Indirectement lié à la mort d'Alfie

... le thème de la prochaine rencontre du Ratzinger Schülerkreis: "Église et État, Église et société". L'Etat peut-il intervenir directement dans la vie des gens? Le point de vue inédit d'Andrea Gagliarducci (2/5/2018)

Une rencontre du Schülerkreis présidée par Benoît XVI. Image d'archives

Au-delà des réserves - déjà évoquées - sur son parti-pris de défendre François coûte que coûte (et son indulgence, au moins apparente, envers les clercs qui ont failli), le vaticaniste constate que ce thème était au premier plan des préoccupations de Benoît XVI: "comme toujours, [il] a fait preuve d'une vision à long terme".
Elargissant la perspective, il suggère que la diplomatie du Saint-Siège, comme elle le fait dans d'autres domaines (par exemple le domaine financier), en utilisant son "réseau de relations qui comprend 183 nations et de nombreuses organisations multilatérales" pourrait, sur la question brûlante du respect de la vie et du droit des parents "générer cette chaîne de subsidiarité qui a toujours été la force de l'Eglise catholique".

On ne peut exclure que des chrétiens engagés dans la politique et les questions juridiques unissent leurs efforts pour mener une grande activité diplomatique internationale: celle de reconnaître que mourir n'est jamais dans le meilleur intérêt de personne, surtout si cette personne est incapable de compréhension et de volonté.
Toutes les nonciatures et les professionnels sur le terrain devraient travailler ensemble pour atteindre cet objectif. Une telle reconnaissance internationale pourrait également rendre l'euthanasie illégale. C'est peut-être sur cela que le Saint-Siège devrait travailler, au-delà des appels, qui sont toujours importants.

Pape François, voici le défi futur de l'Église


Lundi 30 avril 2018
www.mondayvatican.com
Ma traduction

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La prochaine rencontre du Ratzinger Schülerkreis, le cercle des anciens élèves de Benoît XVI, aura pour thème "Église et État, Église et société". Ce thème projette l'Église vers l'avenir, comme le montre le cas d'Alfie Evans.
A première vue, les deux sujets pourraient sembler ne pas être liés. Mais au contraire, ils le sont. Alfie Evans est ce bébé britannique de 23 mois récemment décédé, atteint d'une maladie cérébrale non diagnostiquée, étiquetée "syndrome d'Alfie". Le 23 avril, on a ôté à Alfie la ventilation qui l'aidait à respirer depuis 15 mois, parce qu'un juge a décidé que continuer à l'aider à respirer était un inutile acharnement thérapeutique.
Avant et après la décision, les jeunes parents d'Alfie ont fait plusieurs appels, y compris au Pape François,

Dans l'exhortation apostolique Gaudete et Exultate, le Pape François a souligné combien les questions de vie sont importantes, mais que les questions sociales ne sont pas moins importantes. Ces mots ont insinué l'idée - et ont été utilisés pour insinuer l'idée - que le thème de la vie prendrait moins d'importance dans le pontificat du pape François. Ce soupçon a toujours été présent.

En fait, le cas d'Alfie Evans, a montré à quel point le pape François croit au thème de la vie. Le Pape a fait deux appels publics, fixant le regard plus loin et mentionnant aussi le cas de Vincent Lambert [Gagliarducci le nomme par erreur "Eric Lambert"]. Ce dernier cas est différent de celui d'Alfie. Les deux affaires avaient cependant en commun d'être l'objet de contestations judiciaires et d'accorder aux juges le pouvoir de décider de laisser mourir Alfie et Vincent.

C'est le point crucial. Pendant ces jours, alors qu'Alfie Evans est resté en vie presque par miracle après qu'on lui ait retiré la ventilation, le débat a abordé de nombreuses questions: la réaction timide de la Conférence des évêques catholiques d'Angleterre et du Pays de Galles; l'obstination du juge à juger la vie d'Alfie au minimum futile; et même le cas de l'Adler Hey hospital où Alfie était soigné, parce qu'en 2000, il a figuré dans une enquête sur les hôpitaux stockant un grand nombre d'organes et de tissus humains.

Sans approfondir les faits et sans prendre position d'un côté ou de l'autre, il est évident que le problème est d'ordre juridique. Dans quelle mesure l'État peut-il décider pour une personne? Et pourquoi l'État a-t-il plus d'influence que la famille?

Ce sujet ne figurait pas dans les interventions de l'Église. Dans un tweet sur le cas d'Alfie Evans, le pape François demandait que "la souffrance des parents d'Alfie soit entendue et leur désir d'essayer de nouvelles possibilités de traitements soit comblé". L'archevêque Vincenzo Paglia, président de l'Académie pontificale pour la vie, a fait deux déclarations et a finalement demandé "une alliance d'amour entre toutes les parties", appelant à un dialogue entre médecins, juges et famille. L'archidiocèse de Liverpool a essayé de modérer la discussion et a défendu le personnel de l'hôpital, alors qu'au début, il n'a même pas abordé la question.

A l'exception d'une déclaration de l'Observatoire Van Thuan pour l'enseignement social de l'Église - le droit naturel des parents à ce que leur enfant soit pris en charge et traité comme ils le souhaitent, y compris s'ils optent pour l'acharnement thérapeutique, n'a jamais été mis en évidence. Ce n'est pas une question de compassion, ou de dialogue avec les médecins. C'est tout simplement la loi naturelle.

Cette position a presque disparu du débat, bien qu'elle soit cruciale. Benoît XVI a abordé la question à plusieurs reprises. Dans le discours qu'il a prononcé devant le Bundestag le 22 septembre 2011, le pape émérite actuel a dit - citant saint Augustin - "Sans justice, qu'est-ce que l'État, sinon un bande de voleurs?"
La justice n'a pas pour but de donner son accord à l'État lorsqu'il prend des décisions sur la vie des gens, mais d'aider les gens à vivre leur vie dans une société juste.
C'est la raison pour laquelle le thème du prochain Ratzinger Schülerkreis - dont le conférencier principal sera l'ancien juge de la Cour constitutionnelle allemande Udo Di Fabio - sera une sorte de saut dans l'avenir.

Les grandes persécutions sont fondées sur la loi. Le martyre et la persécution des chrétiens sont amplement documentés. Mais il y a aussi une persécution silencieuse, qui touche les chrétiens en tant qu'experts en humanité, et dont la cible finale est l'être humain.
Cette persécution se fait par la loi. C'est par la loi que les critères LGBT sont introduits et imposés dans la législation, comme cela s'est produit dans la convention d'Istanbul, que de nombreuses Conférences épiscopales ont rejetée (par exemple, celles de Lettonie et de Croatie). C'est par la loi qu'est défini le "hate speech", décrétant ainsi discours de haine tout discours religieux et en général tout discours que le courant dominant n'aime pas. C'est par la loi qu'en Allemagne, les bureaux de consultation familiale ont été poussés à délivrer des certificats approuvant un avortement, malgré l'existence d'une objection de conscience contre la pratique d'avortements. C'est par la loi que les communautés religieuses sont privées de toute dignité publique et, dans certains cas, obligées de s'enregistrer auprès de l'État et d'être sous le contrôle de l'État.

Ce n'est pas un hasard si le cardinal Dominique Mamberti, alors qu'il était encore archevêque et ministre des Affaires étrangères du Vatican, a présenté en janvier 2013 à la Cour européenne des droits de l'homme un document sur "La liberté de l'Église catholique et son autonomie institutionnelle", soulignant que les communautés religieuses sont des espaces de liberté et non des zones de non-droit. Le document traitait de deux affaires en cours de discussion à la Cour européenne, mais avait également pour but de s'attaquer à l'accusation selon laquelle l'autonomie des communautés religieuses conduisait à des zones de non-droit. Les institutions se servent de ces accusations pour réduire l'autonomie des communautés religieuses, érodant ainsi pas à pas la liberté religieuse et à la fin, toute liberté.

Comme on peut le constater, toutes ces questions sont étroitement liées. Benoît XVI a beaucoup dénoncé la dictature du relativisme. Mais cette dictature s'est transformée en dictature de la pensée unique.
Parler de "relations entre l'État et l'Église" signifie regarder vers l'avenir.
On ne peut exclure que des chrétiens engagés dans la politique et les questions juridiques unissent leurs efforts pour mener une grande activité diplomatique internationale: celle de reconnaître que mourir n'est jamais dans le meilleur intérêt de personne, surtout si cette personne est incapable de compréhension et de volonté. Toutes les nonciatures et les professionnels sur le terrain devraient travailler ensemble pour atteindre cet objectif. Une telle reconnaissance internationale pourrait également rendre l'euthanasie illégale. C'est peut-être sur cela que le Saint-Siège devrait travailler, au-delà des appels, qui sont toujours importants.

Curieusement, tout cela est lié indirectement à une autre question centrale de la semaine. La présentation du rapport annuel de l'Autorité de renseignement financier, l'organisme de surveillance financière du Vatican.
L'autorité de renseignement financier suit la philosophie de la diplomatie pontificale : elle construit un réseau de relations et un cadre de coopération internationale qui font du Saint-Siège un sujet crédible en mesure d'intervenir dans les zones vulnérables et d'aider les chrétiens les plus faibles sans alimenter le soupçon de défendre un autre type d'intérêt.
La diplomatie du Saint-Siège a établi un réseau de relations qui comprend 183 nations et de nombreuses organisations multilatérales. L'autorité du renseignement financier fait de même, signant des protocoles d'accord et s'engageant dans la coopération afin d'aider l'Église à opérer dans la zone la plus à risque où les catholiques sont présents.

C'est pourquoi la discussion des étudiants de Benoît XVI sur les relations entre Église et État, Église et société, doit être à la base d'un nouveau travail diplomatique. Le cas d'Alfie a mis le problème en lumière, mais la question n'est pas vraiment nouvelle.
De leur réflexion, la diplomatie du Saint-Siège pourra tirer quelques indications, générant cette chaîne de subsidiarité qui a toujours été la force de l'Eglise catholique. C'est la nouvelle ligne de front, aujourd'hui.
Comme toujours, Benoît XVI a fait preuve d'une vision à long terme.

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