Le Pape traite d'économie

Avec Guido Gentili, directeur de 'Il Sole 24 Ore'

... - un sujet qu'il ne maîtrise pas - dans une longue interview du 7 septembre, au quotidien économique italien 'Il Sole 24 Ore'. L'analyse de Stefano Fontana (9/9/2018)

>>> L'interview complète en v.o.:
www.ilsole24ore.com .

 

Mais d'abord, le post impitoyable d'Antonio Socci sur Facebook:


Il est devenu pape, même s'il est quelque peu à jeun en théologie (et les désastres qu'il a causés sont immenses). Il pontifie sur le climat sans être climatologue et sans rien en savoir.
Avec son amateurisme idéologique, il a plongé les gouvernements du PD dans les difficultés colossales de la migration de masse (après Lampedusa, 600.000 migrants en quatre ans). Ce matin, Bergoglio a cru bon aussi de pontifier sur un autre sujet qu'il ignore: l'économie. Il parle de tout sauf de ce à quoi il serait tenu de répondre : le Mémorandum de Viganò. Là-dessus, il se tait.

Le Pape et l'ambiguïté de l'éthique économique


Stefano Fontana (*)
www.lanuovabq.it
8 septembre 2018
Ma traduction

* * *

Dans la longue interview du le Pape François par Il Sole 24 Ore sur les questions économiques et sociales, de nombreux concepts déjà approfondis par ses prédécesseurs sont repris, mais ce que l'on entend par éthique - un terme sur lequel Benoît XVI avait déjà mis en garde -, reste indéfini.


(*) Directeur de l'Observatoire International cardinal Van Thuan sur la doctrine sociale de l'Eglise.


Il Sole 24 Ore a publié hier une longue interview du Pape François sur des thèmes de la doctrine sociale de l'Eglise comme le travail, l'entreprise, l'économie et la finance, les migrants (1), l'Europe. Aux questions du directeur Guido Gentili, le Pape François a répondu avec des expressions qui lui sont chères comme par exemple témoigner l'espérance, élargir les horizons, société du déchet (scarto), éthique amie de l'homme, économie qui tue, etc.

Ce sont des expressions très efficaces, qui captent avec justesse un désir de changement largement répandu, comme l'emploi continuel de l'adjectif "nouveau": "un nouvel humanisme est nécessaire" : il faut cependant reconnaître qu'elles peuvent se prêter à divers contenus. Par exemple, est un "rejeté" (/déchet) non seulement le chômeur mais aussi l'entrepreneur pris à la gorge par le fisc, qui doit fermer; est un "rejeté" l'immigrant mais aussi l'Italien qui reste sans abri alors que sa municipalité a attribué des logements aux immigrants; les peuples pauvres sont "rejetés" par la faute des riches mais aussi et surtout à cause des faiblesses internes à leur culture. Le Pape jette toujours le cœur plus loin que l'obstacle, mais si l'espérance ne se nourrit pas aussi de vérité, elle devient illusion.

Dans l'interview, le Pape François reprend de nombreux concepts élaborés par ses prédécesseurs, non seulement Paul VI, qu'il mentionne expressément, mais aussi Benoît XVI et Jean-Paul II. L'analyse du profit et de l'entrepreneur avait été parfaitement traitée dans Centesimus annus de Jean-Paul II, dont nous trouvons quelques élémnts dans cette interview. L'idée que la professionnalité est d'abord humaine et ensuite technique, nous la retrouvons encore dans Centesimus annus, où il est dit que chaque homme est entrepreneur de lui-même. La nécessité de lier la professionnalité du secteur non lucratif à celles du secteur privé et du secteur public est discutée dans Caritas in veritate de Benoît XVI. L'idée que le travail n'est jamais seulement individuel mais aussi social est bien présente dans Laborem exercens et encore dans Centesimus annus: travailler c'est toujours "travailler avec les autres et pour les autres". L'idée que le marché a besoin de valeurs qu'il n'est pas capable de produire seul, et que, si elles viennent à manquer, il n'est pas capable de récupérer, est aussi très présente chez Jean-Paul II. La relation intrinsèque entre éthique et économie dès le début et pas seulement dans la phase de redistribution des richesses produites a été affirmée avec récision dans Caritas in veritate. Que la principale ressource d'une entreprise soit l'homme, cela a été dit par Jean-Paul II dans Centesimus annus, laquelle encyclique avait longuement argumenté en faveur de l'inadéquation des subventions de l'Etat qui créent la dépendance et dé-responsabilisent.

Tous ces concepts, et d'autres encore, sont repris par le Pape François dans son interview avec l'ajout, comme nous l'avons dit plus haut, de sa typique phraséologie à effet, et sans les aprofondissements menés précédemment, puisqu'il s'agit d'une interview, longue certes, mais malgré tout une simple interview et non une nouvelle encyclique.

Les expressions à effet, appréciables à l'oreille, peuvent pourtant contenir des dangers. Par exemple, la concurrence est opposée à l'entraide: "évitons la concurrence pour embrasser l'entraide". Mais la Doctrine sociale de l'Église n'a jamais condamné la concurrence du marché, tout en en réclamant une réglementation juridique et éthique. Autre exemple: "Les pauvres qui se déplacent effraient surtout ceux qui vivent dans le bien-être": mais ceux qui se déplacent, le font pour mille raisons, et ce ne sont pas seulement les pauvres de la planète en opposition aux riches - puisque ceux qui viennent ici sont généralement aisés par rapport au niveau de vie de leur pays - et les habitants des "pays riches" ne sont pas tous riches, loin de là (*).

L'entretien avec le Pape François est appréciablement riche en observations éthiques, mais il oublie complètement les questions bioéthiques, tout d'abord celles de la vie, qu'au contraire Caritas in Veritate considérait comme fondamentales pour le développement des peuples. Ce sont ces questions aujourd'hui qui freinent le développement, y compris économique, des pays, riches ou pauvres. Si l'Etat finance l'avortement, la rectification chirurgicale de l'identité sexuelle, l'insémination artificielle, les colmatages pour stopper la détérioration de la famille... il ne peut pas financer le logement pour les jeunes couples ou alléger les impôts des entreprises et, ce faisant, il contribue à démolir le "capital social" et la stabilité globale du système moral, deux éléments fondamentaux de l'économie. L'interview ne fait aucune référence à ce lien important.

C'est une interview riche d'observations éthiques, disais-je. Mais le problème est celui-là: Benoît XVI avait mis en garde sur ce point: ce que le monde appelle aujourd'hui éthique n'est pas toujours éthique. Les codes éthiques des entreprises ne le sont souvent pas, de même que de nombreux rapports éthiques dans lesquels on parle de l'économie de la cellulose pour préserver les forêts mais pas pour aider à la maternité des salariés. Il ne suffit pas d'inviter à l'éthique si on ne précise pas ce qu'on entend par ce terme et, surtout, si on ne précise pas que l'éthique sans la religion chrétienne se perd de vue elle-même et se prête à d'infinies manipulations idéologiques. Malheureusement, dans l'entretien avec le Pape François, on ne parle jamais du christianisme, mais seulement de l'éthique.

NDT


(1) Extrait de Vatican News:

L’entretien au quotidien Il Sole 24 Ore porte également sur la défiance dont les «pauvres» sont victimes dans de nombreuses sociétés «surtout celles qui vivent dans le bien-être». Il n’y a pas d’avenir pacifique de l’humanité si la diversité n'est pas accueillie dans la solidarité sans penser que «l’humanité est une seule famille», explique-t-il. Dans cette perspective, la crise migratoire «est un grand défi pour tous». Il faut se convaincre que les hommes font «un voyage commun», et ne pas avoir peur de le partager avec espérance: «En faisant l’effort de comprendre leur culture, sans négliger les difficultés du contexte actuel, nous donnerions un signe clair au monde, d’une Église qui essaie d’être ouverte, inclusive et accueillante, une Église mère qui embrasse chacun dans le partage de ce voyage commun».
...
Le Pape est aussi questionné sur les forces politiques populistes qui ont repris de la vigueur en Italie ces derniers mois, et qui se manifestent dans la fermeture des frontières. Il exhorte à regarder d’abord ces personnes qui fuient la misère et la famine, et sollicite «de nombreux entrepreneurs» tout comme les institutions européennes à investir dans la formation, dans l’école et dans le travail afin que ces personnes puissent s’intégrer par un emploi digne.
Intégration et logement digne
«Face aux milliers de morts, il y a eu trop de silences» déplore le Saint-Père faisant allusion aux migrants de la Méditerranée. «Le Seigneur promet de libérer à tous les opprimés du monde, mais il a besoin de nous pour rendre sa promesse efficace, il a besoin de nos voix pour dénoncer les injustices commises dans le silence» rappelle-t-il. Surtout, «le Seigneur a besoin de notre cœur pour manifester l’amour miséricordieux de Dieu envers les plus petits, ceux qui sont abandonnés et marginalisés».
Développant sa réflexion sur les migrants, le Pape rappelle enfin l’importance de mettre en place des structures d’accueil «qui permettent de surmonter les peurs et les inquiétudes».

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