Le Vatican a ouvert une boîte de Pandore

(plaintes, demandes d'indemnisation, etc.) en interdisant aux évêques américains de prendre des mesures immédiates dans la lutte conntre les abus sexuels du clergé. Aldo Maria Valli se demande si cette intervention ne pourrait pas se transformer en "boomerang" (21/11/2018)

Où l'on apprend aussi que McCarrick lui-même (avec l'un de ses "protégés", l'archevêque de Chicago Cupish) serait à l'origine du diktat du Saint-Siège, «dans le but d'éviter la création d'une commission d'enquête indépendante, dirigée par des laïcs».

Ce diktat qui pourrait se transformer en boomerang


Aldo Maria Valli
www.aldomariavalli.it/
20 novembre 2018
Ma traduction

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La rencontre annuelle des évêques des États-Unis, qui s'est tenue à Baltimore, est maintenant terminée, mais les commentaires ne le sont pas. Au centre des réflexions se trouve le diktat du Vatican, imposé aux évêques par une lettre arrivée à Baltimore au dernier moment, qui leur ordonnait de ne rien voter sur la question des abus sexuels. Motif? Mieux vaut attendre la rencontre des présidents des conférences épiscopales du monde entier, qui aura lieu à Rome en février 2019.
Mais le Vatican, qui envoie ces signaux, se sont demandés de nombreux observateurs, est-ce le même qui parle si souvent contre le cléricalisme, en faveur de la synodalité, de la décentralisation et d'un plus grand espace décisionnel à accorder aux conférences épiscopales ?

Quelque chose ne colle pas.

Même le National Catholic Reporter, le journal catholique progressiste américain bien connu raconte que le cardinal DiNardo, président de la Conférence épiscopale américaine, ne pouvait cacher sa déception quand il a annoncé la décision du Vatican. Puis, pendant les pauses-café, dans les conciliabules entre eux, les évêques se sont plaints et même les plus proches du Pape François ont manifesté de l'angoisse. Est-il possible, se sont-ils interrogés, que Rome ne comprenne pas sous quelle pression nous sommes?
Baltimore, écrit le New York Times, a été un fiasco, mais un fiasco voulu par Rome. Pourquoi? Pourquoi a-t-on préféré l'immobilisme, alors que l'opinion publique réclame des mesures concrètes?
Surtout, avec l'ordre donné aux évêques américains, le Vatican a mis la hiérarchie américaine dans une «position impossible», comme le note Philip Lawler dans First Things. En effet, à ce stade, les évêques américains ne peuvent pas apaiser la colère d'un laïcat furieux sans paraître déloyaux envers Rome, mais ils ne peuvent pas non plus restaurer leur propre crédibilité sans nuire à celle du Saint Siège.
Après un été terrible et douloureux, Baltimore devait représenter le tournant, et les évêques étaient prêts à faire quelque chose pour se racheter. Au contraire, voilà qu'arrive la douche froide représentée par l'ordre de Rome. De plus, arrivée après le rejet par le Pape de la demande de visite apostolique du cardinal DiNardo.
Ceux qui justifient l'intervention du Vatican disent que le Saint-Siège craignait que certains aspects des mesures prises par les évêques américains entrent en conflit avec le droit canon. «Mais - observe Lawler - si de tels conflits s'étaient réellement produits, ils auraient pu être résolus en temps utile par les tribunaux ecclésiastiques compétents». Sans compter que «le Pape François n'a cessé d'avoir une attitude méprisante à l'égard du droit canon et a souvent invectivé ceux qu'il appelle les docteurs de la loi».
Ceux qui prétendent qu'il est juste d'attendre la grande rencontre de février, pour ne pas procéder en ordre dispersé, oublient que le Vatican a permis aux évêques français d'établir leur propre politique en matière d'abus, sans attendre février, et que c'est aussi le cas des évêques italiens. Alors, pourquoi cette différence de traitement des évêques américains ?

Le problème réside clairement dans l'affaire McCarrick et dans la dénonciation de Mgr Viganò. Car s'il est vrai que le scandale McCarrick est américain, il est également vrai que, selon le témoignage de l'ex-nonce, il implique directement Rome et le pape François. Voilà pourquoi le Vatican ne veut pas que l'enquête se poursuive de façon autonome, sans contrôle de Rome.
Que ce soit la véritable explication, c'est ce que prétend la Catholic News Agency (CNS), affirmant que les cardinaux Wuerl de Washington et Cupich de Chicago ont activement collaboré à la décision du Vatican, le tout dans le but d'éviter la création d'une commission d'enquête indépendante, dirigée par des laïcs.
Selon le plan Wuerl-Cupich, à la place de la commission indépendante, projet auquel travaillait la Conférence épiscopale des Etats-Unis, ce sont les archevêques métropolitains qui devraient enquêter sur les évêques. Ce qui permettrait automatiquement un meilleur contrôle sur l'affaire McCarrick, l'ex-cardinal prédécesseur de Wuerl à Washington et au centre d'un réseau dense de relations.
Donc, pour éviter la commission indépendante, le Vatican n'a pas hésité à aller à l'encontre de la ligne de la synodalité et de la décentralisation, et a également accepté le risque d'être accusé de ce cléricalisme que le Pape indique souvent comme la véritable racine à l'origine des abus.

Toutefois, la décision de Rome pourrait s'avérer être un boomerang. En intervenant de façon drastique auprès des évêques américains, explique Benjamin Harnwell sur Breitbart, le Saint-Siège a en effet porté atteinte à un principe jusqu'ici toujours mis en avant face aux accusations de négligence dans le traitement des abus sexuels, autrement dit que les éventuelles responsabilité incombent aux diocèses individuels et non au Vatican.
A présent, en vertu du "stop" imposé par le Vatican aux évêques américains, les éventuels promoteurs d'actions en justice pourront légitimement prétendre qu'en réalité c'est le Saint-Siège qui décide, l'exposant ainsi à de lourdes demandes d'indemnisation.

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