Etat totalitaire

Une série de réflexions du P. Scalese, sur l'histoire d'Alfie. Elles datent d'il y a une semaine, et les choses bougent très vite, mais leur actualité reste intacte (24/4/2018)

>>>
Il faut prier pour Alfie

Une histoire qui dérange


Père Giovanni Scalese CRSP
19 avril 2018
querculanus.blogspot.fr
Ma traduction

* * *

L'histoire d'Alfie Evans, qui à juste titre attire notre attention ces jours-ci, m'a amené à faire quelques brèves réflexions, que je propose telles qu'elles me sont venues à l'esprit, sans prétendre à l'exhaustivité ni à la systématicité. Et en m'excusant pour l'éventuelle confusion.

ACHARNEMENT EUTHANASIQUE. Aujourd'hui, la Bussola publie un article de Tommaso Scandroglio, soulignant les contradictions de la sentence de la Cour d'appel anglaise, qui a rejeté lundi dernier la demande de transfert de l'enfant dans un autre hôpital 'dans son intérêt supérieur' (best interest). Étant donné qu'au Royaume-Uni, l'euthanasie est un crime, pour justifier la mort d'Alfie, les juges ont utilisé l'excuse de l'acharnement thérapeutique. Cela signifie que j'avais vu juste quand, dans le post du 11 mars [Euthanasie, ou acharnement thérapeutique?], j'ai jugé au minimum "imprudent" de la part du Pape de parler d'acharnement thérapeutique à un moment où le vrai problème est l'euthanasie. Comme cela a été souligné à juste titre, s'il y a un acharnement dans cette affaire, ce n'est certainement pas l'acharnement thérapeutique, mais exclusivement l'acharnement euthanasique et, si l'on veut, l'acharnement judiciaire. Disserter dans ce contexte d'acharnement thérapeutique ne peut constituer qu'un soutien indirect pour ceux qui cherchent des prétextes pour pratiquer et justifier l'euthanasie.

ÉTAT TOTALITAIRE. Le jugement interdit le transfert d'Alfie dans un autre hôpital. Comme le souligne Scandroglio, nous avons atteint le point absurde où l'intérêt supérieur d'Alfie l'empêche de voyager par avion, mais l'oblige à mourir à l'hôpital Alder Hey. Mais, au-delà de la suppression de la logique, nous sommes aussi arrivés à l'instauration d'un État absolu, qui a le pouvoir de vie et de mort sur ses citoyens (cela a-t-il encore un sens de parler de "citoyens"? Ne serait-il pas plus correct de revenir à l'utilisation du terme, que nous pensions définitivement dépassé, de "sujets"?). Jusqu'à présent, lorsqu'un malade voulait quitter l'hôpital, celui-ci, par prudence, demandait au patient ou à sa famille de signer une déclaration selon laquelle l'hôpital était déchargé de toute responsabilité. Il est compréhensible que les médecins veuillent se protéger contre de futurs recours. Mais empêcher, à coup de décisions judiciaire et d'intervention policière, qu'on puisse quitter l'hôpital signifie que désormais nous n'avons plus la liberté de choisir où aller pour le traitement, ni même la liberté de mourir en paix là où nous le voulons. Et ceci dans la patrie de la démocratie moderne!

LA PERFIDE ALBION. Dernièrement, en Grande-Bretagne, on voit se produire des événements plutôt discutables: l'affaire Skripal, l'attaque militaire contre la Syrie, l'histoire du petit Alfie soulèvent pas mal de doutes sur leur correction politique et morale. Le manque de scrupule a toujours caractérisé la politique de l'Angleterre au cours des siècles, à tel point qu'elle a mérité le titre peu enviable de "perfide Albion". Il n'a donc pas lieu d'être surpris si les Britanniques continuent à ne pas se laisser conditionner par des scrupules moraux excessifs. Le fait est que ces derniers événements donnent l'impression que la limite de la décence a été dépassée. Peut-être parce qu'autrefois, il était plus facile de cacher les motifs réels de certains choix, alors qu'aujourd'hui, avec les outils dont nous disposons, les mensonges sont immédiatement mis à jour; je ne sais pas, mais il me semble que la Grande-Bretagne traverse une grave crise de crédibilité. Il semblerait cependant qu'au-delà de l'Angleterre, c'est toute une civilisation, la civilisation occidentale (dont l'Angleterre a toujours été une sorte d'avant-garde), qui est tombée dans une crise profonde. Il est intéressant de voir comment un enfant qui n'a pas encore atteint l'âge de deux ans fait exploser un système injuste et fallacieux, qui a jusqu'à présent réussi à dissimuler son hypocrisie sous le voile de la démocratie, des bonnes manières et des valeurs humanitaires. Il vient à l'esprit le Psaume : "Avec la bouche des enfants et des nourrissons, affirme ton pouvoir contre tes adversaires, pour faire taire les ennemis et les rebelles" (Ps 8,3).

UNE ÉGLISE EN MORCEAUX. Si Athènes pleure, Sparte ne rit pas: ce n'est pas seulement l'Angleterre et l'Occident qui montrent leurs fractures. L'Église non plus ne fait pas belle figure dans cette affaire. Attention, pas seulement l'"Eglise en sortie" du Pape François, vociférante sur les migrants et incroyablement aphone sur les questions de bioéthique, mais aussi l'Eglise plus rassurante et tradifriendly de l'archevêque McMahon, qui, apparemment, témoigne plus d'intérêt pour la capa magna que pour la défense de la vie. Ces deux "Églises" semblent d'accord sur le "ne pas déranger le conducteur" de la société dans laquelle nous vivons. Il n'y a pas grand-chose à faire, nous ne pouvons plus nous cacher derrière un quelconque paravent idéologique: traditionalistes ou progressistes, nous sommes tous dans le même bateau, et malheureusement c'est un bateau qui prend l'eau de toutes parts.

Qui d'un côté, qui de l'autre, nous nous sommes enfermés dans notre petit monde, avec notre sécurité et nos chamailleries, et nous avons complètement perdu le contact avec la réalité. Encore une fois, un enfant de 23 mois et, avec lui, un couple de jeunes mariés et une foule de gens simples dérangent une Église qui pensait s'être ouverte sur le monde et qui ne fait que se déchirer dans des luttes intestines exténuantes. Espérons que cette expérience nous fera réfléchir et nous aidera à surmonter nos difficultés actuelles. Nous devons remercier Alfie d'avoir ouvert les yeux sur notre petitesse. Une prière pour lui est le moins que nous puissions faire en retour.


Tous droits réservés.
La reproduction, uniquement partielle, des articles de ce site doit mentionner le nom "Benoît et moi" et renvoyer à l'article d'origine par un lien.