Les mises en garde d'un prêtre espagnol non tradi

Aldo Maria Valli renvoie au P. Santiago Martin, bien connu de mes lecteurs grâce aux traductions de Carlota, pour dénoncer la confusion qui règne dans l'Eglise et le risque, plus présent que jamais, de schisme (4/3/2018)

>>> Nombreuses traductions de textes de lui sur ce site: https://goo.gl/3eixYL

Dieu est amour, oui, mais en premier, il ne nous a pas enseigné qu'Il est amour. En premier, Il nous a enseigné qu'Il est le Tout-Puissant, qu'Il est le Seigneur, qu'Il est le Juge. Un juge aimant, un juge paternel, un juge miséricordieux, mais un juge. Mépriser le concept de Dieu comme juge, traiter le Juge comme s'il était un criminel: voilà à quoi nous sommes arrivés! (...) mépriser la moralité comme on le fait en ce moment, dire - comme beaucoup le disent - que le christianisme n'est pas un moralisme - et dire ainsi qu'on peut être chrétien en marge d'un comportement éthique - c'est réduire le christianisme au sentimentalisme».

Les avertissements du Père Martin


Aldo Maria Valli
4 mars 2018
Ma traduction

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Il s'appelle Santiago Martin. C'est un religieux espagnol, né à Madrid en 1954, fondateur en 1988 des Franciscains de Marie, qui a reçu en 2007 l'approbation du Pape Benoît XVI. Le mouvement, qui a son propre séminaire, est présent dans une trentaine de nations et compte une dizaine de milliers de membres.

Toujours très clair dans ses analyses de l'état actuel de l'Église catholique, le père Martin ne craint pas de parler, depuis quelques années déjà, de confusion, de polarisation excessive et du danger d'un schisme.

Aux micros de Magnificat.tv, le Père Martin a noté récemment que la question de la pédophilie au Chili, qui a clairement mis le pape en difficulté, pourrait marquer un tournant: pour la première fois, les médias progressistes et libéraux ne se sont pas montrés favorables à François.
Dans ce contexte difficile, déjà marqué par de profondes divisions au sein de l'Église, selon le Père Martin, le pontificat de François continue d'ajouter des thèmes qui accentuent encore les fractures et le sentiment général de confusion.
Un exemple, affirme le religieux, est fourni par les déclarations du Cardinal Beniamino Stella, Préfet de la Congrégation pour le clergé, selon lesquelles le prochain Synode pour l'Amazonie pourrait être l'occasion d'ouvrir au sacerdoce des viri probati, une mesure qui ouvrirait à son tour la porte à la fin du célibat obligatoire pour les prêtres.
Ce faisant, affirme le religieux, on ouvre un nouveau front, qui s'ajoute au front déjà suffisamment chaud et controversé relatif à Amoris laetitia et à l'accès aux sacrements pour les divorcés remariés. Nous sommes confrontés à une accélération qui ne fait pas pas de bien à l'Église. Dans ces conditions, «appuyer sur la pédale d'accélérateur» est nuisible, car il y a déjà «trop de confusion, trop de tension» et on ne ressent pas la nécessité d'ouvrir de nouveaux fronts de discussion.

Dans un autre commentaire, publié cette fois-ci par le quotidien hondurien La Prensa, le Père Martin a attiré l'attention sur l'activité de l'Académie Pontificale pour la Vie et a dit qu'il n'est pas normal que les membres de cet organisme se déclarent en faveur de l'utilisation de la contraception artificielle. Il n'est pas non plus normal qu'un groupe conséquent de catholiques convertis de l'Islam écrivent, comme cela s'est produit, une lettre au pape pour dénoncer qu'ils se sentent abandonnés par l'Église.

La situation est très inquiétante, explique le Père Martin, parce que d'un côté, il y a un courant moderniste qui semble travailler selon la méthodologie du fait accompli et d'un autre côté il y a un monde catholique, de plus en plus désorienté, qui ne se sent pas partie intégrante de cette Église déséquilibrée vers la mentalité dominante. Ainsi, la confusion s'ajoute à la confusion, la tension s'ajoute à la tension, et on ne voit pas comment en sortir, parce que les questions controversées se multiplient à grande vitesse, alors qu'au contraire, il faudrait rester calmes et beaucoup prier.

Le danger du schisme ne serait donc pas si éloigné: on dirait presque que quelqu'un pousse pour y arriver.

Dans l'un de ses discours les plus célèbres, la conférence "Amour, vérité et miséricorde", en mai 2014, [ndt: Carlota en a traduit de larges extraits ici: benoit-et-moi.fr/2014-I. Voir aussi: benoit-et-moi.fr/2015-II/actualite/risque-de-schisme], le prêtre espagnol affirme: «L'usage qui est fait du concept de miséricorde est un usage absolument démagogique, et donc faux et nocif. Le concept de Miséricorde, mal compris, séparé du concept de Vérité - donc du concept d'Amour - peut être nocif, terriblement noccif. Même pour la personne théoriquement invitée à en bénéficier».

Et encore: «Je crois qu'il y a des moments dans la vie où il faut avoir le courage de parler. Et parler franchement, honnêtement, car - comme nous le disons en espagnol - Celui qui avertit n'est pas traître. Pour que certaines choses ne se produisent pas - mais il y a beaucoup, beaucoup de choses qui arrivent - c'est le moment décisif de parler. D'autres le font à pertir d'autres domaines: du point de vue théologique, patristique, dogmatique, canonique[...]. Le Nouveau Testament n'est pas le seul testament. La Révélation du Christ, le Nouveau Testament, est une révélation qui complète une autre révélation. L'oublier, c'est enlever les fondations du bâtiment, provoquant ainsi sa ruine. Dieu est amour, oui, mais en premier, il ne nous a pas enseigné qu'Il est amour. En premier, Il nous a enseigné qu'Il est le Tout-Puissant, qu'Il est le Seigneur, qu'Il est le Juge. Un juge aimant, un juge paternel, un juge miséricordieux, mais un juge. Mépriser le concept de Dieu comme juge, traiter le Juge comme s'il était un criminel: voilà à quoi nous sommes arrivés! Jésus affirme qu'Il est le chemin et Il considère le Décalogue comme quelque chose qui ne peut pas être effacé. Personne ne peut le faire! Par conséquent, mépriser la moralité comme on le fait en ce moment, dire - comme beaucoup le disent - que le christianisme n'est pas un moralisme - et dire ainsi qu'on peut être chrétien en marge d'un comportement éthique - c'est réduire le christianisme au sentimentalisme».

Le Père Martin a récemment relancé le nouvel appel du Père Thomas G. Weinandy, le théologien qui, après avoir écrit une lettre ouverte au pape l'été dernier, a tenu en février à Sydney une conférence dans laquelle il a explicitement stigmatisé certaines lignes pastorales qui, encouragées par le Pontife, sapent les fondements mêmes de l'Église «une, sainte, catholique et apostolique» et, en particulier, mettent en discussion l'Eucharistie comme source et sommet de la vie de l'Église elle-même.

De plus, le Père Martin n' a pas hésité à reprocher aux évêques allemands la décision d'admettre sous certaines conditions les époux protestants des catholiques à la Sainte Communion. «Quand l'exception détruit la règle» était le titre de son intervention, opposée à la ligne pastorale fondée sur la logique au cas par cas.

Dans la conférence déjà citée, le Père Martin explique, à propos de la conception sentimentaliste de la foi chrétienne, que le long de ce chemin, le sujet finit par légitimer tout comportement, s'auto-justifiant toujours: c'est une conception «selon laquelle je fais ce que je veux de ma vie et je prétends de Dieu qu'il soit content de moi».

Mais «affirmer que la miséricorde doit être appliquée en marge de la Vérité ou contre elle, cela, c'est contraire aux enseignements du Christ». Affirmer qu'il n'y a pas de Vérité absolue et objective «n'est pas seulement nier deux mille ans de pensée chrétienne», mais aussi «rétrograder culturellement à une époque antérieure à Socrate».

Comme le dit Joseph Ratzinger dans "Dieu et dans le monde. Être chrétien dans le nouveau millénaire" [ndt: en français, "Voici quel est notre Dieu"], en conversation avec Peter Seewald, «personne n'a plus le courage de dire que ce que la foi dit est vrai. On craint de se montrer intolérant aux autres religions ou aux autres visions du monde. Et les chrétiens se renforcent mutuellement dans leur crainte d'une prétention trop élevée à la vérité».

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