Une béatification qui divise (II)

Encore un évêque argentin qui dit ses réserves à la béatification de Mgr Angelleli dans une lettre ouverte. Traduction de cette lettre, et commentaire d'Andrea Zambrano sur la Bussola (24/10/2018)

>>> Une béatification qui divise (7 août 2018)

>>> Et aussi: Document: stop à la béatification de Mgr Angelelli

Carlota:

Le blog <adoración y liberación> vient de mettre en ligne un courrier (du 12 octobre 2018) de Mgr Antonio Juan Baseotto, ancien évêque d’Añatuya (l’un des diocèses les plus pauvres d’Argentine) et ancien évêque aux armées d’Argentine Il y exprime sa position par rapport à la future béatification de Mgr Angelelli. Ces éléments figurent également et notamment dans un article du 20 octobre 2018 du journal argentin «La Prensa» .

LETTRE DE MGR ANTONIO JUAN BASEOTTO

Adoracion y Liberacion
Traduction de Carlota

* * *

Buenos Aires, 12 octobre 2018

J’ai connu Mgr Angelelli dans les années 1970, quand il était [évêque] Auxiliaire de l’Archidiocèse de Córdoba. Il venait rendre visite à l’un de nos prêtres, le P. Félix Casal, professeur d’Écritures Saintes, qui défendait, sinon des idées subversives, tout au moins des idées très apparentées à celles-ci.

Si je me fie à ces visites, je ne peux que constater qu’il était très mauvais chauffeur étant donnée la façon dont il conduisait sa camionnette quand il venait depuis la ville de Córdoba jusqu’à notre convent rédemptoriste de Villa Allende, maison San Alfonso.

Dans notre milieu, on lui reconnaissait un zèle apostolique et une proximité avec les personnes de son Diocèse de la Rioja. Mais on le voyait, avec soupçon et préoccupation, très proche de groupes à l’idéologie subversive.

Les photographies qui, des années plus tard, arriveront jusqu’à moi, confirment ce malaise.

Je suis ensuite passé de Córdoba (1973-1974) à Añatuya jusqu’en 2002.

Là j’ai connu de près MgrWitte qui avait fait des investigations par l’intermédiaire de personnes informées des faits de son prédécesseur, et il nourrissait la même crainte : complicité avec des milieux subversifs…et mort dans un accident.

En 2002 j’ai été nommé Évêque aux armées. Dans ce milieu, nouveau pour moi, j’ai noté un malaise par rapport aux interprétations de la mort de Mgr Angelelli.

Je sais que celui qui est aujourd’hui en prison (Le colonel Estrella) supporte vaillamment sa situation,, mais il nie complètement la version officielle de l’assassinat perpétré par les Forces Armées.

Il m’arrive de rendre visite avec une certaines fréquences à des militaires prisonniers.

Je sais que la béatification de Mgr Angelelli comme martyr va en faire chanceler plus d’uns dans la Foi. Et je constate chez beaucoup de chrétiens bien formés qu’ils montrent, comme moi, un doute très sérieux en ce qui concerne ce supposé martyre.

Certainement, s’il avait été tué par des militaires, il ne l’aurait pas été pour sa Foi, mais pour son engagement avec les forces de gauche, opérant alors dans la Rioja, et maintenant au pouvoir, auquel ils sont arrivés très habilement.

Pour tout cela et pour les conséquences aujourd’hui prévisibles du désordre qu’entraînerait une telle béatification, je crois que non seulement c’est une erreur mais aussi que cela entraînerait des conséquences dommageables pour la paix en Argentine.


+ Msg. Antonio Juan Baseotto
C. T.S. R. (Congrégation du Très Saint Rédempteur)
(Ancien) Evêque aux Armées de l’Argentine

Angelelli béatifié? C'est une erreur, qui fera vaciller la foi


Andrea Zambrano
www.lanuovabq.it
24 octobre 2018
Ma traduction

* * *

En Argentine, la fronde contre la béatification prochaine d'Enrique Angelelli, l'évêque "montonero", ne s'apaise pas. Était-ce un accident ou un meurtre? Sur quelles preuves? Et, en outre, malgré la condamnation d'un militaire qui continue à se proclamer innocent. Après l'évêque Aguer et la Nacion, l'évêque émérite de l'ordinariat militaire est lui aussi contre: "Il était complice de milieux subversifs, sa béatification ébranlera la foi de beaucoup". Comment les choses se sont-elles passées à la Congrégation des Saints? Quels éléments ont été utilisés pour établir l'odium fidei?


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Après [Mgr Aguer] l'archevêque émérite de La Plata (www.lanuovabq.it), un autre évêque argentin s'exprime clairement contre la béatification prochaine de Mgr Enrique Angelelli, mort en 1976 dans un accident de la route qui, selon la justice argentine, était en réalité un attentat ourdi par la junte militaire contre un évêque dérangeant.

L'histoire n'a jamais été complètement éclaircie, mais ce qui trouble beaucoup d'ecclésiastiques argentins, c'est le fait que même en admettant qu'il s'agissait d'un attentat, bien qu'il n'y ait aucune preuve, et que le seul témoin soit en substance opposé à cette thèse, Angelelli était trop complice du mouvement révolutionnaire marxiste des Montoneros, qui, dans les années 70, étaient des terroristes et pas parmi les plus tendres. Il n'y aurait donc pas "Odium Fidei".

Ces derniers mois, nous avons rapporté l'opposition de Mgr Aguer qui répondait à un éditorial dans le principal journal argentin, la Nacion, de la même teneur (cf. ma traduction en français: Une béatification qui divise).

Aujourd'hui, pour corroborer le caractère criticable de cette béatification prévue pour le 26 avril prochain, qu'on dit souhaitée par le Pape François lui-même, arrive un autre évêque qui affirme bien connaître l'histoire.

Il s'agit de Juan Baseotto, Rédemptoriste, évêque militaire de la République argentine (aujourd'hui retiré) de 2002 à 2005, année où il a été littéralement chassé par le président de l'époque, Nestor Kirchner, pour avoir tenu des propos politiquement non corrects sur l'avortement.

Baseotto a envoyé une lettre au journal Adoracion Y libertad, portant la date du 12 octobre et dans cette lettre, il utilise des mots très durs sur la décision du Vatican d'inclure la figure d'Angelelli dans la liste des martyrs "in odium fidei".
Des mots d'autant plus durs qu'ils sont prononcés par un prélat qui connaît bien l'histoire d'Angelelli. En Argentine, la condamnation du commandant qui a été inculpé des années plus tard a toujours laissé plus qu'une ombre. A commencer par le fait qu'il n'y a aucune preuve de ce meurtre.

On n'a pas trouvé le "pistolet fumant" (la preuve irréfutable), autrement dit l'ordre parti d'en haut d'un gradé quelconque admettant un mandat pour tuer un pasteur devenu dérangeant.

Mais la lettre de l'évêque argentin et celle du quotidien La Nacion interviennent précisément dans la spécificité de l'odium fidei. En substance, même si la version selon laquelle il s'agissait d'un meurtre était acceptée, il faudrait démontrer que c'était par haine de la foi et non par rivalité politique, puisqu'Angelelli était très proche des groupes terroristes qui sévissaient dans le pays sud-américain ces années-là.

Qu'en est-il? Il sera probablement difficile de le découvrir. C'est pourquoi, pour beaucoup de prélats en Argentine, cette béatification est une pilule amère à avaler. Surtout, il serait intéressant de comprendre comment les choses se sont déroulées à la Congrégation pour les causes des saints. Dans la "positio super martyrium", comment le processus judiciaire complexe qui a mené à la sentence est-il abordé? Et quelles sont les motivations pour lesquelles la Congrégation a traité une cause in odium fidei ? Ceux qui connaissent les causes de béatification in odium fidei savent que l'élément politique idéologique, ainsi que les éventuelles condamnations des meurtriers, doivent être cohérents avec les preuves d'une hostilité manifeste à l'égard de l'Église concernant la victime et ses bourreaux.

Arrivés à ce point, il faudrait qu'émergent tous les éléments à travers lesquels les pères de la Congrégation ont pris leur décision.

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