Contre la tentation du sédévacantisme

Father Z répond à un lecteur découragé avec des arguments (qui semblent) pleins de bon sens. Et relativise l'influence que François pourrait avoir en la replaçant dans le contexte de l'Histoire agitée de l'Eglise (11/1/2019)

"Je songe sérieusement à adopter une forme de sédévacantisme"


Fr John Zuhlsdorf
wdtprs.com
7 janvier 2019
Ma traduction

* * *

« Mon père, j'irai droit au but: j'ai du mal à croire que le Pape est le chef de l'Église.
Je sais qu'en ce qui concerne les hérésies passées, les papes ont souvent fait preuve de négligence dans l'accomplissement de leur devoir de s'opposer à l'erreur, mais il semble que récemment Rome ait activement répandu l'erreur. Ceci est évidemment particulièrement clair sous François, bien que ce ne soit pas un phénomène nouveau - Vatican II et les réformes liturgiques, qui ont entraîné une perte désastreuse de la foi et de l'identité catholique dans de nombreux pays, se sont tous déroulés à l'instigation de Rome et sous son égide.
Je sais aussi que l'enseignement officiel n'a pas changé, mais cela semble franchement une réponse insatisfaisante.
Quand Notre Seigneur a promis que les Portes de l'Enfer ne prévaudraient pas contre l'Église, il voulait sûrement dire plus que la persistance d'un noyau ésotérique de doctrine, accessible seulement aux personnes ayant une formation théologique suffisante pour analyser le niveau exact d'autorité de chaque communication papale, tandis que les actuels organes d'enseignement de l'Église répandaient activement l'erreur.
J'ai trop lu l'histoire de l'Église pour trouver que le protestantisme ou l'orthodoxie orientale sont des options plausibles mais j'envisage sérieusement d'adopter une certaine forme de sédévacantisme, ne serait-ce que pour me débarrasser de la dissonance cognitive qu'implique le fait de croire que la communion avec le Siège de Rome est nécessaire au salut, et aussi que pour être un bon catholique, de nos jours, il faut ignorer 90% de ce qui sort de Rome».


Franchement, je reçois de plus en plus de notes comme celle-ci. Il est évident que beaucoup de gens sont vraiment frustrés, certains même au bout du rouleau.
Examinons quelques points.

D'abord, vous dites: «J'ai du mal à croire que le Pape est le chef de l'Église.»
Sur ce point, tournons-nous vers Colossiens 1:18: «[Le Christ] est aussi la tête du corps, la tête de l’Église : c’est lui le commencement, le premier-né d’entre les morts, afin qu’il ait en tout la primauté».
Le Christ est le chef de l'Église, mon ami. Le Pape est le vicaire du Christ sur terre. Il y a un vieil acrostiche amusant pour le latin "vicarius" ("substitut, délégué") dont j'espère me souvenir avec exactitude.
Vir
Inutilis
Carens
Auctoritate
Rare
Intelligentiae
Umbra
Supérioris
«Un homme inutile, sans autorité, rarement d'intelligence, l'ombre de son supérieur»
Voilà qui pourrait faire descendre d'un cran tel ou tel "vicaire".

Vous avez également évoqué l'un des trois attributs de l'Église: l'indéfectibilité. Si nous croyons aux promesses du Christ - et je suis sûr que c'est le cas - alors nous croyons que, même jusqu'à la fin du monde, quand Il reviendra pour prendre toutes choses et les soumettre au Père, l'Église n'échouera pas.
Cela me rappelle la menace de Napoléon de détruire l'Église. Le cardinal Consalvi répondit: «Nous autres clercs, cela fait 1800 ans que nous essayons de détruire l'Église». En fin de compte, même si le but de François ou de sa bande de larbins (hangers-on) était vraiment de détruire l'Église, ils échoueraient. Cela ne peut pas arriver.
Tout au long de son histoire, il y a eu des périodes de confusion et de perturbation bien pires que celles que nous vivons actuellement. Prenons l'exemple du terrible schisme occidental du XVe siècle, alors qu'il y avait trois prétendants à la papauté en même temps. Cela s'est arrangé. Pensons à la controverse qui au XIXe siècle tournait autour de Vatican I et de la définition de l'infaillibilité. Je suis en train de terminer un livre sur Vatican I, et la montée de l'ultramontanisme de cette époque nous enseigne une leçon sur les attitudes quasi papolâtres de certains des supporters les plus engagés de François. En outre, le livre m'a donné une vision tout à fait différente de la personnalité du bienheureux Pie IX, qui s'est avéré être plutôt changeant (mercurial) et qui ne conservait pas dans un tiroir le côté le plus tranchant de la lame. Quoi qu'il en soit, l'histoire confirme que l'Église est indéfectible.

L'histoire nous enseigne qu'il y a eu de grands papes, des papes ok, des papes à oublier et de mauvais papes. Depuis plus d'un siècle, un culte fort s'est développé autour de la personne du pape. En outre, nous avons peut-être été un peu trop gâtés par une chaîne d'hommes plutôt bons sur le Siège de Pierre. Après Jean-Paul II et Benoît XVI, nous avons aujourd'hui une figure très contrastée. François détonne, il sort du schéma. Il va forcément susciter la perplexité de beaucoup de gens.
Tout comme je pense qu'à long terme, l'importance de Vatican II a été grandement exagérée, de même l'impact de François est grandement exagéré. Il est dérangeant, mais je soupçonne qu'à long terme, il ne sera pas considéré comme si important. C'est peut-être une bonne chose que le culte autour de la personne des Papes soit un peu secoué, retombe de quelques crans.

Cela dit, ce n'est pas parce qu'il détonne ou parce que son importance a été exagérée par ses followers papolâtres (dont certains que je considère comme de très mauvais acteurs), qu'il n'est pas vraiment le Vicaire du Christ. Bien sûr, il y a beaucoup de théories sur la validité de l'abdication de Benoît XVI et sur la légitimité de l'élection de François. Ce sont aussi des théories intéressantes. Il y a des gens très intelligents qui s'y accrochent. Toutefois, l'un des faits qui me frappe est que les cardinaux qui ont participé au conclave de 2013 ne se sont pas soulevés contre lui. Ce n'est pas dénué de signification.

Non. Le sédévacantisme n'est pas la solution. Toutefois, vous avez apporté une solution partielle à votre problème avec François et sa bande. Vous avez écrit que «pour être un bon catholique, de nos jours, il faut ignorer 90% de ce qui sort de Rome».
Allez-y, ignorez 90% de ce qui sort de Rome et vous serez probablement plus en paix.
En ces jours, nous sommes terriblement submergés d'informations. Elles arrivent comme par une lance à incendie à travers nos différents écrans. C'est vrai, pour le catholique dévot qui aime l'Église - et quand nous aimons, nous voulons toujours en savoir plus sur notre bien-aimé - cela peut être troublant.
Nous devons apprendre à mettre en perspective toutes les nouvelles ecclésiales, en particulier en passant en revue les nombreux siècles d'épreuves que l'Église a connues à travers l'histoire.
Et aussi, et c'est est important pour notre équilibre sur le pont de la Barque de Pierre secouée par la tempête, de tous les univers possibles que Dieu aurait pu créer, il a créé celui-ci et pas un autre. Il nous connaissaient tous avant la création du cosmos, et Il nous a appelés du néant à l'existence dans cet univers particulier à ce moment particulier selon Son plan insondable. Nous avons un rôle à jouer dans l'économie du salut de Dieu. Nous devons croire que nous sommes exactement quand et où Dieu veut que nous soyons. Si nous sommes nés dans des temps troublés, nous sommes précisément là où nous devons jouer notre rôle. Nous sommes au bon endroit et au bon moment. Faites confiance à la divine providence de Dieu. Il sait ce qu'il fait.

Et je vous rappellerai qu'on ne nous avait pas promis un lit de roses quand nous avons été baptisés. Nous qui sommes les disciples du Christ, nous boirons tous au moins quelques gouttes du calice qu'il a bu au Calvaire. Il est de notre devoir d'être fidèles, courageux et persévérants.

Tous droits réservés.
La reproduction, uniquement partielle, des articles de ce site doit mentionner le nom "Benoît et moi" et renvoyer à l'article d'origine par un lien.