Le Pape et l'audimat (encore!)

C'est au tour du Père Scalese d'analyser, non sans humour, le fiasco de l'émission de télévision dont le Pape était l'invité. Et de revenir, avec une lucidité bienvenue, sur le mythe médiatique de "Benoît XVI, le Pape qui ne plaît pas aux gens" (11/1/2017)

Voir aussi:
>>> François et l'audimat
>>> François et l'audimat (suite)

Il doit bien y avoir une raison

Padre Giovanni Scalese CRSP
11 janvier 2018
querculanus.blogspot.fr
Ma traduction

* * *

Don Filippo Di Giacomo, dans le dernier numéro du Venerdí di Repubblica (5 janvier 2018), nous informe du flop de l'émission de TV2000 Padre Nostro, qui a vu la participation de rien de moins que le Pape:

«Le Pape François a été protagoniste d'une émission programmée tous les mercredis à partir du 25 octobre sur la chaîne TV 2000 - celle qu'on appelle la télévision des évêques -, intitulée Padre Nostro, et animée par don Mario Pozza, aumônier de la prison de Padoue. L'émission a été accompagné d'un grand et long battage publicitaire, avec annonce sur tous les organes de communication possibles, de la presse papier à la radio, et, en présence de don Pozza, sur les principales chaînes de télévision nationales. Mais malgré les efforts déployés, elle a enregistré des taux d'écoute si bas qu'ils en sont embarrassants. Confirmant, avant tout, ce que les chiffres attestent depuis trois ans: le Pape François, à la télévision, vaut la moitié de Benoît XVI: si le second faisait une audience moyenne autour de 20%, son successeur oscille entre 9 et 12% des téléspectateurs.
Si, comme le disait McLuhan, (mort catholique pratiquant, avec une grande méfiance envers le micro sur l'autel et un dégoût profond pour les messes "contemporaines") "le medium est le message", les gens changent de chaîne quand apparaît une soutane télédiffusée: il doit bien y avoir une raison...».


Il y a un mois, nous nous étions nous aussi occupés de cette émission (cf. benoit-et-moi.fr/2017), à la suite des polémiques suscitées par les déclarations du Pape François sur la traduction de la sixième invocation du Notre Père («Et ne nous induis pas en tentation»). Maintenant, nous apprenons de Di Giacomo que cette émission a été un fiasco et que l'audience du Pape François à la télévision oscille entre 9 et 12%. Je ne suis pas un expert dans ce domaine, je ne saurais donc pas évaluer la consistance réelle de certains chiffres d'écoute; mais je fais confiance à don Filippo, qui en sait certainement plus que moi et que j'ai toujours apprécié, même dans la diversité des points de vue, pour une honnêteté intellectuelle peu commune.
Indépendamment des évaluations techniques, cependant, je pense que certaines réflexions générales ne peuvent être évitées.

1. Il faut dire clairement que non seulement le succès n'est pas une valeur en soi, mais qu'il n'est pas non plus un paramètre pour juger de la valeur d'une personne ou d'une initiative. Ceci, qui est un principe général, est d'autant plus vrai pour nous chrétiens: nous ne pouvons mesurer la sainteté d'une personne ou la validité d'une activité pastorale sur la base du consensus que cette personne recueille ou de l'approbation que cette activité reçoit. Si nous devions juger sur la base du succès, Jésus-Christ et les martyrs devraient être catalogués parmi les "ratés" auxquels on ne devrait pas rendre hommage. Au contraire, si l'on s'en tient à l'évangile, l'échec doit être considéré comme un motif de béatitude: «Heureux es-tu, quand les hommes te haïront, quand ils te banniront, t'insulteront et mépriseront ton nom comme infâme, à cause du Fils de l'homme... Malheur à toi, quand tous diront du bien de toi» (Lc 6,22,26). Le fait que le succès ne puisse pas être la raison ultime de notre action ne signifie pas que nous ne devons pas non plus prendre en compte les réactions positives ou négatives que nos paroles et nos actions provoquent chez ceux qui nous entourent et nous interroger sur les motifs qui ont conduit à ces réactions.

2. Il faut cependant dire que le pontificat actuel a beaucoup misé sur l'image. Et même, si je me souviens bien, l'un des thèmes qui avait été le plus discuté lors des réunions des Cardinaux en préparation du Conclave de 2013 était justement comment faire en sorte que l'Église récupère une image qui semblait irrémédiablement compromise. Dès le début du nouveau pontificat, on s'est aperçu qu'une importance particulière était accordée à l'image. Vous souvenez-vous de la résonance médiatique donnée au Pape qui va régler sa note à la Maison du clergé, Via della Scrofa? Il s'agissait de faire passer l'idée d'un Pape 'sympa', qui se comporte comme n'importe lequel d'entre nous et qui ne reste pas barricadé au Vatican, enfermé dans ses appartements et éloigné de la vie et des problèmes des gens ordinaires. Là, nous avons tous été impressionnés par la nouveauté; puis, compte tenu aussi de la répétitivité et, disons les choses, de l'artificialité de certaines "trouvailles", nous nous sommes habitués au nouveau cours et nous sommes devenus plutôt sceptiques et indifférents. Rentrent dans ce nouveau cours les conférences de presse en avion, les interviews avec des journaux et des magazines et dernièrement, la participation régulière à une émission de télévision. Eh bien, peut-être n'a-t-on pas suffisamment tenu compte du fait que les programmes de télévision font l'objet d'un contrôle systématique de la satisfaction du public. Et les données Auditel du programme en question sont impitoyables. Pour un pontificat qui tient à l'image, ce résultat est sans aucun doute un très sérieux échec.

3. Les comparaisons sont toujours antipathiques, mais comme c'est don Filippo Di Giacomo qui les fait, on ne peut pas faire comme si de rien n'était. Il semblait que l'un des plus grands problèmes du pontificat de Benoît XVI était la relation avec le monde de l'information. Disons mieux: qu'il y eût un problème entre le pape Ratzinger et les médias est un fait, mais il faut se demander qui était responsable de la difficulté de cette relation. L'opinion commune n'a jamais douté de qui devait être tenu responsable de l'incommunicabilité: le pape théologien, l'intellectuel qui vivait parmi ses livres et incapable de parler au peuple. Aujourd'hui, nous découvrons que son indice de satisfaction télévisuelle était deux fois plus élevé que celui de son successeur si populaire et proche des problèmes des gens. Alors, ne faudrait-il pas revoir l'interprétation de la relation difficile entre Ratzinger et les médias? La faute pour l'incommunicabilité n'était probablement pas le fait du premier mais des seconds. De la même manière, la construction du mythe du Pape-qui-plaît-aux-gens, doit être attribuée aux médias, puisque, du moins à la télévision, il ne rencontre pas toute l'approbation que l'on pourrait attendre. Mais le problème, apparemment, ne concerne pas seulement les programmes de télévision: il semble que la place Saint-Pierre ne soit pas toujours si remplie que cela.
Je dis "il semble" parce que je n'ai aucun moyen de vérifier en personne [NDT: si; il y a la webcam de la Place Saint-Pierre]; et la télévision ne nous est pas très utile (la télévision, pas seulement dans ce cas, ne montre toujours que ce qu'elle veut montrer. Le plus beau, c'est qu'au temps du Pape Benoît XVI ils ne cadraient pas la place, parce qu'on aurait pu voir qu'il y avait plus de fidèles que les "quatre chats" dont parlaient les journaux; maintenant ils ne la cadrent pas, pour ne pas montrer qu'il n'y a pas les foules que l'on voudrait faire croire.

4. Le flop de l'émission Padre Nostro pourrait s'expliquer par le fait qu'elle a été diffusée sur TV2000, la télévision des évêques qui n'est certainement pas parmi les chaînes favorites du public. Bien sûr, TV2000 n'est pas un des chaînes de la RAI, Mediaset ou Sky; mais cela ne veut pas dire qu'elle n'a pas ses fidèles téléspectateurs: certaines émissions, comme le Rosaire en direct de Lourdes, recueillent des indices d'audience qui ne sont pas méprisables du tout, certainement supérieurs à ceux de Padre Nostro.

5. Padre Nostro était une émission pensée et réalisée selon les canons de "l'Église qui sort"; les ingrédients étaient là: le Pape-qui-plaît-aux-gens, qui est interviewé, comme tout autre VIP, par un "prêtre de rue", aumônier des prisonniers, avec une apparence jeune et en tenue décontractée (loin de la "soutane télédiffusée"!). Pourtant, apparemment, cela n'a pas fonctionné. Il semblerait que les gens ne sont pas du tout attirés par ce type d'Église, qui est probablement perçue comme plus cléricale que l'Église-restée-en-retard-de-deux-cents-ans de Benoît XVI.

6. La conclusion à l'issue de ces considérations est qu'il ne convient peut-être de courir après le monde pour se faire accepter par le monde. Peut-être est-il préférable de rester soi-même: il est préférable que l'Église continue à être l'Église de toujours, sans avoir besoin de se camoufler; que le Pape, pour être entendu et se faire aimer, ne se sente pas obligé d'aller à la télévision ou de trouver chaque jour quelque expédient pour faire parler de lui, mais recommence à faire le Pape avec simplicité et discrétion, comme cela s'est toujours fait; que tous dans l'Église, du Souverain Pontife aux derniers fidèles, cessent d'imiter le monde et de dire ce que l'on pense plaire au peuple, mais recommencent à dire et à faire seulement ce que le Christ a dit et fait et que l'Église a toujours enseigné.

Tous droits réservés.
La reproduction, uniquement partielle, des articles de ce site doit mentionner le nom "Benoît et moi" et renvoyer à l'article d'origine par un lien.