Une béatification qui divise

Celle de Mgr Angelelli (+ 1976) un évêque argentin proche des mouvements de lutte armée contre la dictature argentine, dont l'"assassinat", de surcroît "in odium fidei" sont contestés par une partie de l'opinion publique argentine (7/8/2018)

Mgr Angelelli célébrant la messe pour les Monteneros

Une fois de plus, François se signale comme "un pape qui divise" et surtout qui manque singulèrement à la vertu de prudence.
On se rappellera, par comparaison, la prudence, justement, de Benoît XVI à propos de la béatification de Mgr Romero (dont les circonstances de la mort - lors de la célébration de la messe - étaient bien différentes, et dont de toutes façons l'assassinat ne faisait aucun doute). Le 9 avril 2007, répondant à une question d'un journaliste dans l'avion qui le menait vers le Brésil, il expliquait ce qu'on avait qualifié de réticences de sa part: «Le problème était qu'un camp politique voulait le prendre à tort comme porte-drapeau, comme figure emblématique. Comment mettre en lumière de façon juste sa figure, en la préservant de ces tentatives d'instrumentalisation? Tel est le problème».

La béatification idéologique de l'évêque "montenero"


Andrea Zambrano
6 août 2018
www.lanuovabq.it
Ma traduction

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L'Église béatifiera l'évêque Angelelli, mort en 1976 en Argentine. «Tué par la dictature parce qu'il était avec les opprimés», telle est la motivation; «Non, il fut un évêque sectaire, proche des terroristes et victime d'un accident de la route, le meurtre est sans preuves». Le principal journal monte en ligne contre la béatification voulue par le Pape François et ouvre le dossier: une élévation aux autels qui divise et où est contestée l'odium fidei qui est à la base du martyre.


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La cérémonie de béatification est prévue pour l'automne prochain, mais des nuages noirs sont à nouveau apparus sur la figure de l'évêque argentin Enrique Angelelli, ne permettant certes pas une acceptation rapide d'une béatification pour martyre in odium fidei fortement souhaitée, dit-on, par le Pape François lui-même. Un évêque proche des opprimés, dérangeant, que la dictature militaire a fait disparaître dans un accident de la circulation. C'est l'épitaphe avec laquelle Angelelli est maintenant reconnu et ce sont en résumé les raisons que le Saint-Siège a avancées pour donner le feu vert à sa béatification en juin dernier.

Mais un éditorial très dur du principal journal argentin, La Nacion, est venu contrer cette lecture, rouvrant une blessure jamais complètement refermée: pas de meurtre et surtout pas de vertu qui justifierait sa béatification. L'éditorial, paru dans le journal le 30 juillet, sans signature, et donc entièrement attribuable à la ligne éditoriale du quotidien, est déjà péremptoire dès le titre: Une béatification de nature politico-idéologique.

L'article, en effet, reconstitue l'histoire de l'assassinat présumé à partir des nombreuses conclusions selon lesquelles il était clair dès le départ qu'il s'agissait d'un accident de la route. Angelelli, évêque de La Rioja, est mort le 4 août 1976 sur la route nationale 38. La Fiat 125, à bord de laquelle il voyageait avec son collaborateur, le père Arturo Pinto, qui en est lui-même sorti indemne mais qui garda toujours des trous de mémoire, a été retrouvée renversée au bord de la route. Les autorités, après l'enquête et l'autopsie, ont classé l'affaire comme accident de la circulation et l'histoire semblait s'achever à jamais.

Quelques années plus tard, un frère guérillero, Antonio Puigjané, qui fut par la suite arrêté en 1989 pour avoir participé à l'assaut de La Tablada, contre le gouvernement Alfonsin (il y eut 38 morts) a présenté une plainte dans laquelle il accusait le régime d'avoir causé la mort d'Angelelli. Dénonciation que le successeur d'Angelelli, Bernardo Witte qualifia d'impossible à soutenir. L'affaire a également été entendue par la Cour fédérale de Cordoue, qui a réaffirmé en 1990 qu'il n'y avait aucune preuve d'assassinat.

Mais l'affaire réapparaît en 2014: le tribunal pénal de La Rioja arrive à la conclusion qu'il s'agit d'un homicide.
La décision a toujours été contestée en raison du manque de preuves et des récits contraires des témoins, mais après la conclusion du processus judiciaire, deux anciens militaires stationnés à l'époque dans cette province argentine furent accusés et condamnés à la prison à perpétuité. L'un d'entre eux, le commandant Luis Fernando Estrella, s'est toujours déclaré innocent et étranger à ce fait. Coupable seulement d'avoir porté l'uniforme toute sa vie. Estrella, qui a toujours été défendu par sa famille, n'a jamais cessé de faire confiance à Dieu pour parvenir à la vérité et n'a jamais hésité à se définir comme «emprisonné injustement et diffamé par les hommes, privé de ses derniers jours de vie».

La Nacion a ainsi confirmé qu'Estrella a été condamné pour un crime qui n'a jamais été prouvé ou documenté.

L'affaire Angelelli est donc une affaire brûlante, parce qu'elle a conduit à une vérité procédurale qui divise encore aujourd'hui l'Argentine. Mais aussi pour une autre raison: le quotidien de Buenos Aires, en effet, aborde également la seconde problématique de cette béatification: «Même si, par hypothèse, il s'agissait d'un meurtre, Angelelli ne serait certainement pas un martyr de la foi». Des mots lourds, qui sont justifiés ainsi: «L'évêque Riojano était un militant avéré, étroitement lié avec l'organisation terroriste des Montoneros, un groupe argentin né dans le milieu de la gauche péroniste, qui mélangeait non seulement la lutte armée mais aussi les revendications de type guévariste et - ce n'est pas un hasard -, était né dans le lit du catholicisme sud-américain de la théologie de la libération comme l'a récemment rappelé l'évêque Hector Aguer.

Il y a une photo d'Angelelli qui circule en Argentine et qui est désormais célèbre: elle le représente en train de célébrer la messe avec derrière lui une affiche du Montoneros. Pour comprendre la portée du «scandale» qu'une partie de l'opinion publique argentine ne peut digérer, il faudrait imaginer en Italie un aumônier des Brigades rouges, qui se rendait dans leurs cachettes pour célébrer la messe, et qui, des années plus tard est béatifié in odium fidei précisément pour cet engagement, alors que la nature du meurtre n'a jamais vraiment été prouvée.
Mais ce n'est pas tout: Angelelli est accusé d'avoir farci ses homélies de provocations en faveur de la subversion et de la nécessité d'armer les jeunes contre le pouvoir constitué, même avant la dictature. Étant donné les actes, y compris les massacres, perpétrés par de nombreux Montoneros, il semble avoir été écouté.

«Par une béatification ou canonisation, l'Église proclame l'exemplarité chrétienne de la vie d'une personne et autorise sa vénération - conclut l'éditorial -. Elle ne propose jamais un modèle violent et sectaire. Pour cette raison, nous ne partageons pas les propos de l'actuel évêque de La Rioja et vice-président de l'épiscopat, Marcelo Colombo, qui, à la nouvelle de la béatification, a dit: "C'est une reconnaissance pour un témoignage courageux du Royaume de Dieu". On sait combien les processus de béatification sont rigoureux, combien les présentations des témoignages sont précises pour approuver un bienheureux. Cette rigueur, en l'occurrence, n'a pas été appliquée».

L'éditorial a été immédiatement stigmatisé par l'évêque de La Rioja, Mgr Marcelo Colombo, qui en juin dernier avait reçu personnellement du Pape François la nouvelle de la béatification et qui, aujourd'hui, a pour tâche d'organiser la messe de béatification à laquelle, semble-t-il, pourrait prendre part le substitut de la Secrétairerie d'Etat Mgr Becciu. «Avec cet article, c'est la vie, la mort et le processus de canonisation d'un saint qui ont été salis», a dit Colombo. Peut-être bien, mais Colombo lui-même n'a pas apporté à sa défense des éléments propres à confirmer tant l'assassinat que ses vertus chrétiennes, à part la proximité avec les plus opprimés.

Quoi qu'il en soit, nous sommes confrontés à une béatification qui a été fortement combattue, signe que la saison de la dictature en Argentine fait encore l'objet de nombreux débats et que, surtout, il y a une partie du pays, et donc aussi des catholiques, qui ne se reconnaît pas dans ceux qui sont aujourd'hui désignés comme modèles.

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