé sur les lieux de l'action terroriste. Peu de temps auparavant, j'avais dit à cette personne qu'il jouait avec nos vies. Il devait savoir qu'il nous envoyait vers une mort certaine avec ses déclarations."

Pour l'identification de la personne anonyme, Verbitsky se réfère à une lettre que le P. Orlando Yorio écrivit en novembre 1977, peu après les événements, au P. Moura, l'assistant du général de la Compagnie de Jésus à Rome. Le récit de Yorio est évidemment parallèle à celui de Jalics; il raconte que le P. Bergoglio, en tant que provincial, lui avait dit au cours d'une conversation qu'il avait reçu des rapports défavorables à son sujet, et il avait nommé trois confrères jésuites, les Pères Oliva, Vicentini et Scannone, comme source de ces rapports. Cependant, quand le P. Yorio leur a parlé, ces derniers lui ont dit qu'ils avaient donné des opinions non pas contre lui, mais en sa faveur. Yorio déclare dans sa lettre que le P. Bergoglio avait promis de faire taire les rumeurs au sein de la Compagnie de Jésus et de parler aux militaires pour les assurer de l'innocence du P. Yorio et du P. Jalics, mais en tant que provincial, il n'a rien fait pour les défendre, et "nous avons commencé à avoir des soupçons sur son honnêteté". Yorio affirme que pendant des années, le P. Bergoglio les a soumis à un harcèlement caché, sans jamais assumer ouvertement les accusations contre eux, qu'il attribuait toujours à d'autres prêtres ou évêques. Ces ecclésiastiques ont démenti ces accusations lorsqu'ils ont été confrontés.

Selon Yorio, le P. Bergoglio lui avait garanti, à lui et au P. Jalics, trois ans de travail dans le district de Bajo Flores, mais Bergoglio a dit à l'archevêque Juan Carlos Aramburu qu'ils étaient là sans autorisation. C'est le P. Rodolfo Ricciardelli, qui l'a entendu de la bouche même de l'archevêque Aramburu, qui le leur a raconté. Le P. Yorio a donc défié le P. Bergoglio, qui a répondu en disant que l'archevêque Aramburu était un menteur.

Les circonstances entourant leur enlèvement par les autorités militaires ont été expliquées ainsi par les pères Yorio et Jalics: Le P. Bergoglio leur a conseillé, après qu'ils aient quitté la Compagnie de Jésus, d'aller voir l'évêque de Morón, Miguel Raspanti, dans le diocèse duquel ils pourraient conserver leur sacerdoce et leur vie, et il a offert d'envoyer un rapport favorable afin qu'ils soient acceptés. Mais les Pères Yorio et Jalics ont entendu du vicaire et de divers prêtres du diocèse de Morón que la lettre du P. Bergoglio à Mgr Raspanti contenait des accusations "suffisantes pour que nous ne puissions pas continuer à exercer le sacerdoce". Répondant au P. Yorio, le provincial a déclaré : "Ce n'est pas vrai. Mon rapport était favorable. Le problème, c'est que Raspanti est une personne âgée qui s'embrouille parfois". Mais Bergoglio a réitéré ses accusations à l'évêque Raspanti lors d'une autre rencontre qu'il a eue avec lui, comme ce dernier l'a révélé lui-même à un autre prêtre de Bajo Flores, le P. Dourrón. Le P. Yorio a donc de nouveau défié Bergoglio, et cette fois le provincial a répondu: "Raspanti dit que ses prêtres s'opposent à votre venue dans le diocèse".

Les Pères Yorio et Jalics se sont ensuite vu proposer de rejoindre une équipe pastorale dans l'archidiocèse de Buenos Aires. Le leader de l'équipe en a parlé à l'archevêque Aramburu, dont la réponse fut "Impossible. Il y a de très graves accusations contre eux. Je ne veux même pas les voir". Un des prêtres de l'équipe s'est plaint au vicaire épiscopal du district de Flores, le P. Serra, qui a répondu : "Les accusations viennent du Provincial", et il a dit au P. Yorio qu'il serait privé de sa licence pour exercer le sacerdoce dans l'archidiocèse parce que le provincial lui avait dit qu'il quittait la Compagnie de Jésus.

Interrogé à ce sujet, le P. Bergoglio répondit : "Ils n'avaient pas besoin de vous retirer votre licence. C'est l'oeuvre d'Aramburu. Je vous donne une licence pour continuer à dire la messe en privé, jusqu'à ce que vous trouviez un évêque".

La dernière tentative de trouver un évêque pour incardiner les deux prêtres a été faite par le Révérend Eduardo González qui, en mai 1976, a contacté l'archevêque de Santa Fe, Vicente Zazpe. L'archevêque a répondu: "Il n'est pas possible de les accepter parce que le Provincial dit qu'il les renvoie de la Compagnie de Jésus". Sur ce, l'équipe pastorale a envoyé une lettre de protestation au P. Bergoglio, avec copie à Mgr Aramburu, à Mgr Raspanti et au nonce, Pio Laghi, mais ils n'ont pas reçu de réponse.

Quelques jours plus tard, les Pères Yorio et Jalics furent kidnappés et torturés par les forces militaires. Ils ont été libérés par la suite après la négociation d'un accord entre le gouvernement et l'Église. La question s'est alors posée de les faire sortir du pays. Le P. Bergoglio, en tant que provincial jésuite, ne voulait pas les envoyer à Rome. Le P. Yorio a été abrité par une religieuse, Norma Gorriarán, jusqu'à ce que le P. Bergoglio lui demande de lui dire où se trouvait le P. Yorio, en apparence dans le but de le protéger. Sœur Gorriarán n'était pas convaincue et a refusé. Bergoglio, raconte-t-elle, "tremblait de fureur qu'une moniale insignifiante lui tienne tête. Il m'a pointé du doigt et m'a dit : 'Vous êtes responsable des risques qu'Orlando [Yorio] court, où qu'il soit'". Finalement, le nonce a obtenu des papiers pour le P. Yorio, et le P. Bergoglio a autorisé le paiement de son voyage à Rome.

En arrivant à Rome, le P. Yorio a appris du P. Gaviña, secrétaire général des Jésuites, qu'il était renvoyé de la Compagnie de Jésus et aussi que la raison pour laquelle lui et le P. Jalics avaient été capturés par les militaires était que le gouvernement argentin avait été informé par leurs supérieurs religieux qu'au moins l'un d'entre eux était un guérillero. Cette information a été fournie par l'ambassadeur argentin, qui l'a confirmée par écrit.

Quant au P. Jalics, il a déclaré qu'après sa libération, le P. Bergoglio s'est opposé à son maintien en Argentine et il s'est adressé aux évêques afin qu'ils ne l'acceptent pas comme prêtre dans leur diocèse. Le P. Jalics a raconté cela par la suite, lorsque Bergoglio était devenu évêque et archevêque, et il a noté que Bergoglio avait pris l'habitude de le rechercher et de lui parler dans le cadre de l'opération de blanchiment qu'il était à l'époque en train de perfectionner.

Des informations ont également été données à Verbitsky par le frère du P. Yorio, Rodolfo, qui put dire à l'écrivain, comme témoin direct, que le P. Bergoglio avait des contacts personnels avec le régime militaire. Il se souvint d'une rencontre avec le provincial, qui lui a dit qu'il était sur le point de recevoir la visite de militaires, et en sortant, [Rodolfo] a vu une voiture devant la porte et trois officiers en sortir. Rodolfo Yorio a ajouté que le P. Bergoglio utilisait parfois ces contacts pour protéger des gens: "Je connais des gens qu'il a aidés. Cela montre ses deux visages et sa proximité avec les autorités militaires. Sa façon de gérer l'ambiguïté est magistrale. S'ils étaient tués, il en était débarrassé; s'ils étaient sauvés, il était celui qui les avait sauvés. C'est pourquoi il y a des gens qui le considèrent comme un saint et d'autres qui sont terrifiés par lui."

Comme je l'ai dit au début, mon but n'est pas de discuter si le P. Bergoglio a effectivement trahi les Pères Yorio et Jalics auprès du régime militaire. Il est généralement admis que Verbitsky n'a pas réussi à prouver ses accusations, bien qu'elles n'aient pas été réfutées de façon concluante. Ce qui m'intéresse ici, c'est l'image du caractère de Bergoglio qui émerge de ce récit. Il serait facile d'inventer une accusation de collaboration avec le régime militaire pour des motifs politiques, mais il serait difficile de fabriquer à partir de rien l'impression envahissante de duplicité et les accusations et contre-accusations de fausseté qui marquent l'histoire racontée par les pères Yorio et Jalics. De plus, cela colle étroitement avec les récits sur Bergoglio provenant d'autres sources. Les fidèles de l'Église sont donc mis au défi d'envisager la possibilité d'avoir comme pape une figure qui n'atteint pas les standards d'intégrité que nous en sommes venus à assumer pour cette fonction, et qui a mené une campagne de blanchiment minutieuse et couronnée de succès pour se présenter comme une figure spirituelle limpide, d'abord au public argentin et ensuite au monde entier.

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