Le retard de 200 ans

Comprendre la stratégie de François pour adapter l'Eglise au monde. Qu'on déteste ou qu'on applaudisse, aujourd'hui, les choses sont sous les yeux de tous! (24/1/2018)

Le retard de deux cents ans

Enrico Roccagiachini
23 janvier 2018
www.campariedemaistre.com
Ma traduction

* * *

Ces derniers jours, je ne sais pas pourquoi, il m'est revenu à l'esprit la fameuse déclaration du Cardinal Martini [benoit-et-moi.fr/2012...]: l'Eglise a deux cents ans de retard. Elle m'est revenue à l'esprit parce qu'il ne m'a jamais semblé aussi clair qu'aujourd'hui que la minorité au pouvoir dans la Catholica s'est donné l'impératif catégorique de rattraper le temps perdu, ce grave retard.
Puisque, je l'avoue, je ne l'avais pas bien compris jusqu'à présent, j'ai essayé de comprendre en quoi il consiste; à la fin - je vous résume, mais si vous le vouliez, je pourrais insérer une argumentation détaillée..... je me suis convaincu que c'était vrai: au cours de ces deux siècles, la culture et la weltanschauung [conception du monde] dominantes (qui ne sont pas nécessairement celles majoritaires, mais celles qui, précisément, dominent et déterminent - ou imposent - la perception collective des "signes des temps") ont identifié une certaine série de "valeurs", ou "droits", ou "conquêtes", ou tout autre nom qu'on veut leur donner, qui pour l'Église - c'est-à-dire pour l'Évangile - ne méritent ni promotion ni soutien, mais seulement exécration et opposition. Je vous en cite quelques-uns, parce que ce sont ceux qui sont actuellement dans l'œil du cyclone: divorce, contraception, avortement, euthanasie.
Toutes choses que la société - mais je devrais dire le monde - approuve et propose comme bonnes, et que l'Église condamne et indique au contraire comme des péchés graves.

Eh bien: durant ces deux cents ans, sur ces questions, la fracture Eglise/monde est devenue vraiment profonde; et comment pourrait-il en être autrement, étant donné qu'elle concerne l'identification du bien et du mal, dans le sens que le même objet (disons: le divorce et le second mariage qui en découle) dans la perspective du monde est attribué à la catégorie "bien", tandis que pour l'Eglise - c'est-à-dire pour l'Evangile - à la catégorie "mal".

Il faut donc réagir et, jusqu'à présent, nous sommes tous d'accord. Mais comment?
Il me semble évident que depuis quelques décennies, peut-être depuis un siècle, une portion de l'Église a intériorisé l'idée d'avoir subi une défaite - culturelle, sociale, politique -, définitive et irréversible et a donc tenté de trouver un modus vivendi dans cette nouvelle situation. On pourrait appeler cela le "syndrome de Pétain"... mais ne nous égarons pas.

Un premier pas dans cette direction (de la cohabitation avec la défaite) a été d'appeler cette fracture "retard": nous sommes à la traîne, si nous ne parvenons pas à converger sur le système de valeurs du monde c'est notre faute, la société a progressé dans l'identification du bien et des valeurs, mais l'Église.....
Donc, nous devons donc nous recalibrer; et pour nous recalibrer, nous devons avant tout renoncer aux condamnations (le Concile Vatican II est-il en cause? Certes, il l'est! Et là aussi, nous pourrions remplir des pages et des pages): plus de jugements, mais seulement une miséricorde inconditionnelle (lire: acritique). En ce qui concerne les valeurs nous continuerons à dire, - il ne manquerait plus que ça... - que deux plus deux font quatre, mais à ceux qui prétendent qu'ils en font cinq ou trois, tout au plus, et avec beaucoup de réticence, nous contesterons un petite faute, mais nous ne les recalerons certainement pas, si le devoir en classe a été fait selon les règles approuvées par la vision actuelle des mathématiques!

Retard rattrapé? Hélas, non, parce qu'ils ont continué à nous semer: là, on court le risque de rester en retard de cents ans de plus - ce qui ferait trois cents ans - sans même s'en apercevoir!
Il faut donc améliorer la stratégie et la tactique. Il ne suffit plus de s'abstenir de la condamnation, il faut partager l'approbation. Même si ce n'est pas facile, parce qu'approuver ce qu'on a condamné pendant quelque deux mille ans n'est pas une mince affaire. Il faut beaucoup de détermination, la volonté de fer d'utiliser le pouvoir, il ne faut regarder personne en face. Il s'agit d'une opération révolutionnaire de facto, et la révolution, comme on le sait, n'est pas un repas de fête.

Venons-en à l'actualité. Et la nouvelle approche des "sujets chauds". Le divorce et le deuxième mariage? Refaire sa vie après l'échec conjugal? La deuxième, troisième ou quatrième chance? Les unions peut-être pas exactement hétérosexuelles? Voudrions-nous continuer à nier que c'est une bonne chose, comme le monde le soutient plus ou moins depuis deux cents ans? Alors courage: insérons l'échec du mariage parmi les causes de nullité, mais surtout administrons la Communion aux bigames! Ainsi, il sera clair que non seulement l'Église ne les condamne pas (en réalité, elle ne les condamne plus depuis un certain temps), mais qu'elle les bénit et les approuve. Ils sont légitimement en quête de bonheur, le monde les soutient, donc nous devons les soutenir aussi!

Ensuite, il y a la question de l'avortement. C'est un morceau bien plus dur à avaler. Parce que si cela fait déjà longtemps que le divorce, on ne le condamne plus ou presque plus, l'avortement non, nous l'avons encore condamné, et même très durement, pas plus tard qu'hier, pour ne pas dire jusqu'à ce matin. Donc, en paroles, il faut insister, et si nous en parlons, nous devons réitérer notre condamnation, en veillant même à ce que le public pense plus ou moins comme nous. Pourtant, ce maudit retard, nous pouvons essayer de le rattraper même sur l'avortement: si en paroles nous ne pouvons pas cesser de le condamner, nous pouvons à coup sûr cesser de le combattre culturellement, socialement et politiquement. Et si nous avons un peu de pouvoir, nous pouvons essayer d'imposer cette ligne à tous. Tant pis pour ceux qui pensent encore que l'Eglise est le meilleur allié de ceux qui continuent à mener la bataille: ce n'est malheureusement pas le cas. Dans certains cas, on a même la tentation de parler de sabotage; même si, grâce au Ciel, quelque Conférence épiscopale, au-delà des flots de l'océan, nous donne encore de l'espoir.

De contraception et d'euthanasie je ne parle même pas: il suffit de lire les journaux.

Nous y sommes donc: une dénivellation biséculaire en train d'être comblée. Peut-être pas exactement dans la bonne direction, d'autant plus que jusqu'à récemment nous avions un Pape qui - contrariis quibusvis non obstantibus - marquait lui aussi un gap (écart) de deux cents ans: d'avance.....

 
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