Encore un "changement de paradigme"!

Cette fois à l'Académie Pontificale pour la Vie -laquelle vie se voit substituer "l'existence". Exit l'avortement, place à l'écologie. C'est ce qui transparaît dans la lettre "Humana Comunitas" adressé par François à Vincenzo Paglia, son président (17/1/2019)

>>> Je n'ai pas trouvé la lettre du Pape sur le site du Vatican, le texte est traduit en français ICI.

Moins d'avortement, plus d'environnement et de pauvres: c'est la nouvelle bioéthique


Tommaso Scandroglio
www.lanuovabq.it
16 janvier 209
Ma traduction

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Avec la lettre du Pape à l'Académie Pontificale pour la Vie (APV), le registre doctrinal sur les questions morales change: la personne humaine vivante, avec sa dignité propre ne représente plus le paradigme moral de référence pour discerner le bien du mal, mais est remplacée par l'existence, un ensemble de faits et de conditions comme l'immigration ou la fraternité universelle. La pauvreté et l'environnement sont considérés comme plus importants que l'avortement et l'euthanasie parce que la justice sociale a plus de poids que la justice naturelle.


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Le 6 janvier dernier, le Saint-Père a écrit une lettre à Mgr Vincenzo Paglia, Président de l'Académie Pontificale pour la Vie, à l'occasion du 25e anniversaire de la création de cette même Académie.

Dans la lettre, rendue publique hier, il y a sûrement des idées intéressantes et partageables, mais les réserves ne manquent pas. Étant donné la longueur de la lettre, nous sommes contraints de laisser de côté de nombreuses réflexions, voulant simplement nous attarder sur ce qui, à notre avis, semble être le cœur de cette lettre: la nouvelle mission d l'APV. L'avortement, l'euthanasie, la fécondation in vitro, la gestation pour autrui, les expériences sur les embryons, le clonage, la contraception, etc. ne doivent plus être les principaux domaines d'intérêt de l'APV, mais c'est vers de tout autres horizons que l'Académie doit se tourner. Un changement d'orientation déjà annoncé en juin dernier à l'occasion de la XXIVe Assemblée générale de l'APV.

La nouvelle identité de l'APV, qui avait été voulue par Jean-Paul II pour répondre à des questions morales de nature bioéthique, est maintenant largement confirmée par le Pape François. En effet, les thèmes abordés dans la lettre sont, entre autres, «les relations familiales», «la coexistence sociale», «la méfiance réciproque», «la compétition exaspérée», «la violence», «la famille humaine», «la guerre», «la jouissance matérielle», le «système monétaire et l'idéologie de la consommation», la «division, l'indifférence, l'hostilité» entre les peuples, le «compromis mondain», les «pauvres et les désespérés», les personnes âgées et les jeunes («Il est urgent que les personnes âgées croient davantage à leurs meilleurs "songes"; et que les jeunes aient des "visions" capables de les pousser à s’engager courageusement dans l’histoire»).

Toutefois, les thématiques au centre de la lettre du Pape et qui doivent donc aussi être au centre des efforts de l'APV sont autres: l'environnement, le concept d'un nouvel humanisme et la fraternité universelle. En ce qui concerne ce dernier aspect, le Souverain Pontife s'exprime ainsi: «Nous devons reconnaître que la fraternité reste la promesse manquée de la modernité [...]. La force de la fraternité, que l'adoration de Dieu en esprit et en vérité engendre parmi les hommes, est la nouvelle frontière du christianisme».

Laissons de côté les commentaires sur le fait que la modernité, à supposer, ce qui reste à prouver, qu'elle ait jamais fait de bonnes promesses, n'a pas rempli des promesses bien plus importantes que celle qui concerne la fraternité et qu'indiquer comme nouvelle frontière du christianisme «la force de la fraternité» semble vouloir oublier que la frontière du christianisme est, selon la doctrine catholique, de nature autre et beaucoup plus élevée et est toujours la même: celle du salut des hommes. Au-delà de ces réflexions, ce qui importe, c'est l'emploi des expressions «humanisme» et «fraternité universelle», car ce sont des termes étrangers à la portée culturelle catholique parce que leur contenu, tel qu'il a été sédimenté par l'histoire, n'est pas catholique. Il est vrai qu'elles peuvent recevoir des significations différentes, mais il faudrait spécifier la signification choisie. Mais, cela dit, il serait de toute façon préférable de recourir à la terminologie infinie et très riche de la théologie et de la morale catholiques qui, au cours de siècles d'étude, a ciselé des termes précis et sans équivoque pour l'usage et la consommation des fidèles. Ainsi, à la plage d'«humanisme», on pouvait utiliser «anthropologie catholique», parce que dans l'humanisme, au centre, il y a l'homme et non pas Dieu, et à la place de «fraternité universelle», qui sent tellement les Lumières, on pouvait utiliser l'expression «enfants de Dieu».

Mais que sont devenus dans la lettre du Pape les thématiques propres de la bioéthique, celles sur lesquelles l'APV enquête depuis des années? Il n'y a qu'un seul passage dans la longue lettre qui parle de l'avortement et de l'euthanasie, là où le Pape François apprécie l'engagement de l'APV quand à plusieurs reprises elle s'est dépensée pour «la dénonciation de l'avortement et de la suppression des malades, comme des maux très graves, qui contredisent l'Esprit de la vie et nous font sombrer dans l'anticulture de la mort». Mais tout de suite après, le Souverain Pontife s'empresse de préciser que l'APV doit à présent s'occuper (aussi et surtout) d'autre chose: «Il faut certainement continuer sur cette même voie, en prêtant attention aux autres provocations que la conjoncture contemporaine offre pour la maturation de la foi, afin de pouvoir la comprendre de façon plus profonde et également de la communiquer de façon plus adéquate aux hommes d’aujourd’hui [...] La perspective de la bioéthique globale, avec son ample vision et l’attention à l’impact de l’environnement sur la vie ainsi que sur la santé, constitue une opportunité considérable pour approfondir la nouvelle alliance de l’Évangile et de la création». C'est le retour du concept de bioéthique globale: mettons l'avortement, l'euthanasie, la fécondation artificielle, etc. au second plan et donnons la priorité aux questions sociales et environnementales.

La priorité du thème écologiste est démontrée par ces passages où il semble même que l'écologisme soit la source des devoirs moraux: «Une nouvelle perspective éthique universelle, attentive aux thèmes de la création et de la vie humaine: tel est l’objectif que nous devons atteindre au niveau culturel». Curieusement, le thème de la vie humaine vient après celui de la création. Est-ce parce que la personne tire de la valeur du fait qu'elle est aussi une créature, à l'instar des animaux et les plantes? Il semble, mais ce n'est qu'un jugement intuitif, que l'affirmation suivante, très problématique pour plusieurs raisons, aille dans cette direction: «La différence de la vie humaine est un bien absolu, qui est digne d’être éthiquement défendu et qui est précieux pour le soin de la création toute entière».

Une autre preuve que le registre doctrinal sur les questions morales a changé vient de la phrase suivante: «Saint Jean-Paul II enregistrait les gestes d’accueil et de défense de la vie humaine, la diffusion d’une sensibilité contraire à la guerre et à la peine de mort, ainsi qu’une attention croissante à la qualité de la vie et à l’écologie». Ainsi, si l'on fait abstraction du fait que la citation partielle (et même partisane) de Jean-Paul II ne trahit pas qu'un peu sa pensée, il semble que la défense de la vie humaine ne soit un chemin à parcourir que si l'on est contre la guerre (y compris celle qui est juste?), la peine de mort (y compris celle qui est juste?) et si l'on lutte pour la qualité de vie (qui est un bien, mais certainement pas absolu, sinon les portes de l'euthanasie, de l'avortement et de la fécondation extracorporelle sont grandes ouvertes) et pour l'écologie.

En résumé, la lettre du Pape met en lumière deux nouveautés dans le domaine de la bioéthique. Tout d'abord, l'APV devrait peut-être changer de nom: non plus l'Académie Pontificale pour la Vie, mais l'Académie Pontificale pour l'Existence. En effet, il semble que la personne humaine vivante avec sa dignité propre ne représente plus le paradigme moral de référence pour discerner le bien du mal et qu'elle a été remplacée par l'existence, c'est-à-dire par un ensemble de faits et de conditions (immigration, guerre, fraternité universelle, pauvres, personnes âgées, jeunes, etc.) qui deviennent la source dont on doit tirer les jugements moraaux. Une approche antimétaphysique parce qu'elle représente une déclinaison théorique de ce qu'on nomme phénoménologie éthique: la praxis génère les principes éthiques. Donc, écrasé sur le plan horizontal, l'homme est un être vivant à égalité avec les autres êtres vivants et les critères de jugement éthique doivent donc être ceux de l'écologisme.

En second lieu, les thèmes classiques de la bioéthique s'éclipsent au profit d'autres thèmes qui n'ont rien, ou très peu, à voir avec la bioéthique. Les raisons de cette éclipse, en résumé, peuvent être les suivantes. D'abord, la pauvreté, les difficultés sociales, l'environnement, etc. sont considérés comme des sujets plus importants de l'avortement et de l'euthanasie parce que la justice sociale a plus de poids que la justice naturelle. Ensuite, les thèmes classiques de bioéthique sont fortement diviseurs, ils mènent à la confrontation, ce qui n'est pas compatible avec l'intention de l'Église de construire des ponts et d'abattre les murs.

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