Une interview de Mgr Negri

Il est l'un des deux évêques italiens qui viennent de signer la "Profession des Vérités immuables sur le mariage sacramentel" initiée par trois évêques du Kazakhstan. Il répond aux questions de Riccardo Cascioli (4/1/2018)

>>> Texte complet de la "Profession.." sur L'Homme Nouveau.

 

Le prélat s'exprime aussi, prudemment, sur la polémique née autour de la parution d'un livre dénonçant les "hérésies" du théologien Joseph Ratzinger. A l'évidence, il ne veut pas verser de l'huile sur le feu, ce en quoi on ne peut que lui donner raison.

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J'ajoute que dans un très beau commentaire à la lettre des trois évêques kazakhs, Aldo Maria Valli écrit:

Ce n'est peut-être pas un hasard si une parole claire comme celle des trois prélats arrive d'une terre où l'Église est un petit troupeau et où la flamme de la foi a été ravivée par d'ex-déportés du régime soviétique, c'est-à-dire persécutés.

Je rappelle aussi que le 24 septembre 2001, au terme de son voyage dans cette terre, Jean-Paul II a confié le Kazakhstan tout entier à la Bienheureuse Vierge Marie.

«Il faut reproposer la position traditionnelle sur le mariage»

Seul un aveugle peut nier qu'il y a une grande confusion dans l'Église.
(...)
Jean-Paul II et Benoît XVI ont élevé le Magistère catholique à des niveaux d'une ampleur extraordinaire. Il est absurde de plier l'interprétation de ces grands personnages de la vie de l'Église à des intérêts de boutiques.


Riccardo Cascioli - Mgr Luigi Negri
La Bussola
4 janvier 2018
Ma traduction

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«En tant qu’évêques catholiques, suivant l’enseignement du Concile Vatican II, nous devons défendre l’unité de la foi et la discipline commune de l’Église et veiller à faire surgir pour tous les hommes la lumière de la pleine vérité (cf. Lumen gentium, 23). Face à la confusion actuellement toujours grandissante, nous sommes ainsi obligés en conscience de professer l’immuable vérité et la discipline sacramentelle tout aussi immuable sur l’indissolubilité du mariage, conformément à ce qu’enseigne le Magistère de l’Église de manière inaltérable depuis 2000 ans».

Ce sont les mots de trois évêques du Kazakhstan - Tomash Peta, archevêque métropolitain de l'Archidiocèse de Marie Très Sainte à Astana, Jan Pawel Lenga, archevêque émérite de Karaganda et Athanasius Schneider, évêque auxiliaire de l'archidiocèse de Marie Très Sainte à Astana -dans un long document intitulé "Profession des Vérités immuables sur le mariage sacramentel".

Les trois évêques prennent acte qu'après l'exhortation apostolique Amoris Laetitia, des évêques individuels et différents épiscopats agissent avec des normes pastorales qui auront pour conséquence la propagation du "fléau du divorce" même au sein de l'Église, ce qui s'oppose gravement à ce que Dieu a établi. Ce qui est grave, c'est que désormais la pratique est différente d'un diocèse à l'autre et même d'une paroisse à l'autre. «Au vu de l’importance vitale que constituent tant la doctrine que la discipline du mariage et de l’Eucharistie, l’Église est obligée de parler d’une seule voix. [Les normes pastorales sur l’indissolubilité du mariage ne doivent donc pas se contredire d’un diocèse à l’autre, d’un pays à l’autre]», disent les trois évêques, citant les Pères de l'Église.

Enfin, les évêques kazakhs réaffirment le Magistère traditionnel de l'Église, qui considère que les rapports sexuels en dehors du mariage sacramentel sont toujours illicites et donc qu'il est impossible d'accéder à la communion pour ceux qui restent dans cet état, même si cela ne constitue pas un jugement sur l'état de grâce intérieure des fidèles individuels.

La "Profession des vérités immuables..." ajoute ainsi un nouveau chapitre au débat qui a suivi Amoris Laetitia et ses interprétations, et démontre à quel point le malaise pour la situation qui s'est créée dans l'Église est répandu. Elle ne semble pas non plus destinée à rester un fait local concernant le Kazakhstan, au point qu'immédiatement après sa publication, deux évêques italiens ont signé le document: Mgr Carlo Maria Viganò, ex-nonce apostolique aux Etats-Unis d'Amérique, et Mgr Luigi Negri, archevêque émérite de Ferrare. Nous avons posé quelques questions à Mgr Negri sur la signification de ce document et sur les raisons de son adhésion.

- Monseigneur Negri, qu'est-ce qui vous a poussé à signer cette lettre?
Compte tenu de la grave confusion qui règne dans l'Église sur le thème du mariage, je crois qu'il est nécessaire de rappeler la clarté de la position traditionnelle.
J'ai pensé qu'il était juste de signer parce que le contenu de cette position est ce que j'ai largement présenté ces dernières années, pas seulement ces derniers mois, dans toutes les mises au point que j'ai consacrées au thème de la famille, de la vie, de la procréation et de la responsabilité éducative envers les plus jeunes. Ce sont des questions d'une importance absolue pour lesquelles le monde catholique dans son ensemble ne témoigne pas beaucoup de sensibilité.

- Il y en a qui disent qu'on a trop parlé de la famille et de la vie...
Penser à une Église sans un souci explicite, systématique et je dirais quotidien de défendre et de promouvoir la famille et sa responsabilité missionnaire et éducative fait penser à une Église gravement et lourdement conditionnée par la mentalité mondaine. Cette mentalité, qui domine largement nos sociétés, estime que toutes les questions "éthiquement sensibles", pour reprendre une expression devenue d'usage courant, relèvent de la responsabilité des institutions politiques et sociales, et d'abord des États. Tandis qu'avec la Doctrine Sociale de l'Église, je crois que la question de la personne et le développement de son identité et de sa responsabilité dans le monde est une tâche spécifique, première et indispensable de l'Église.
Une bataille est en cours entre la mentalité mondaine - celle que le Pape François appelait dans les premiers mois de son pontificat «la pensée unique dominante» - et la conception chrétienne de la vie et de l'existence. Si l'Église ne vit pas cette confrontation, elle finit en substance par se réduire à une position d'auto-émargination de la vie sociale.

- Dans la lettre, on parle beaucoup de la confusion qui existe dans l'Église, et vous l'avez également mentionnée. Et pourtant, il y en a qui nient qu'il y ait une telle confusion, certains prétendent qu'il n'y a que de la résistance à un chemin de renouveau de l'Église.
La confusion est là. Elle est là, et elle est très grave. Aucune personne sensée ne peut le nier. Je me souviens des paroles affreuses mais terribles du Cardinal Carlo Caffarra, quelque temps avant sa mort, lorsqu'il a dit: «Une Église avec peu d'attention à la doctrine n'est pas une Église plus pastorale, mais c'est une Église plus ignorante». Cette ignorance est source de confusion. Je cite également le Cardinal Caffarra, qui disait que «seul un aveugle peut nier qu'il y a une grande confusion dans l'Église». Et je peux en témoigner par ce que j'ai vu surtout au cours des derniers mois de mon épiscopat à Ferrare-Comacchio. Chaque jour, j'étais interpelé par de bons chrétiens dans la conscience desquels il y avait une très forte déception, et qui vivaient avec beaucoup de souffrance. Je le dis clairement, une plus grande souffrance que beaucoup d'ecclésiastiques et beaucoup de mes confrères évêques. C'est la souffrance d'un peuple qui ne se sent plus soigné, soutenu dans le besoin fondamental de vérité, de bonté, de beauté et de justice qui constitue le cœur profond de l'homme, que seul le mystère du Christ révèle de manière profonde et extraordinaire.
Je ne veux polémiquer avec personne, mais je ne peux pas ne pas dire qu'il faut travailler pour que la splendeur de la tradition redevienne une expérience pour le peuple chrétien et une proposition que le peuple chrétien fait aux hommes. C'est pour moi une tâche qui me semble fondamentale.

- A propos de confusion, ces jours-ci, on a vu naître une nouvelle polémique avec l'accusation au pape Ratzinger pour des erreurs doctrinales qui n'ont jamais été corrigées et, une fois de plus, le Concile a été impliqué.
Je ne veux pas me perdre dans des relectures hâtives et idéologiques de moments fondamentaux dans la vie de l'Église, comme l'a été le Concile par exemple: une expérience extraordinaire, complexe, articulée et - pourquoi pas - avec des aspects qui ne sont pas toujours clairs. Ou bien le grand et inoubliable Magistère de saint Jean Paul II, son engagement à re-proposer au monde l'annonce du Christ comme seule possibilité de salut et donc à proposer l'Église comme cadre de cette expérience - comme lui-même le disait - d'une vie renouvelée. Ce sont là les jalons d'un chemin qui ensuite a trouvé, dans le grand Magistère de Benoît XVI, un point de synthèse, l'appel fort à cette continuité dans la transition entre la réalité pré-conciliaire, la réalité du Concile et la réalité du post-concile: ce fut une formulation d'une importance extraordinaire, dont l'Église vit encore.
Jean-Paul II et Benoît XVI ont élevé le Magistère catholique à des niveaux d'une ampleur extraordinaire. Il est absurde de plier l'interprétation de ces grands personnages de la vie de l'Église à des intérêts de boutiques. Mais il est aussi absurde d'établir des comparaisons entre les pontificats de Jean-Paul II et de Benoît XVI et le magistère du Pape François. Dans l'histoire de l'Église, chaque Pape a sa propre fonction. La fonction de François n'est certainement pas de redéfinir l'intégrité et la portée du message chrétien, mais d'en tirer certaines conséquences nécessaires sur le plan éthique et sociale.

- Toujours à propos de confusion, en cette année où a été rappelé le 500e anniversaire de la Réforme protestante, des choses franchement déconcertantes ont été vues et entendues dans l'Église.
La confusion doctrinale et culturelle présente des aspects qui semblent difficiles à croire pour des personnes de bon sens, des personnes qui ont reçu une formation culturelle adéquate. Cette histoire de Luther est une histoire incroyable. Ce Luther, dont on parle tant, n'existe pas. Ce Luther réformateur, ce Luther évangélique, ce Luther dont la présence aurait été une réforme positive et bénéfique pour l'Église n'a aucun fondement historique ni critique.
C'est un tout autre discours si, en cette période de grave attaque contre la tradition religieuse de l'Occident, il devient nécessaire que tous les hommes religieux perçoivent qu'il est temps pour une nouvelle et grande unité opérationnelle. Nous devons travailler ensemble, bien sûr. Mais pour travailler ensemble, nous ne devons pas diluer notre identité, ni penser que l'existence de l'identité est un obstacle au travail. C'est exactement le contraire: ceux qui s'engagent dans le dialogue religieux, dans le dialogue œcuménique, dans le dialogue avec la vie sociale avec une identité précise, donnent une contribution extrêmement significative. On ne coopère pas, on ne dialogue pas à partir de la confusion. On dialogue à partir de l'identité, et l'identité catholique, si elle est vécue à fond, apporte une contribution unique et irréductible à la vie sociale.

- Il y en a qui mettent en garde contre la tentation de l'hégémonie.
Je ne pense absolument pas à une hégémonie sur la vie sociale, comme beaucoup de catholiques irresponsables le considèrent. Ce n'est pas pour une volonté d'hégémonie, mais pour une volonté de mission. Une mission explicite, claire, significative, passionnée et donc polémique envers le monde. J'ai appris cela de Don Giussani en 50 ans de vie avec lui et c'est sur ce point, à mon avis, que se sont joués de manière positive les grands magistère de Jean-Paul et de Benoît, en accord avec le grand magistère de l'Église des XIXe et XXe siècles.

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