Cinq ans de Bergoglio

Au tour de Marcello Veneziani, toujours excellent, de dresser, sans animosité, son propre bilan de ce lustre de pontificat bergoglien (18/3/2018)

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Cinq ans de Bergoglio


Marcello Veneziani
12 mars 2018
Ma traduction

Image choisie par l'auteur de l'article pour l'illustrer

Cinq ans, c'est un souffle à côté de l'éternité et une miette dans l'histoire millénaire de l'Église. Mais ils ont donné au monde l'impression d'un tournant radical.

Le Pape François apparut immédiatement comme le Grand Sympathique, accueilli dès les premières répliques de ce 13 mars 2013 par la faveur des médias et la sympathie des non-croyants. Un pape proche, extérieur à la liturgie et au charisme, extraverti et insolite.

Quel a été le trait spécifique qui l'a caractérisé au cours des cinq dernières années ?

C'est un Pape perçu comme fils de son temps plus que de l'Église, fils de la mondialisation plus que de la tradition. Mondialisation de match retour, autrement dit du côté de tous les sud du monde, toutes les périphéries, paupérisme et hospitalité.

Mais dans l'horizon global, non plus national ou européen, et pas non plus occidental ou chrétien: un pape ouvert aux plus éloignés, qui aime son prochain le plus lointain, ouvert aux musulmans avant les chrétiens, aux protestants avant les catholiques, aux pauvres plus qu'aux fidèles, aux individus - y compris les gays - plus qu'aux familles.

C'est ainsi, du moins, qu'il est apparu à l'œil du public et qu'il a été présenté par les médias. Tout cela a été ennobli comme un retour au christianisme des origines.

Et cela a engendré consensus et sympathie, à commencer par ceux qui sont les plus éloignés de l'Église, de Rome, de la foi chrétienne. Et davantage de méfiance sinon de dissidence parmi les plus attachés à la Sainte Mère Église, l'Église catholique apostolique romaine. Jusqu'à l'anathème de certains et à l'accusation d'hérésie, sur laquelle nous n'osons pas nous prononcer.

Mais la papauté de Bergoglio coïncide avec la phase la plus aiguë de trois grosses pertes: l'éclipse de la foi et de la religion, l'insignifiance des catholiques en politique, l'insignifiance de la tradition et de la civilisation chrétiennes.

Le premier phénomène n'est pas né avec la papauté de François, mais a ses racines dans un processus séculier. C'est la déchristianisation du monde, l'irreligion occidentale, la perte de la foi, de la perspective extra-terrestre et de la pratique religieuse.

Mais ce processus historique est devenu plus aigu et s'est accéléré ces derniers temps: la preuve en est le déclin de la dévotion, des vocations, des fidèles à la messe, l'affaiblissement du sentiment religieuxe. Il faut au minimum observer que l'avènement de Bergoglio au pontificat n'a pas freiné, ralenti, atténué ce déclin, mais coïncide avec son accélération et son exacerbation. Ce n'est pas un beau résultat pastoral, c'est une défaite religieuse.

Le deuxième phénomène concerne plus particulièrement l'Italie. Depuis l'époque du dernier pape italien, Paul VI (le pape Luciani [Jean-Paul 1er] fut une parenthèse trop brève), l'influence des catholiques en politique a progressivement diminué. Elle a eu un coup mortel avec la fin de la Démocratie Chrétienne, mais elle a semblé se rétablir au cours des années parce que la papauté, la Conférence épiscopale, le rôle des catholiques sont devenus une aiguille d'équilibre dans un système bipolaire, elle donc eu une importance décisive, centrale, bien que n'étant plus majoritaire.

Les dernières élections générales, qui étaient les premières sous la papauté de François, ont enregistré pour la première fois l'insignifiance absolue du vote catholique. Et je ne parle pas seulement du rôle des paroisses et des sacristies dans la direction des croyants. Mais plus largement et plus profondément à des thèmes religieux ou à des thèmes chers à l'Église, tels que la famille, la vie, les naissances, la bioéthique.

La conscience religieuse a disparu dans les urnes. L'Église de Bergoglio s'est retirée de ces grands thèmes et valeurs, elle a congelé dans le silence les family day et toutes les polémiques relatives à la vie et à la sphère sexuelle, au gender et à la protection de l'enfance. Ainsi, pour la première fois dans l'histoire politique de notre république, les catholiques ont été totalement sans influence dans l'orientation du vote.

Enfin, la réduction à l'insignifiance de la tradition et de la référence à la civilisation chrétienne. L'Église de Bergoglio n'a pas été œcuménique, mais globale, sans frontières, privée de lien spirituel avec la civilisation chrétienne. Jusqu'à apparaître dans certains cas comme une grande ONG, une espèce d'Emergency (ONGI fondée par le chirurgien de guerre italien Gino Strada, c'est une association humanitaire internationale qui s'occupe aussi de la rééducation des victimes de la guerre et des mines terrestres, wikipedia) en soutane, perdant ainsi son lien vivant avec la tradition.

L'Église de Bergoglio vit son héritage millénaire presque comme un poids, avec contrariété, elle préfère se présenter comme une agence morale et sociale du présent, cite Bauman plus que Saint Thomas, est à la poursuite l'actualité et troque le charisme contre la séduction.

Un jour, le Pape a refusé de critiquer un comportement jusqu'à hier considéré comme peccamineux par l'Église, se retranchant derrière l'humilité chrétienne: Qui suis-je pour juger? Il faudrait lui répondre: tu es un Pape, c'est-à-dire un Saint Père, et tu as non seulement le droit mais aussi le devoir de juger, de diriger, d'exhorter et de condamner.
Sinon, tu faillis à Ton rôle pastoral, à Ta mission évangélique.

Mais l'objection que je voudrais lui faire à lui et à ses disciples est d'un genre différent : qui est-il, Lui pour juger, et de fait relativiser et effacer, la tradition chrétienne et catholique, la pensée des papes, des théologiens et des saints, la doctrine, la vie et l'exemple des martyrs et des témoins de la foi? Pourquoi devrions-nous plier la vérité et la tradition millénaire aux usages du présent et aux phobies du politiquement correct?

Mais cette question nous ramène au point de départ : le Pape François apparaît plus comme un fils plus de son temps que de son Église, un fils de la mondialisation plus que de la tradition. Nous l'aurions voulu père de son temps plus que fils; arbre plus que fruit et fruit plus que feuille dans le vent du présent.

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